Le vibrato, point trop n’en faut…! (2/2)

Après avoir étudié les méthodes de la première partie du 19ème siècle, voyons maintenant celles de la deuxième moitié de ce siècle avec les méthodes de deux grands violonistes Allemands : Ferdinand David et Joseph Joachim.

 

Violin school. Ferdinand David. (1888) [1]

Le « Vibrato(Bebung) est produit en bougeant le doigt un petit peu en dessus et en dessous de la note juste. […] Le vibrato peut être lent ou rapide mais ne doit pas être utilisé trop fréquemment et sans raison. Dans l’exercice suivant, le degré de rapidité du vibrato est indiqué par ce signe : A1 »A2

Comme nous allons le voir ci-dessous, l’ombre de Spohr (David fut un de ses nombreux élèves) plane sur cette méthode. On retrouve par exemple les quatre vitesses de vibrato exposées dans sa méthode.

Violinschule. Joseph Joachim. (1905) [2]

Même si cette méthode a été publiée en 1905 (Joachim avait alors 74 ans), elle est représentative de la technique de violon de cette deuxième moitié du 19ème siècle.

Pour Joachim, le vibrato, comme le port de voix est « le plus important des moyens d’expression de la main gauche. » Il reprend la définition de Spohr à propos du vibrato [3]: « Lorsqu’un chanteur chante sous l’impulsion de la passion, ou lorsqu’il pousse sa voix jusqu’au summum de sa puissance, il se produit, dans cette voix, un tremblement semblable aux vibrations d’une cloche frappée avec force. […] On peut ajouter encore, à cet exposé du vieux maître, quelques conseils d’exécution. Ainsi, les déviations d’intonation qui donnent le vibrato ne doivent pas être produites par un tremblement convulsif de la main ou même du bras, mais bien,-selon les exigences de l’expression- par des balancements plus ou moins rapides de la main sur un poignet absolument souple ». Le chapitre se termine sur la fameuse mise en garde : « […] on ne saurait assez prémunir l’élève contre son emploi trop fréquent ou erroné. Un violoniste de goût, et de sentiment sain, regardera toujours la sonorité pleine comme la seule normale, et n’emploiera le vibrato que là où les nécessités de l’expression l’exigent impérieusement ».

[youtube]http://youtu.be/EeVFYA0Duss[/youtube]

[youtube]http://youtu.be/i3wysuAIDGc[/youtube]

[youtube]http://youtu.be/f-p8YeIQkxs[/youtube]

 Ces enregistrements datent de 1903-1904. Joachim était alors âgé de 72 ans.

 

The Technique of Violoncello Playing. Edmund Van Der Streaten. (1905) [4]

Comme pour la méthode de Joachim, l’auteur cite souvent des ouvrages anciens. On sent ici aussi l’influence de l’école Allemande car outre Sphor, il cite souvent le grand violoncelliste Romberg.[5] Ajoutons que cette méthode est une des première à préconiser l’emploi de la pique pour tenir le violoncelle.

On parle du vibrato dans le chapitre 11 Graces or Ornementations. Le vibrato fait partie pour Van Der Streaten des ornements de base.

« Le Vibrato ou Close Shake

Le mot Close Shake, même s’il est toujours utilisé, est de plus en plus remplacé par le terme Italien Vibrato ; le mot tremolando serait plus approprié. On réalise le vibrato en pressant le doigt correspondant à la note qui doit être embellie, contre la touche. Pendant ce temps, la main gauche oscille de haut en bas. La vitesse des oscillations doit être en rapport avec le contexte musical. On ne mettra jamais assez en garde l’étudiant contre l’usage intempestif du vibrato, car trop de vibrato est aussi répréhensible à l’instrument qu’à la voix. Romberg disait que le vibrato (durant la deuxième moitié du 18ème siècle) était si apprécié qu’il était utilisé sur chaque note quelle que soit sa valeur. Cet usage intempestif produisait un des effets les plus désagréables et larmoyants, et on ne peut qu’être reconnaissant qu’un goût supérieur ait mis fin à ces abus ».

The Violin: How to Master It. Elias Howe. (1880) [6]

“Le Close Shake

Le Close Shake est une légère altération de l’intonation produite par un mouvement du doigt sur la corde sans pour autant la quitter. C’est l’allié du soliste à condition qu’il ne l’utilise pas perpétuellement. En effet, certains solistes vibrent tellement qu’il semble qu’il est impossible pour eux de jouer une note claire, stable et pure sans ce vibrato (tremola) perpétuel. Le son ainsi produit nous fait penser à un mauvais esprit (evil spirit) ou un fantôme obsédant (haunting ghost) venant gâter la beauté du son… »

Méthode de violon. Charles Auguste de Bériot (1870) [7]

Ce violoniste est un des fondateurs de la technique Franco-Belge. Cette école se caractérisera dans quelques années par l’utilisation constante du vibrato. Pour l’instant, Bériot est du même avis que ses contemporains. Dans le chapitre Des sons vibrés, l’auteur écrit :

« On entend par sons vibrés une certaine ondulation ou frémissement des notes tenues qui dans le chant indique l’émotion de l’âme transmise par la voix. Le son vibré est une qualité chez l’artiste qui sait en ménager les effets et s’en abstenir à propos, mais il devient un défaut quand on en fait un usage trop fréquent. Cette habitude involontairement acquise dégénère en un chevrotement ou tremblement nerveux qu’on ne peut plus maîtriser, ce qui produit une monotonie fatigante. La voix du chanteur comme la belle qualité de son du violoniste s’altèrent par ce défaut capital. Ce mal est d’autant plus dangereux qu’il est encore augmenté par l’émotion naturelle qui s’empare de l’exécutant lorsqu’il paraît en public. Dans l’art de l’exécution, il n’y a de bonne émotion que celle que l’artiste se donne, mais lorsqu’il ne peut la diriger, elle l’emporte toujours au-delà des limites du vrai. Qu’il soit chanteur ou violoniste, chez l’artiste dominé par cette fièvre de produire de l’effet, le son vibré n’est plus qu’un mouvement convulsif qui dénature la justesse d’intonation et le fait tomber ainsi dans une exagération ridicule. Il ne faut donc employer les sons vibrés que lorsque l’action dramatique l’exige ; mais l’artiste ne doit pas s’attacher à acquérir cette dangereuse qualité dont il ne doit user qu’avec la plus grande sobriété. Presque tous les violonistes qui font un usage trop fréquent des ports-de-voix abusent des sons vibrés ; l’un de ces défauts entraîne inévitablement l’autre. L’affectation qu’on apporte dans l’emploi de ces éléments rend le jeu de l’artiste maniéré, exagéré, car il donne au morceau plus d’expression que la vérité ne le comporte.

Signes explicatifs des sons vibrés employés dans les trois degrés d’expression :

Expression douce A4              Moyenne  A3         Forte A5  ».

A6

Méthode complète de violoncelle. Hippolyte Rabaud (1877)

Pour finir ce tour d’horizon du vibrato au 19ème siècle, arrêtons-nous un instant sur cette méthode de violoncelle. Alors que les autres méthodes de cette époque parlent uniquement du vibrato de main gauche, celle-ci n’en parle pas du tout. Plus surprenant encore, elle évoque le vibrato d’archet (tremolo) qui doit servir, selon son auteur, uniquement lorsqu’on doit jouer de la « musique ancienne » : « Dans la musique ancienne, le tremolo, qui souvent n’était indiqué que par le signe  P-1  signifiait qu’il fallait seulement onduler le son avec l’archet ».

L’auteur précise qu’il ne faut pas le confondre avec le tremolo (terme toujours utilisé actuellement) qui « consiste à répéter le plus rapidement la même note sans tenir compte du nombre de fois qu’elle est représentée ».

A7

Illustration du tremolo (au sens actuel)

A la lecture de ces méthodes, on voit que les principes concernant le vibrato (c’est avant tout un ornement, il ne doit pas être trop utilisé…) exposés par des musiciens comme Baillot et Spohr au début du 19ème siècle continuent à être enseignés. Toutefois, on peut dire que la technique du vibrato tend à s’uniformiser. En effet, alors qu’on trouvait dans les méthodes du début du 19ème différents moyens pour réaliser le vibrato, on constate que le vibrato de main gauche s’impose au profit du vibrato d’archet et devient la seule manière de vibrer et ce, quelles que soient les écoles de violon.

Jean-Baptiste Valfré

 


[1] David, Ferdinand. Violin school. p. 45.

[2] Joachim, Joseph et Andreas Moser. Violinschule. p. 93-96.

[3] Voir à ce sujet l’article Le vibrato point trop n’en faut (1/2)

[4] Van Der Streaten, Edmund. The Technique of Violoncello Playing. p. 136.

[5] Romberg fut, un des plus grands virtuoses de son époque. Il serait un des premiers à avoir utilisé le 4ème doigt (auriculaire) dans les positions aux pouces, et quelques fois c’est bien pratique.

[6] Howe Elias. The Violin: How to Master It. p.72-74. 

[7] Bériot (de), Charles Auguste. Méthode de violon. p.220.

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