Jeanne d’Arc, Femme Forte ou Preuse ?

La tradition des Preux remonte au début du Moyen-Age, neuf figures masculines étaient sélectionnées comme emblème de vertus et d’excellence. Elles se répartissent en groupes de trois : la première triade est païenne (Hector, Alexandre, Jules César), la seconde biblique (Josué, David, Judas Macchabée), et la dernière chrétienne (Arthur, Charlemagne, Godefroy de Bouillon).

En parallèle, se crée un pendant féminin très important avec les figures des Femmes Fortes et celles des Preuses. Les Femmes Fortes sont définies par le Père Lemoyne comme des femmes qui ont fait preuve de vertus et d’héroïsme dans des situations où les hommes eux-mêmes n’ont su se montrer à la hauteur. La Preuse représente les forces guerrières et militaires, apte à régner sur son peuple, avec une force morale, chaste et capable de gouverner son foyer.

Il est donc mal aisé de différencier les deux méthodes de classements, et une interrogation perdure : les Preuses seraient-elles en réalité des sous-catégories de Femmes Fortes ?

Le thème des femmes « illustres », « fortes » ou « héroïques » et les compilations qui rassemblent leurs biographies exemplaires constituent une des composantes essentielles, bien que souvent méconnue, de la vie littéraire des XVIe et XVIIe siècles. Ces ouvrages organisés en séries – chronologiques, sociologiques ou thématiques, commencèrent au XVIe siècle suite aux premières éditions imprimées du De Claris Mulieribus de Boccace.

Au cours du XVe-XVIe siècle les Amazones (Lampeto, Penthésilée, Tomirys, Teuca, Déiphyle) et reines de l’Antiquité (Sémiranis, Sinope, Hippolyte, Ménalippe) qui composaient la liste officielle des Preuses au Moyen-Age fut transformé au profit de trois triades religieuses. Une triade juive composée de Rachel, Judith et Deborah, une triade païenne avec Lucrèce, Pauline et Bérénice et une triade chrétienne avec Sainte Hélène, Sainte Brigitte et Sainte Élisabeth. Cette dernière répartition tripartite, plus proche de celle des Preux, s’imposera définitivement au cours du XVIIe siècle. 

Les Femmes Fortes n’étant pas définit en nombre sont par essence plus nombreuses, par exemple la Galerie des Femmes Fortes du Père Lemoyne (1647) en dénombre déjà une vingtaine d’exemples. Cette dénomination s’appuie sur la célébration des exploits héroïques féminins, elle contribue à dresser le portrait de femmes de haute vertu, certes capables de modestie et de retenue comme l’honnête femme, mais aussi habilitées à s’engager sur des terrains plus inattendus et habituellement réservés aux hommes, tels que la guerre et l’exercice du pouvoir souverain. Ces qualités « viriles » telles que la force, la magnanimité, le vaillance et l’intrépidité, ne leur ôtent pas leurs vertus féminines, la douceur, la modestie, la clémence, la charité, la fidélité, et la dévotion.

En France au XVe siècle, la Pucelle d’Orléans est choisie pour compléter la série des Neuf Preuses présentées par Jean Lefèvre dans son livre de Leesce et faire ainsi pendant au connétable Du Guesclin entant que dixième Preux. L’arrivée d’un personnage historique au sein d’une galerie d’héroïnes fictives où figuraient plusieurs amazones a été préparé par des comparaisons flatteuses avec ces guerrières de l’Antiquité, notamment dans la Ditié de Jeanne d’Arc composée par Christine de Pisan.

Dans les arts picturaux, l’une des premières illustrations de Jeanne d’Arc en tant que dixième Preuse se trouve dans la grande salle de l’Hôtel de ville de Hondschoote, village de la Flandre française. Ces peintures, qui paraissent être de la fin du XVIe siècle, représentent les Neuf Preuses. La commande demandait à l’artiste de compléter cette représentation avec une dixième image qui n’est autre que celle de Jeanne d’Arc.

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Détail du décor du Cabinet des femmes fortes. Appartements La Meilleraye. Charles Poerson (1609-1667). Notice de la BNF.

Elle apparaît revêtue d’une armure du temps de
Henri IV, avec une épée au côté, le bâton de commandement orné de fleurs de lys et son étendard à la main. Elle porte une sorte de chapeau à plume blanche, reprenant ainsi l’iconographie classique tirée des recueils de Preuses. La figure de Jeanne d’Arc se retrouve aussi en 1625, dans les peintures de l’Ecole de Simon Vouet pour les appartements de la Maréchale de la Meilleraye, dans l’Hôtel de l’Arsenal (actuelle Bibliothèque de l’Arsenal, Paris). Elle fait partie d’une galerie des Femmes Héroïques, elle n’est pas en armure mais pose une épée sur son épaule, à la manière des nombreuses Judith du XVIe siècle.

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GERMAIN Jean-Baptiste, Jeanne d’Arc, bronze argenté, 1910, Musée Louis-Philippe, Eu.

Jeanne d’Arc est aussi présente dans la galerie des Femmes Fortes du Père Lemoyne sur une gravure de Gilles Rousselet et Abraham Bosse. C’est la dix-huitième planche des illustrations, elle reprend les modèles précédemment énoncés dans les peintures murales.

Si les Preuses ne font plus d’émules dans la sculpture du XIXe-XXe siècle, il est possible que les représentations de Jeanne d’Arc en armure soient les dignes descendants de cette tradition. La statuette de Jean-Baptiste Germain, datée de 1910, reprend la majorité des éléments iconographiques tirés des livres de Preuses, déjà présents à Hondschoote.
Cette subtilité d’interprétation de la figure johannique semble toujours présente dans le bagage iconographique des artistes et la diversité de vision de Jeanne d’Arc, lui permet d’être éloquente à tous. Ces représentations semées dans l’espace public deviennent alors un point de regroupement.

Pour aller plus loin:

Sur la place de Jeanne d’Arc dans la ville.

Sur la Bibliothèque de l’Arsenal, Paris.

Fiche Joconde de la statuette de Jean-Baptiste Germain.

Galerie des Femmes Fortes du Père Lemoyne (Jeanne d’Arc, p.121).

Le Livre de Leesce

Analyse de la gravure de Rousselet et Bosse.

Propos tirés de :

Bernos Marcel, S. F. Matthews Grieco, « Ange ou diablesse. La représentation de la femme au XVIe siècle », dans Revue de l’histoire des religions, tome 210 n°2, 1993, pp. 237-238.

Cardi Colinne (dir) et Pruvost Geneviève (dir), Penser la violence des femmes, éditions de la Découverte, Paris, 2012.

Maclean Ian, Woman Triumphant: Feminism in French Literature, 1610-1652, Clarendon Press, Oxford, 1977.

Pascal Catherine, « Les recueils de femmes illustres au xviie siècle », actes du colloque, Connaître les femmes de l’Ancien Régime, Société Internationale pour l’Étude des Femmes de l’Ancien Régime (SIEFAR), Paris, 2013.

Salamon Anne, Écrire les vies des Neuf Preux et des Neuf Preuses à la fin du Moyen Âge, Thèse présentée et soutenue le 26 novembre 2011, sous la direction de Monsieur Gilles Roussineau, Université Paris-Sorbonne.

Siméon Luce, Jeanne d’Arc, dixième Preuse, dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, n°4, 1890. pp. 323-324.

Vergnes Sophie, Les Frondeuses : une révolte au féminin, 1643-1661, Champ Vallon, Seyssel, 2013.

MATHILDE

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