J’ai été interviewé à la télé!!! (retour d’expérience)

Comme expliqué dans mon précédent billet, France 3 (attention : National, pas Régional!) m’a sollicité pour une interview, rapport aux affaires en cours : PSA, Doux, Unilever, etc.

Tout a commencé par un mail de Camille B. :

Bonjour !

Je me permets de vous contacter en urgence : je suis journaliste au service éco de la rédaction nationale de France 3, ancienne élève de la rue Saint-Guillaume (promo 2000 !), et la rédaction en chef vient de me demander un dossier pour diffusion mercredi soir, sur le thème : “Doux, PSA, Elephant and co : quelle marge de manœuvre pour Arnaud Montebourg”. Vaste sujet !!! Ma question est simple : êtes vous actuellement sur Paris, et pourrions nous vous interviewer dans le créneau qui vous conviendrait d’ici mercredi 15h (ensuite je serai en montage), sur cette problématique de l’ingérence de l’Etat dans les plans sociaux et la réaction des grands patrons (celui d’Unilever par ex) qui alertent sur le fait que cela risque de décourager les invetsissements étrangers en France ? J’ai lu votre blog, pris connaissance de vos interviews précédentes, c’est passionnant et je suis sûre que ce serait une vraie valeur ajoutée pour le sujet. Vous pouvez me joindre au 06********. Un très grand merci, à très vite j’espère,

Je précise le contexte de réception du mail : après dix jours sur des transats espagnols (obtenus de haute lutte) à lire des livres (de langue française) ne parlant pas (surtout pas!) d’économie, je roulais tranquillement, sur des autoroutes espagnoles, d’abord, françaises, ensuite, pour réintégrer mes pénates.

Je notais en passant, à la lecture du mail, le besoin de Camille B. de se signaler, au sens de Spence, en m’indiquant, douze ans après sa sortie du système éducatif, qu’elle était passée par la rue Saint-Guillaume. Une sorte de code secret entre personnes informées – la rue Saint-Guillaume, c’est Science-Po Paris. (Personnellement, je suis passé ce matin, rue Magenta, à Poitiers, pour acheter une baguette de pain. Mais parler de la rue Magenta, à Poitiers, ce n’est pas comme parler de la rue Saint-Guillaume, à Paris : ce n’est pas un signal au sens de Spence. C’était juste pour accompagner ma salade. Pourtant, le pain est bon).

Mais, magnanime, l’esprit quelque peu engourdi par mon séjour espagnol sans doute (ses bières, son rosé, sa sangria), je me suis dit que, pourquoi pas, papoter un peu des élucubrations de notre nouveau gouvernement, ça me dégourdirait l’esprit. J’acquiesçais, donc, en précisant cependant que me rendre sur Paris ne me convenait pas trop, qu’un topo via Poitiers devrait être possible. Ce fut possible.

Quelques échanges de mails/textos plus tard, j’obtenais enfin les questions que Camille B. voulait me poser, questions dont je vous ai fait part dans mon précédent billet. J’y ajoute mes réponses :

  • Des dossiers très chauds attendent le gouvernement en cette rentrée : Doux, PSA, Elephant…. Le ministre du redressement productif Arnaud Montebourg multiplie les déclarations d’intention. Mais l’Etat peut-il réellement intervenir de manière directe dans tous ces dossiers brûlants ?
Bof, bof. L’activisme d’Arnaud de Montebourg ressemble quelque peu à l’activisme du précédent président (quel est son nom, déjà?). Sur ce point, il y a plutôt continuité. Pour rappel, on estime que, chaque jour (j’insiste : chaque jour), plusieurs milliers d’emplois sont créés et détruits. Si notre ministre du redressement productif veut s’occuper de chaque emploi détruit, il risque d’avoir un problème d’agenda.
Plus sérieusement : que l’Etat s’intéresse à ces cas qui défraient la chronique, rien de plus normal : l’Etat édicte des règles, il convient de veiller à leur respect. De s’interroger, aussi, à l’évolution des règles, si elles ne sont pas satisfaisantes. Mais, dans ce cas, pour ne pas renouveler les erreurs passées (continuité, toujours), il conviendrait d’y réfléchir, comment dire, à tête reposée.
  • Quelle est la marge de manœuvre des politiques face à des problématiques économiques qui dépassent largement le cadre des frontières nationales, et qui concernent des entreprises privées ?
Question non vraiment posée comme ça ce matin (Paris-Poitiers, c’est loin). Il s’agissait plutôt de savoir si l’Etat pouvait faire quelque chose. J’ai dit oui, bien sûr. En insistant sur le fait que les problèmes à régler étaient des problèmes structurels (croissance, chômage), qu’il fallait donc des réponses adaptées (innovation, formation des personnes), qui ne produiraient leurs effets que dans 5, 10 ou 15 ans. Ce qui pose un problème de décalage, souvent, entre agenda politique et agenda économique. C’est un petit bout de ce petit passage qui a été repris.
  • Le PDG Monde d’Unilever, à propos du dossier Fralib, s’ext exprimé dans les Echos, indiquant que le gouvernement, par son ingérence excessive, risquait de décourager les investissements étrangers en France. C’est un vrai risque ?
Réponse en deux temps.
Les dirigeants d’entreprise sont de mauvais économistes (la réciproque est vraie). La France est un pays attractif, l’un des plus attractifs d’Europe, même. Pour des éléments de preuve, consulter les statistiques. Les entreprises s’intéressent avant tout aux facteurs structurels (qualité de la main d’oeuvre, des infrastructures, des compétences des sous-traitants, etc.), plutôt moins aux déclarations des dernières vingt-quatre-heures du nouveau sous-ministre.
Ceci dit : le cas Unilever n’est pas inintéressant, il pose la question de la stabilité du système de propriété intellectuelle. Si le gouvernement oblige à la rétrocession de la marque l’Eléphant à la Scop, ça va être le bazar en France. Mais le sachant, le gouvernement ne s’y risquera pas.
  • Lionel Jospin disait : « l’Etat ne peut pas tout ». Il avait raison ?
Economiquement, oui, politiquement, non (je vous laisse méditer, il est tard).
  • Le rôle de l’Etat est-il d’intervenir, d’empêcher, d’interdire, ou plutôt de « guérir » en améliorant la prise en charge des salariés qui perdent leur emploi, leur reconversion, leur indemnisation etc… ?
Le rôle de l’Etat est de s’occuper des personnes qui souffrent le plus, les salariés peu qualifiés, donc, prioritairement. Agir après coup, c’est trop tard. L’enjeu est donc d’anticiper, de mettre le paquet sur la formation en amont, de telle sorte qu’une personne qui perd son emploi puisse en retrouver rapidement un autre. Vouloir qu’aucun emploi ne disparaisse est stupide. Des emplois disparaîtront. D’autres seront créés. L’enjeu est de gérer les transitions, les flux, plus que le stock.
Bref. Je ne dis pas que mes réponses sont particulièrement innovantes (l’effet retard du rosé espagnol, sans doute). Mais : j’ai passé quelques minutes à échanger des mails, textos, coups de fil avec Camille B. sur mon trajet de retour, plutôt fatiguant. J’ai perdu ce matin une bonne heure pour l’interview (trajet aller, interview, trajet retour). Tout ça pour environ dix secondes inintéressantes sur France 3. Avec, en prime, des propos stupides d’un dirigeant d’entreprise (Clairefontaine, de mémoire), juste après moi, histoire de contrebalancer, sans doute. Coût d’opportunité énorme, pour moi (j’aurais pu dormir, pendant ce temps).
Conclusion : expérience pas inintéressante, sur la façon dont se construit l’information. Sûr que les journalistes ont un avantage énorme sur les blogueurs : ils sont professionnels.

10 commentaires sur “J’ai été interviewé à la télé!!! (retour d’expérience)

  1. Question subsidiaire : vaut-il mieux être passé par la rue Saint-Guillaume que par la rue Saint-Denis pour appréhender la réalité de l’existence?

    Bon, je retourne écouter Mozart qui est d’une douceur…

  2. Je vous rejoins et abonde. Le pain de la rue Magenta n’est pas bon, il est excellent.

    De plus, je site votre conclusion :
    Sûr que les journalistes ont un avantage énorme sur les blogueurs : ils sont professionnels.
    Et je réponds la citation :
    N’oubliez jamais que ce sont des professionnels qui ont construit le Titanic et des amateurs l’Arche de Noé.

    Merci pour vos réflexions.

  3. J’avoue être très perplexe quant à cette affirmation:

    J’ai dit oui, bien sûr. En insistant sur le fait que les problèmes à régler étaient des problèmes structurels (croissance, chômage), qu’il fallait donc des réponses adaptées (innovation, formation des personnes), qui ne produiraient leurs effets que dans 5, 10 ou 15 ans.

    Si la France a surement de nombreux problèmes structurels (et je signerais probablement la plupart des réformes que vous pourriez proposer), il me semble bizarre que vous mettiez de coté les problèmes conjoncturels, qui sont quand même difficiles à nier. On peut éventuellement arguer qu’en tentant de les corriger, on ferait plus de mal que de bien mais ce n’est pas non plus ce que vous dites.

    • en fait, je me concentrais sur le rôle du Ministère de Montebourg. Les politiques conjoncturelles sont évidemment essentielles en ces temps de crise.

  4. Le sujet de mon billet http://pierreratcliffe.blogspot.fr/2012/08/aout-2012-le-plan-socialiste-se-precise.html n’est pas pour ou contre les socialistes actuels au pouvoir. Sarkozy et l’UMP n’ont pas fait mieux – loin de là – et feraient-ils mieux aujourd’hui? (voir ce qu’en pensaient des sympathisants du modem en 2008), et visiter ces liens vers “contribuables associés”. Mais mon propos c’est de mettre en lumière le dilemme permanent collectivisme-libéralisme. L’économie moderne n’est-elle pas principalement les entreprises, la production de biens et services et leur consommation, les emplois et les salaires, la compétitivité et les profits, l’innovation, la formation aux nouvelles technologies, etc.? L’économie n’est pas une science quoiqu’en disent des économistes. L’économie s’apparente plus aux sciences sociales qu’à la SCIENCE. Partant des mêmes prémisses, des économistes développent des visions totalement opposées de la manière d’organiser le fonctionnement de la société. L’emploi des mathématiques est excessif, et les statistiques base de connaissances et d’analyses ne disent pas tout; sur ce point lire ou relire Hayek “scientisme et sciences sociales 1953” (traduction Raymond Barre)..

    Ces quelques citations reflètent l’imaginaire collectif:
    > Un économiste est un homme qui énonce des évidences en des termes incompréhensibles. Alfred A Knopf
    > Si tous les économistes étaient mis bout à bout, ils n’arriveraient pas à une conclusion. George Bernard Shaw
    > L’économie est très utile comme source d’emploi pour les économistes. John Kenneth Galbraith

  5. merci pour ton témoignage ! ça fait toujours plaisir à lire, surtout quand on l’a vécu… je suis content de voir que ça n’arrive pas qu’à moi de perdre plusieurs heures pour 10 sec. !
    et ravi de voir que tu es revenu de vacances !

  6. Ping : La situation économique de Poitou-Charentes | Olivier Bouba-Olga

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