Afin de parfaire leur composition, les deux cinéastes investissent Paris à la recherche d’images du Paris de la fin du 19ème siècle. Leurs recherches ne s’arrêtent pas au témoignages visuels d’un temps passé. L’oeuvre d’Emile Zola est ainsi largement sondée par le collectif russe, toujours dans une même volonté, celle de retranscrire l’ambiance de l’époque.
A cet effet, les écrits de l’écrivain français apparaissent à l’écran dès les premières séquences. La première scène, représentant le départ au front des soldats aux cris d' »à Berlin ! » rappelle la fin de Nana. Cette dernière, héroine du roman éponyme de Zola, meurt alors que la liesse populaire s’ébroue dans les rues en criant : « A Berlin ! à Berlin ! à Berlin ! «
On retrouve de nombreuses occurrences au personnage de Nana au début du film. On la reconnait dans la danseuse descendant d’un nuage, elle symbolise la France avec, en dessous d’elle, une femme portant un casque un pointe, allégorie de la Prusse :
L’utilisation du personnage du roman d’Emile Zola n’est pas un hasard. Dans l’oeuvre de Zola, c’est une prostituée qui devient ensuite une figure du tout-Paris, atteignant son heure de gloire lors d’un concours hippique auquel assiste Napoléon III. Elle tombe ensuite dans l’oubli et meurt au moment de l’entrée en guerre de la France contre la Prusse.
De cette manière, Nana est aussi représentative de la déchéance à venir de la France. Son utilisation par les deux réalisateurs indique l’issue du conflit, la fin de l’Empire et la désillusion de la bourgeoisie parisienne.
De même, l’image des bourgeois retranchés à Versailles et spectateurs des combats faisant rage dans Paris rappelle Karl Marx qui, dans son ouvrage La Guerre civile de France, parle de ces bourgeois « traitant la guerre civile telle une plaisante distraction« . Cette séquence est présente aussi sous forme de tableau :
La chute et l’abaissement de la France et de Paris est un thème repris ensuite. Dans La Débâcle de Zola, Henriette, héroine du roman, décrit Paris : « Il resta longtemps encore là-haut, immobile et mince, sanglé dans son uniforme, noyé de nuit, s’emplissant les yeux de la monstrueuse fête que lui donnait le spectacle de la Babylone en flammes. » On lit ici une référence au titre du film, La Nouvelle babylone. Si le lien entre le choix du titre et cette phrase tirée de Zola n’est pas forcément évident, cela indique tout de même une continuité entre les images et les mots utilisés par l’écrivain français et les thèmes de La Nouvelle Babylone. Dans tous les cas, les occurrences à l’oeuvre d’Emile Zola sont nombreuses.
Citons notamment L’Assommoir qui met en scène des blanchisseuses :
Ou encore cette séquence, qui met en scène des bourgeoises au milieu d’étoffes et de dentelles, toute droit sortie de Au Bonheur des dames :
Dans les deux cas, le souhait des réalisateurs est d’opposer deux mondes, deux réalités, deux Paris. Le film tend à résider dans ce contraste entre la vie de la bourgeoisie et du prolétariat.
De plus, si Zola sert de référence à l’élaboration d’un Paris symbolique plus ou moins fantasmé, l’utilisation de romans autobiographiques ou de travaux historiques sur la Commune de l’époque est aussi notoire. Ainsi, on peut retrouver des occurrences à L’insurgé de Jules Vallès ou à L’Histoire de la Commune de 1871 de Prosper-Olivier Lissagaray. Dans tous les cas, l’utilisation de récits et de témoignages historiques témoignent d’une volonté de se rapprocher d’un réel, de faits, et d’insérer la trame narrative dans un récit historique qui se veut fidèle.
Le récit cinématographique de La Nouvelle Babylone met en scène des pesanteurs, des mécanismes individuels, collectifs, une réalité sociale du Paris de la fin du 19ème siècle. Ici, le film nous donne, comme le dit Arlette Farge dans son article dans De l’Histoire au cinéma, une lecture de l’histoire, celle des réalisateurs russes. L’utilisation des procédés artistiques cités plus tôt appréhende un réel passé, teinté d’idéologie et de parti pris, mais qui renseigne tout de même sur l’utilisation faite de documents, oeuvres littéraires ou picturales, que l’on peut considérer comme des sources pour mettre en scène l’histoire.