Généralités sur la célébration

INTRODUCTION

La célébration de la libération d’Orléans, qui a eu lieu le 8 mai 1429, fait partie des plus anciennes traditions de la ville. Elle aurait été instituée dès 1430 pour célébrer l’anniversaire de la libération, en écho aux manifestations festives qui se seraient spontanément tenues le jour même du départ définitif de l’armée anglaise. En 1482, elle intègre le calendrier ecclésiastique du diocèse et s’inscrit définitivement dans la tradition religieuse d’Orléans. Supprimée en 1793, cette fête est réhabilitée dix ans plus tard par Bonaparte, devenu consul à vie. Dès lors, la fête de Jeanne d’Arc est au cœur de débats quant à l’amalgame civil, militaire et religieux qu’elle induit au sein d’une même solennité. Le cérémonial suivi n’évolue guère qu’au fil des nouveaux aménagement de la ville, notamment dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, ou d’évènements particuliers attachés aux solennités habituelles.
La fête de Jeanne d’Arc de 1855 connaît un faste particulier puisqu’elle occasionne deux inaugurations : une nouvelle statue dédiée à la Pucelle et le nouvel Hôtel de ville. La fête se tient du 6 au 10 mai et compte de nombreux spectacles profanes et célébrations religieuses ainsi que des expositions. Le Journal du Loiret consacre la quasi-totalité de ses numéros durant les préparatifs et le déroulement des festivités. Les détails donnés par la presse sont augmentés d’un vaste programme de 172 pages, anonyme, qui fût mis en vente dans les librairies d’Orléans.
Comment la fête de Jeanne d’Arc s’inscrit-elle dans cette culture de la fête publique particulièrement exacerbée au XIXe siècle ? On tentera aussi de se rendre compte de la manière dont les arts purent représenter la Pucelle à l’occasion de cette fête.

LA COMMÉMORATION

La célébration principale se tient le 8 mai. Comme le veut la tradition, les autorités locales se réunissent à la cathédrale Sainte-Croix le matin pour entendre une messe en musique exécutée par la réunion des orphéons de France, suivie d’un panégyrique en l’honneur de Jeanne. Toujours dans le respect de la tradition, l’après-midi est marqué par une longue procession des corps civils et religieux qui part de la cathédrale et va jusqu’à l’emplacement de l’ancien fort des Tourelles, dernier lieu de combat avant la libération définitive de la ville. Ouvert et fermé par un escadron de la gendarmerie à cheval, l’immense cortège comprend, notamment, les autorités municipales, les sapeurs-pompiers, la marine nationale, une musique de cavalerie, des députations des diverses corporations de la ville ainsi que de l’École Normale et des Frères de la doctrine chrétienne et les membres du chapitre cathédral et des différentes paroisses de la ville. Ce cortège est à l’image des grands défilés de l’Empire réunissant l’Église, représentée par son clergé, la Nation, représentée par les différentes députations locales, et l’Empereur, représenté par les autorités muinicipales et les députations des grandes institutions. Le cortège se rend ensuite à la place du Martroi pour l’inauguration de la statue accompagnée d’une cantate et d’un chant sur l’air du chant du soldat (voir sources):

« Salut, salut Vierge Guerrière
Le ciel excita ton courroux
S’il éclata dans ta colère
Tu nous donna un jour plus doux
Grande et Sublime souveraine
Ton nom rempli notre cœur
Jeanne tu brise notre chaîne
De l’ennemi tu fus vainqueur
[…]
Veille à jamais sur notre France
O vierge, messager des Cieux
Que la Russie en sa démence
Succombe enfin sous ses faux Dieux

Que l’union de nos phalanges
Partout triomphe à ta clarté
En chœur nous dirons tes louanges
Sous ton soleil, ô liberté ! »

Un Te Deum est ensuite donné à la cathédrale. La journée se termine par l’inauguration de l’Hôtel de Ville et le traditionnel dîner offert par la municipalité. Les autorités se retrouvent ensuite pour assister au feu d’artifice. Comme le montre le chant cité ci-dessus, le contexte de la guerre de Crimée, opposant une coalition qui réunit la France, l’Angleterre, l’Empire Ottoman et le royaume de Sardaigne à la politique expansionniste Russe, est habilement inscrit dans la continuité d’une histoire de France sans cesse opprimée. L’émotion suscitée par la célébration de l’héroïne est alors la parfaite occasion d’exciter le patriotisme national, catalyseur d’unité populaire, afin de légitimer un conflit contemporain. Cela n’est pas sans rappeler les mécanismes d’appropriation de la figure johannique lors de la guerre Franco-Prussienne. Libératrice et protectrice de la France, resistante face à l’oppresseur, vierge vertueuse ou bergère courageuse, Jeanne est rattachée à tous les principaux symboles qui la définissent habituellement, ormis celui de la Sainte. En effet, le procès en béatification ne débute qu’en 1869. Cependant, les qualificatifs « fille de Dieu » et « noble immortelle », ainsi que les comparaisons à Sainte Geneviève et à la vierge prophétesse Vélléda, montrent à quel point cette figure demeurent empreinte de mysticisme. En restant prudent face à toute forme de déterminisme, il n’est pas improbable de considérer le lien étroit entre ces différentes formes de mystification de Jeanne et les procédures de sa béatification.

LES FESTIVITÉS PUBLIQUES

Cette célébration est précédée et suivie de deux jours de spectacles et récréations diverses. Le 6 mai est entièrement consacré à la musique. Aux anciennes Halles du blé s’enchaînent un concours d’Orphéons avec remises de médailles et un « festival », prenant tout simplement la forme d’un concert de musique instrumentale et vocale. On ne sait que peu de chose du programme musical tant la presse est peu scrupuleuse à l’évoquer. Le public y entend, notamment, le chœur des buveurs tiré du Comte d’Ory ou l’ouverture de Guillaume Tell de Rossini, si célèbre pour son final sous forme de cavalcade militaire. Au côté de cette grande personnalité de l’Opéra, se distinguent deux compositeurs orléanais, Adolphe Nibelle et un certain Salesses, venus, respectivement, faire exécuter une symphonie avec chœur et une cantate de leur composition. Le registre de la réjouissance qui semble envahir ces concerts donne le diapason des 4 jours de festivités qui vont suivre.

Le 7 mai est consacré à l’histoire et à la culture française. La journée débute par un « salut solennel » chanté par les orphéons à la cathédrale. Il s’agit tout simplement d’un concert de musique religieuse durant lequel sont notamment chantés deux Ave Maria, l’un d’Adolphe Miné (1797-1854) et l’autre de Jacques Arcadelt (1507-1568). Ainsi, font ils, à leur manière, le lien entre l’époque contemporaine et l’époque de Jeanne d’Arc, bien que l’Ave Maria d’Arcadelt soit plus récent. S’ensuit une grande cavalcade historique en costume du XVe siècle. Comprenant musique militaires et divers porte-étendards et personnages historiques, elle fait le tour de la ville pour finir par déposer l’étendard de Jeanne au pied de l’Hôtel de Ville. Cette procession sous forme de reconstitution historique offre un spectacle à vocation à la fois divertissante et éducative.

Toute la journée du 9 mai se sont tenus des spectacles publics comprenant des mimodrames, des jeux de voltige, danses de corde, tours de force et d’adresse, des mâts de cocagne ainsi que des représentations théâtrales données par des artistes parisiens. Le soir, sous les illuminations de rigueur, se tiennent un bal public sur la place du Martroi, où a eu lieu l’inauguration de la statue la veille, ainsi qu’un bal par souscription dans les salons de la mairie. Le Journal du Loiret avait déploré la longueur du concert du 6 mai, qui se faisait d’autant plus sentir que les spectacteurs ne pouvaient pas danser. L’expression du corps est une composante essentielle de la galvanisation de l’esprit du public. Les émotions que ces spectacles et jeux communiquent sont, probablement, des facteurs d’unité sociale aussi efficace que la pure démonstration des symboles patriotiques ou spirituels. Le 10 mai, ces 4 jours de fête sont conclus par une grande loterie municipale.

CONCLUSION

Ces festivités, particulièrement celles du 9 et du 10 mai, rappellent trait pour trait celles qui purent être données à l’occasion des fêtes politiques qui se tenaient sous les deux Empires (Saint-Napoléon) et la Restauration (fête du Roi). On se rend compte alors, comme l’avait déjà observé Nicolas Mariot (MARIOT, « Qu’est ce qu’un enthousiasme civique », 2008) à quel point les festivités publiques sont, avant tout, un phénomène social et fondent un système organisationnel qui se définit indépendamment du type de célébration qu’elles accompagnent. Cette fête de Jeanne d’Arc s’inscrit parfaitement dans sa tradition qui se coule dans les cadre des fêtes publiques du XIXe siècle, tant dans la forme qu’elle adopte que dans son respect des trois impératifs attachés à ce genre d’évènement : célébrer, divertir et éduquer.

GUILLAUME

Sources
Aguste-Fauvelle Le Gallois, À Jeanne d’Arc: chant fait à l’occasion de l’inauguration de la statue équestre de Jeanne d’Arc…, Paris : imp. Boisseau, 1855
Journal du Loiret, 1er au 10 mai 1855
Le 426e anniversaire de la délivrance d’Orléans, Orléans : imprimerie de Pagnerre, 1855
Exposition de peintures et d’objet d’art à l’occasion de l’inauguration de la statue équestre de Jeanne d’Arc, Orléans : imp. Alex Jacob, 1855

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