Comment savoir si un traitement est efficace? Introduction au RCT

mechanismComme j’ai déjà tenté de l’expliquer dans un précédent article, évaluer l’efficacité d’un traitement est loin d’être un problème facile. La première étape est d’avoir une idée plus ou moins précise du mécanisme d’action possible mais ça n’est évidemment pas suffisant. Le corps humain étant complexe, des surprises peuvent toujours survenir comme des effets secondaires indésirables. C’est néanmoins un excellent point de départ qui peut éviter de dépenser du temps et de l’argent inutilement. Mais contrairement a une idée répandue, les scientifiques ne discriminent pas forcément un traitement si son mécanisme d’action est inconnu. Il est fréquent que des traitements soient testés sans qu’on en connaisse le mécanisme. Un exemple historique qui me vient en tête est l’efficacité du citron pour le traitement du scorbut chez les marins, où le rôle de la vitamine C fut compris bien plus tard.

Mécanisme d’action connu ou non, le problème reste le même: comment mettre en évidence un effet thérapeutique? Pour éviter les biais de raisonnement -pour ne citer que les plus fréquents: biais de confirmation, régression à la moyenne ou encore confusion entre cause et corrélation- il faut mettre en place un protocole judicieux qui permette de garantir que l’effet observé est bien provoqué par le traitement administré. Pour cela, les scientifiques disposent d’un outil appelé essai randomisé contrôlé, ou en anglais randomized control trial (RCT).

Essai randomisé contrôlé (RCT)

Un RCT est un essai qui possède les caractéristiques suivantes: la thérapie est comparée à une autre (éventuellement un placebo, le groupe suivant ce traitement est généralement appelé le groupe “contrôle“), l’étude est menée en “double aveugle” et il est “randomisé“. En double aveugle signifie que ni le thérapeute ni le patient ne savent si le traitement appliqué est celui que l’on cherche à tester. Le double aveugle permet de minimiser l’influence des biais de type émotionnels (faire plaisir à son thérapeute) ou les croyances personnelles (“je suis sûr que traitement x marche!”). Randomisé ici signifie que l’assignation des personnes à un traitement ou un autre est faite au hasard, évitant ainsi les biais de sélections ou ceux que j’appellerais de “logiques”. Il me faut détailler un peu plus ce dernier point en prenant un petit exemple à la gomme. 

Le test des croissants

Avec des amis, je m’amuse parfois à faire de petites expériences scientifiques…reçues avec plus ou moins d’enthousiasme. Il se trouve donc qu’il y a deux boulangeries à proximité de l’appartement de mes amis et qu’ils prétendaient pouvoir faire la différence entre les croissants provenant de l’une ou de l’autre de ces boulangeries. Peu convaincu de leur assurance, je mis au point l’expérience suivante: j’ai acheté des croissants dans les deux boutiques, je leur ai fait goûter, et ils ont dû chacun me dire de quelle boulangerie ces croissants provenaient.

Notons d’abord qu’il n’existe pas de groupe contrôle ici, il ne s’agit donc pas tout à fait d’un RCT. Ensuite, on peut souligner deux erreurs dans ma démarche, la première c’est que l’expérience est en aveugle mais pas en double aveugle puisque je connaissais la provenance du croissant que je proposais. Je pouvais donc éventuellement les influencer, même involontairement (mon inconscient peut-être…). La deuxième erreur consiste à ne pas leur avoir expliqué au préalable que je leur présentais les croissants de manière aléatoire. Évidemment, ils cherchaient à deviner dans quel ordre j’ai présenté les croissants (“ah, je suis sûr que tu nous a mis que des croissants de la même boulangerie” et autres réflexions de ce genre) ce qui ne pouvait que fausser la donne. C’est cela je ne notais plus haut comme “biais de logique”. Notons qu’à mon grand désespoir, une personne trouva la bonne boulangerie à chaque fois, c’est-à-dire un 5 sur 5! Mais au fait, quelle est la probabilité qu’elle ait pu obtenir ce résultat au hasard? Sachant en plus qu’ils étaient trois à répondre, que devient alors cette probabilité?

Statistiques (et croissants)

Pour en revenir à notre RCT, l’efficacité du traitement est mise en évidence quand  l’amélioration dans le groupe testé par rapport au groupe contrôle est “statistiquement significatif”. Cela explique que la probabilité que les différences observées soient dues au hasard est très faible[ref]Je reviendrai plus en détail sur la question statistique dans une prochaine contribution.[/ref]. Dans le cas de nos croissants, comme il existe une chance sur deux de trouver la bonne réponse, la probabilité de tomber juste 5 fois de suite est d’environ 3% (1/2^5). Mais comme trois personnes répondaient, cette probabilité monte à peu près à 9%.

Que faire si un RCT ne peut être mis en place?

Dans bien des situations, il est impossible de réaliser un RCT. Par exemple, il est fréquent que le double aveugle ne soit pas possible. Songer à une thérapie comme l’ostéopathie: le praticien sera forcément conscient de la manipulation effectuée.

Notons qu’un RCT seul ne permet jamais de conclure définitivement. Habituellement, après un certain nombre de RCT sur le même traitement, des méta-analyses sont pratiquées: c’est-à-dire qu’on réunit l’ensemble des résultats obtenus dans les différents RCT et on regarde ce que cela donne. De plus, il existe d’autres types d’études possibles, notamment celles dites observationnelles et celles épidémiologiques.

L’étude observationnelle est parfois incontournable bien que scientifiquement peu fiable. C’est par exemple de cette manière qu’on arrive à détecter les sources d’intoxications alimentaires. On répertorie l’apparition des problèmes chez les personnes affectées et on essaie d’en déduire la cause commune ayant provoqué l’intoxication.

L’étude épidémiologique quant à elle est beaucoup plus rigoureuse. Elle consiste généralement à suivre une population large d’individus, de préférence sélectionnés de manière aléatoire, et sur une longue période. C’est par exemple de cette manière que les scientifiques peuvent aujourd’hui assurer avec une bonne dose de confiance que l’exposition aux ondes des téléphones portables n’est pas dangereuse pour la santé. L’étude interphone a suivi 10700 personnes dans 13 pays différents pendant plus de 10 ans pour conclure cela.

Problèmes éthiques

Cela peut paraître surprenant au premier abord mais le RCT a fait l’objet de nombreux débats éthiques. La question est plus simple à comprendre sur un exemple précis. Imaginons que vous pensez avoir trouvé une cure contre une maladie grave. Vous mettez alors en place un RCT où la moitié des patients recevront votre traitement révolutionnaire et l’autre moitié un vulgaire placebo. Cela revient donc à dire que vous privez un certain nombre de personnes, dans votre essai, d’un médicament dont vous pensez qu’il peut les sauver. Non assistance à personne en danger en quelque sorte.

Évidemment, on peut voir ce problème éthique de manière différente comme l’expose Dean Karlan dans une interview (cf. ci-dessous). Ne pas faire l’essai, ce serait priver les générations futures d’un nouveau traitement efficace. La véritable question à se poser est donc principalement de savoir si cette recherche doit être réalisée ou non; c’est à ce niveau, véritablement, que le problème éthique se pose.

Notons aussi que d’autres solutions ont été envisagées: dans le dernier exemple, il est possible d’administrer le médicament miracle qu’à ceux qui sont dans une situation désespérée. L’analyse statistique qui découle de cette forme d’essai contrôlé est néanmoins beaucoup plus difficile à réaliser mais pas impossible. Nous ne rentrerons pas dans les détails aujourd’hui.

Au delà des médicaments, des RCT partout?

Pour conclure, je voulais signaler cette excellente émission de radio réalisée par Ben Goldacre pour la BBC 4 qui propose de généraliser les RCT dans tous les domaines en particulier dans les décisions politiques. Je ne partage pas complètement son point de vue mais je trouverais cela intéressant et utile d’avoir des données scientifiques pour appuyer des positions politiques.


14 réflexions sur « Comment savoir si un traitement est efficace? Introduction au RCT »

  1. Olivier

    Petite faute de stat:
    “Mais comme trois personnes répondaient, cette probabilité monte à 9%.”
    =>
    “Mais comme trois personnes répondaient, cette probabilité monte à a peu prés 9%.”

  2. Ethaniel

    J’en profite pour donner la valeur exacte : 1-(1-(1/2)^5)^3, soit 2977/32768.
    On passe donc de 3,125 % (1 testeur) à environ 9,085 % (3 testeurs).

  3. Sceptique

    Il y a, maintenant, une prédictivité de l’action d’une molécule, car elle est sélectionnée pour sa similitude structurelle avec une famille déjà connue. De faibles différences sont susceptibles, soir de faire disparaitre des effets indésirables, soit d’améliorer de façon significative l’efficacité thérapeutique. Les essais à leurs différents stades sont alors entrepris, et si tout se passe bien, si la molécule constitue un progrès, même minime, un dossier de mise sur le marché est entrepris. Une fois qu’il est autorisé et lancé, le fabricant se croise les doigts en guettant les mauvais points que l’emploi par un grand nombre de patients va finir par renvoyer.
    Il est nettement plus rare qu’une molécule révèle fortuitement une efficacité imprévue sur une maladie. La démarche de vérification est alors entreprise, de zéro.

  4. sham Auteur de l’article

    Merci Ethaniel! j’avais fait effectivement l’erreur de multiplier par 3 la valeur obtenue pour 1 testeur, mon ami Laurent m’a remis dans le droit chemin! Puisqu’on entre dans les détails, une petite explication du calcul:
    La probabilité de ne pas avoir tout juste pour une personne est: (1-1/2^5) c’est à dire (1-la probabilité d’avoir tout juste).
    La probabilité pour que les 3 aient tous au moins une faute est : (1-1/2^5)^3
    La probabilité pour que au moins une personne ait tout juste est donc (1-(1-1/2^5)^3) et on retombe sur votre valeur.

  5. Airbag75

    Pourquoi considérer l’expérience en aveugle (et non en double aveugle) comme une erreur ? Ça peut être un choix délibéré pour diverses raisons (économique, impossibilité, convenance, rapidité, etc.) même si je suis d’accord pour dire que le double aveugle est plus rigoureux. Mais l’aveugle ne me semble pas une vraie erreur, non ?

  6. sham Auteur de l’article

    tu le dis toi-même, le double aveugle est beaucoup plus rigoureux. peut-être le futur article sur l’effet placebo te convaincra encore plus. une étude récente montre que le poids des mots est extrêmement important, j’en parlerai un peu plus à ce moment là, promis.

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  8. Ping : Vérifier ses intuitions en probabilités » Dmi (L. Signac)

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  10. Ping : Comment se débarasser une bonne fois pour toute de l’homéopathie? | Sham and ScienceSham and Science

  11. de Truchis de Varennes

    bonjour,
    je ne sais pas si vous vous intéressez toujours au sujet mais a presque 3 ans plus tard comment verriez vous une étude “solide” type RCT dans le domaine de …. l’ostéopathie .
    au plaisir de vous lire
    Barthélémy de Truchis de Varennes

  12. Remy Lamoureux

    Bonjour, je pratique la chrononutrition depuis 18 mois . J’avais deja de l’ostéoporose mais ma dernière densitometrie est catastrophique. Lé médecin nutritionniste alain delabos me dit que c’est Lé cacit Vit D3 qui est la cause, qu’il donné de l’ostéoporose et des fractures. Ma rhumatologue n’est pas d’accord. Je ne sais plus qu’y ceoire !
    MercI de votre reponse
    Cordialement

  13. sham Auteur de l’article

    Bonjour, je ne suis pas médecin et je n’ai aucune compétence pour vous dire quelle voie suivre dans votre cas. Je vous invite à en discuter avec vos deux médecins ouvertement en appuyant sur votre désir de suivre une voie solidement documentée scientifiquement. je ne connais rien à la chrononutrition mais il n’existe pas de page sur wikipedia en anglais sur cette thérapie, la page n’existe qu’en français, ce qui n’est pas forcément un signe d’une acceptation large par la communauté médicale internationale. cordialement, sham

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