Les temps changent

En 1905, Joseph Joachim[1] parlait en ces termes du vibrato : le vibrato est l’un des «  plus important[s] (…) moyens d’expression de la main gauche », et : « (…) on ne saurait assez prémunir l’élève contre son emploi trop fréquent ou erroné. Un violoniste de goût, et de sentiment sain, regardera toujours la sonorité pleine comme la seule normale, et n’emploiera le vibrato que là où les nécessités de l’expression l’exigent impérieusement ». Cette méthode, ainsi que l’enregistrement qui va suivre, ont été publiés à la fin de sa vie et sont représentatifs de la technique de jeu du 19ème siècle (peu de vibrato, utilisation du portamento ainsi que du rubato) .

[youtube]http://youtu.be/f-p8YeIQkxs[/youtube]

(J. Brahms. Danse Hongroise en sol min. J. Joachim. Enregistrement de 1903)

Pourtant, il existe des enregistrements d’autres grands violonistes de cette époque qui vibrent de manière plus ou moins importante. C’est le cas d’Eugène Ysaÿe, Pablo de Sarasate, ou encore Fritz Kreisler qui possède un vibrato très serré.

[youtube]http://youtu.be/mO9zzok_uEA[/youtube]

(F.Schubert. Ave Maria. E. Ysaye. Enregistrement de 1914)

[youtube]http://youtu.be/6un_YIawX-E[/youtube]

(J. Massenet. Méditation de thaïs. F. Kreisler. Enregistrement de 1928)

[youtube]http://youtu.be/UiiAUECbIaw[/youtube]

(A. Dvorak. Humoresque. F. Kreisler. Enregistrement de 1938)

[youtube]http://youtu.be/ABm7nMVyNh4[/youtube]

(P. de Sarasate. Zigeunerweisen. P. de Sarasate. Enregistrement de 1904)

En 1921, Léopold Auer, un des nombreux élèves de Joachim, envisageait toujours le vibrato de la même manière que son professeur.[2]

 « Le but du vibrato (…) est de renforcer la côté expressif d’une phrase musicale, ou d’une note de cette phrase. Comme le portamento, le vibrato est un des moyens d’embellir et orner un passage chantant. Malheureusement, les chanteurs ou les joueurs d’instruments à cordes abusent du portamento comme du vibrato, et ce faisant, ils tombent dans des travers peu artistiques desquels sont victimes 90% des chanteurs et solistes instrumentaux.

Certains instrumentistes vibrent car ils ont l’impression que leur jeu est plus efficace, d’autres utilisent ce moyen pour cacher un problème de son ou d’intonation. (…) En utilisant constamment le vibrato, on tombe dans une grande monotonie. Au contraire, le vibrato est un effet, un ornement; il peut donner une touche de pathétique divin au climax d’une phrase ou au cours d’un passage, mais seulement si le musicien l’utilise de manière proportionnée. (…)

Dans tous les cas, rappelez-vous que seule une utilisation raisonnée du vibrato est souhaitable. Vibrer de manière excessive est une manie pour laquelle je n’ai aucune tolérance et que j’ai toujours combattue chez mes élèves sans toutefois, je dois l’avouer, réussir[3]. En règle générale, je défends à mes étudiants de vibrer sur les notes qui ne sont pas soutenues, et je leurs conseille sérieusement de ne pas abuser du vibrato même dans le cas où ces notes soutenues se suivent ».

[youtube]http://youtu.be/QygG9ZFnmfk[/youtube]

(J. Brahms. Danse Hongroise en sol min. L. Auer. Enregistrement de 1920)

Un an plus tard (1922), le violoncelliste Diran Alexanian, qui fut élève de Pablo Casals, puis son assistant lorsque ce dernier enseignait à l’Ecole normale de musique de Paris, s’oppose énergiquement à cette conception.[4]

« Le vibrato est un des facteurs les plus actifs de la « plénitude » du timbre. L’école en bannissait autrefois l’usage régulier, sans doute à cause du » flottement » de la justesse que sa mauvaise exécution engendrait.

J’ai connu un violoniste très âgé, qui prétendait que le vibrato était une habitude maladive contractée par le manque de contrôle de la pureté dès son, et que les instrumentistes à archet commettaient la plus grave inconséquence, en se livrant à un tremblement de leur main gauche, aussi grotesque et indéfendable que le chevrotement de certaines voix « mal posées ».

Ce raisonnement est indéfendable.

Le vibrato n’est pas plus un chevrotement que le port de voix n’est une gamme chromatique.

Le vibrato est une ondulation expressive ; principalement sur le violoncelle, cette ondulation permet de chanter une phrase, avec le charme et l’intensité d’émotion d’une voix chaleureuse et bien timbrée. (…)

Le vibrato devra être espacé et souple dans les sons faibles. Il faudra, au contraire, dans les sons pleins, un vibrato serré et nerveux. Pour se persuader de la justesse de cette observation, il suffira de tenter le renversement du principe ci-dessus énoncé.

Dans la nuance « piano », un frémissement serré ne manquera pas de provoquer une sensation de fébrilité. En revanche, un « forte » paraîtra veule et mou, s’il coïncide avec une ondulation lente ».

Les temps

 

En somme, on peut vibrer sur chaque note sauf dans les cas suivants :[5]

« En principe on ne doit s’abstenir de vibrer que dans les passages rapides de certains traits de virtuosité, où il est absolument hors de question, de donner à chaque note un relief individuel ; ou encore dans des situations musicales nécessitant, au goût de l’instrumentiste, une sonorité blafarde ; et enfin dans le cas où, ayant à jouer une des voix composantes de l’harmonie (basse ou partie intérieure), on craindrait, en la vivifiant, de nuire à la mise en valeur de la partie mélodique.

On devra ménager le vibrato dans les sons qui précèderont ou suivront immédiatement l’emploi des cordes à vide. Sans cette précaution, la crudité de timbre des notes non doigtées détruirait la cohésion de la ligne sonore ».

[youtube]http://youtu.be/SJss7GBagiw[/youtube]

(M.Bruch. Kol Nidrei. P.Casals. Enregistrement de 1936)

[youtube]http://youtu.be/AgjmI0YlrUo[/youtube]

(A. Dvorak. Concerto pour violoncelle en si min., 2ème mouvement. P. Casals. Enregistrement de 1937)

Paul Bazelaire[6], professeur de violoncelle au Conservatoire de Paris, est du même avis qu’Alexanian. D’ailleurs, on sent que le vibrato est pour lui un geste habituel, que l’on doit travailler au même titre qu’un violoncelliste travaillera sa technique d’archet par exemple, afin de le perfectionner. « Du vibrato, nous dirons simplement que c’est une grossière erreur de le laisser pousser à sa guise. C’est ainsi que nous avons une collection monstrueuse de mauvais vibratos qui étranglent le son, altèrent l’expression- la rendent, tantôt d’une fébrilité extrême, tantôt d’une nonchalance désespérante- et qui annihilent complètement les plus belles qualités expressives de main droite.

Le vibrato doit se travailler, se discipliner, s’organiser, et il devient alors notre puissant auxiliaire, non seulement dans le domaine expressif, mais aussi dans celui de la libération complète de la sonorité ».

[youtube]http://youtu.be/B0ij7hOgvIk[/youtube]

(C. Saint-saens. Sonate pour violoncelle n°1. P. Bazelaire. Enregistrement de 1934)

A partir de cette époque (1928) le vibrato s’imposera et nombreux seront les instrumentistes à cordes à vibrer de manière continue.


[youtube]http://youtu.be/JfaKw–zVvo[/youtube]
(R. Schumann. Concerto pour violoncelle en la min. Pierre Fournier. Enregistrement de 1966)

[youtube]http://youtu.be/fNCeYKfAOZI[/youtube]

Jean-Baptiste Valfré


[1] Joachim, Joseph. Violinschule. p. 93-96.

[2] Auer, Léopold. Violin Playing As I Teach It. p. 58-63.

[3] Cf  annexe Quelques enregistrements de différents élèves de Léopold Auer.

[4] Alexanian, Diran. Traité théorique et pratique du violoncelle. p. 96-97.

[5] ob. cit. p. 96-97.

[6] Bazelaire, Paul. L’Enseignement du Violoncelle en France. p. 17-18.

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