L’entrée en guerre et la fin de l’Empire

L’ouverture du film La Nouvelle Babylone met en scène l’entrée en guerre de la France contre la Prusse le 19 juillet 1870. Le traitement de cet évènement par les deux réalisateurs Russes doit nous interroger. En effet, la tonalité donnée dans la mise en scène donne à penser une certaine euphorie, une certitude quant à la victoire finale et une envie d’en découdre. Cette scène de liesse populaire entourant le départ à la guerre se traduit aussi dans la presse de l’époque. Ainsi, le Figaro du 19 juillet rapporte que des « Dames offrent bouquet ont prononcé chaud discours en gare[1]» Les déclarations d’allégresse et de ferveur caractérisent les opinions quant à l’entrée en guerre. Le journal Le Gaulois, prisé par le milieu mondain parisien déclare dans une rubrique intitulée « Le départ des troupes » : « On acclamait les grenadiers, qui répondaient aux cris de la foule par des chants patriotiques, la Marseillaise surtout[2]» L’élan patriotique et l’engouement peint dans la première scène du film traduisent ainsi de façon fidèle l’état et la perception de l’opinion le 19 juillet 1870.

L’image du peuple acclamant les troupes partant au combat appelle à d’autres interrogations. La foule amassée est faite en totalité de bourgeois, affublés de chapeaux, de bijoux et de vêtements permettant de reconnaître aisément leur classe sociale. Une majorité de femmes composent la foule, on observe aussi la présence de deux hommes et d’un enfant. Cet assemblage particulier répond à plusieurs nécessités. D’une part, il est logique que les femmes, ne prenant pas part au combat, constituent la majorité de la foule haranguant les soldats. D’autre part, la présence de ces deux hommes de la haute bourgeoisie peut être mise en lien avec la rubrique « Ouvrier et soldat » du Figaro du 19 juillet. L’auteur de cet article écrit :

« La scène change à mesure que ces braves enfants du pays traversent les différents quartiers de cette immense ruche d’hommes ; mais, éclatant ou contenu, le sentiment qu’on éprouve à regarder passer l’honneur de la France est, au fond, toujours et partout le même : qu’il se traduise par des vivats ou une émotion muette, c’est partout et toujours l’admiration et la reconnaissance de ceux qui restent faisant cortège à ceux qui partent. Il s’y mêle chez les riches et les heureux de ce monde, un peu de confusion involontaire, en se voyant moins utiles à la patrie commune que ces intrépides cohortes d’ouvriers et de paysans, en s’avouant tout bas que, spectateurs sympathiques dans la lutte qui va commencer, ils n’ont qu’un rôle, en définitive, celui d’applaudir à la gloire de nos armes, tandis que leurs frères obscurs ont un devoir, celui de faire triompher la cause de la justice et de la civilisation[3]»

On peut faire le lien entre la description du Figaro et la mise en scène de la première scène de la Nouvelle Babylone. La bourgeoisie qui se doit « d’applaudir à la gloire de nos armes, tandis que leurs frères obscurs ont un devoir » est présentée en ce sens de façon caricaturale. Regroupée derrière une barrière qui les sépare des soldats tant physiquement que symboliquement, la foule s’agite frénétiquement et de façon quasi-mécanique. Les visages sont contractés, serrés et figés dans des expressions de haine et de cri. Ces techniques et procédés filmiques utilisés par la FEKS depuis 1926, année de leur maturation artistique, et tendant à exprimer la narrativité du film par l’esthétisme, donnent pour la première scène, la tonalité artistique des scènes suivantes. L’image des bourgeois vociférant leur donne une image de carnassier, ponctuée par les cris et les appels : « Morts aux Prussiens ! Saignez-les à Berlin ! Saignez-les ! La guerre ! »

Si l’on revient aux procédés cinématographiques utilisés, la première image du film représentant le train est marquante. L’avant du train, affublé de drapeaux français et de couronnes de fleur illustre cet élan patriotique. Le tableau idyllique est néanmoins tempéré par le flux de fumée émanant de la cheminée et par l’arrière plan obscur qui rappelle l’image d’un champ de bataille. Cette image annonce l’issue du conflit, l’engouement guerrier et la fièvre patriotique française se heurtant finalement à la force de l’armée prussienne.

Si l’image de la bourgeoisie est largement mise en avant, les soldats ne sont représentés que de façon rapide et évasive à la fin de scène. Ils apparaissent en arrière plan sans être clairement figurés. De cette manière, ils sont dépeints tels des fantômes sans figure.

Finalement, la scène du départ à la guerre est traité de façon fidèle historiquement parlé. Les témoignages tirés des journaux de l’époque évoquent de la même manière un fort engouement et un élan patriotique important. Cependant, les deux réalisateurs traitent l’évènement en insistant, en mettant en exergue la différence entre l’excitation de la foule et l’indifférence des soldats montant dans le train. De cette façon, tout se passe comme si la guerre était l’affaire des bourgeois. A cet égard, l’image de l’enfant, qui, à la manière des autres bourgeois composant l’assistance, vocifère et crie, montre cet attrait pour la guerre qui est, par essence, caractéristique de la bourgeoisie et qu’a contrario, le petit peuple en est toujours la première victime.

La séquence suivante s’ouvre sur un spectacle dans un cabaret bourgeois. Les clients boivent au succès de l’armée française et une représentation théâtrale est même donnée à ce sujet. Cette épisode est intéressant car il laisse entrevoir le traitement allégorique d’un fait historique. Sur la scène, une actrice porte un casque à pointe, elle symbolise l’armée prussienne et est allongé par terre. Au dessus-d’elle, une chanteuse, portant un bouclier et un drapeau français incarne la victoire prochaine de la France :

Capture d’écran 2014-04-15 à 17.00.51

Finalement, durant la fête, un homme vient annoncer la défaite de l’Empereur à Sedan et le rideau tombe sur la France vaincue :
Capture d’écran 2014-04-15 à 17.05.40
Les deux réalisateurs suggèrent par l’allégorie la défaite de la France et la fin de l’Empire. Ce traitement particulier donne de la force à l’esthétisme et à la narrativité du film.

[1] Le Figaro – 19 juillet 1870

[2] Le Gaulois – 19 juillet 1870

[3] Le Figaro – 19 juillet 1870

Comme précédemment dit, la séquence se déroule dans un cabaret bourgeois. Les clients célèbrent l’armée française, et la représentation théâtrale met en scène l’armée prussienne dominée par la France. La caméra alternent plans larges et plans moyens sur les différents protagonistes du film.

La partie musicale est interprétée au piano. Celui-ci joue une sorte de valse. La main gauche exécute une basse alternée, entre Fa et Sib , puis entre Sib et Mi. La main droite interprète un thème en deux parties, sur l’harmonie des accords employés. La musique est entraînante, et donne le sentiment de faire partie intégrante du spectacle. Le piano – au fur et à mesure de la séquence – se fait de plus en plus présent. La musique de cette séquence retranscrit l’ambiance de cabaret et de festivités, mais également – par son aspect frénétique – le côté humoristique et burlesque du spectacle. La cadence finale est simultanée à la fin de la représentation. Le pianiste prolonge l’accord final comme s’il était totalement intégré à la séquence.

La pièce musicale suivante se déroule sur trois séquences. Elle débute sur les images du grand magasin « La Nouvelle Babylone », puis sur celles des prolétaires besognant, et à nouveau sur celles du magasin. La première des trois séquences met en scène les ventes et la frénésie des clients, incarnés par les bourgeois. La caméra filme les ombrelles fixées sur un mat qui tourne, puis fait un plan large sur la clientèle largement constituée de femmes. La caméra effectue ensuite un gros plan sur un tambour, et enfin un plan moyen sur le patron du magasin. La séquence suivante met en scène les prolétaires peinant au travail. On peut ainsi voir représentés différents corps de métiers : des couturières, un cordonnier, et des blanchisseuses. Les ouvriers ont le visage fermé et travaillent de manière mécanique. La dernière séquence se déroule à nouveau au grand magasin. La clientèle grouille, tout le monde semble frénétique. Les femmes s’arrachent les différents articles. La caméra effectue un plan sur la vendeuse Louise. Elle annonce que les prix sont très bas, et ne semble pas avoir une minutes pour elle.

Cette partie du film met en opposition la vie des prolétaires et celle des bourgeois. Les bourgeois sont représentés faisant leurs achats dans une hystérie généralisée. La séquence met en scène leur goût pour le luxe. Les prolétaires peinent au travaille, et exécutent leur tâche de manière automatique et abrutissante. L’opposition mise en scène par les réalisateurs, est retranscrite de manière fidèle par le pianiste. Celui-ci débute sa pièce par un ostinato, joué à la main droite. L’aspect circulaire de cet ostinato, peut faire référence au présentoir des ombrelles qui tourne en continu. Le piano exécute ensuite une sorte de french cancan. Le pianiste joue de manière très vive. Cette interprétation peut traduire la frénésie de la clientèle. L’air très gaie, presque frivole, est représentatif de l’état d’esprit des bourgeois. Dans la seconde séquence, le pianiste refait appel à son ostinato, mais cette fois-ci, sur les images de la machine à coudre. La circularité, fait ici référence à la roue de la machine qui tourne, et à la cadence de tâche effectuée par les ouvrières. La musique est cette fois, beaucoup plus en retrait. L’ostinato est remplacé par un balancement joué à la main gauche, dans les graves. La main droite est beaucoup moins volubile. Le pianiste, par son interprétation tente de retranscrire la morosité de la vie des prolétaires. Le sentiment de lassitude est accentué par le visage fermé, et inexpressif des travailleurs. La dernière séquence se déroule à nouveau dans le grand magasin, et exhale les mêmes sentiments que précédemment.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *