Les images de personnages fictifs qui jouent d’un instrument sont récurrentes dans l’iconographie musicale. Mais quelque soit la part de fiction de ces images, elles présentent aussi des éléments qui relèvent du réel. Une lecture critique de l’image nous permet d’identifier ces éléments constituant une source potentielle d’information pour le musicologue.
A cette occasion nous allons étudier un tableau représentant à Sainte Cécile en train de chanter accompagnée de deux anges:
Ce tableau, attribué à Pellegrino Tibaldi, a été peint entre 1620 et 1625. Ils nous présente trois personnages réunis autour d’une table pour faire de la musique. Au milieu de la scène, Sainte Cécile porte une partition et semble s’occuper du chant. Portée par sa main gauche, cette partition est au centre de son regard ainsi que de celui de l’ange jouant du luth. Sainte Cécile lève sa main droite, peut-être pour conduire l’ensemble, peut-être comme geste faisant partie d’une expression transportée. Elle chante mais sa bouche n’est que très discrètement ouverte… Ce personnage est au centre de l’image mais elle n’est pas devant. C’est derrière une table accueillant plusieurs instruments de musique (l’un d’entre eux étant joué à l’instant même) que Sainte Cécile est présentée. Dans ce sens, ce sont les instruments qui sont au coeur de l’image, mis en avant par cette disposition.
Sur la table reposent une flûte, un instrument de percussion (similaire à un pandero), un violon et un luth soprano.Nous distinguons 7 chevilles sur le chevalet du luth, ce qu’indiquerait qu’il s’agit d’un instrument à 4 choeurs, 3 doubles et 1 simple. Le luth est posé de manière à ce que la table de résonance touche en même temps la table et un livre de musique. Il est d’ailleurs difficile de savoir s’il s’agit d’une partition ou d’une tablature.
L’ange qui se trouve à droite de Sainte Cécile, soit à gauche du spectateur, est placé à la fois derrière elle et derrière la table. Il est donc le personnage le plus loin par rapport au spectateur. Son regard se dirige vers l’autre côté du tableau, sans s’intéresser vraiment à la partition portée par Sainte Cécile. Ces doigts effleurent les cordes d’un harpe, mais ce personnage reste tout fois le moins impliqué dans la scéne musical, il est placé derrière et ne semble pas très investi.
D’autre part, nous remarquons que le personnage qui se trouve placé le plus devant de la scène exécute un instrument: un luth Son regard se dirige vers l’arrière de la scène, vers la partition plus précisément. Mais son corps laisse apparaître le luth dans toute sa splendeur. Il s’agit ici d’un luth à caractéristiques régulières: caisse de résonance en bois, fond voûté, rosace, manche fretté et chevalet en angle. Il est impossible d’établir de nombre de chœurs de l’instrument, mais par la dernière caractéristique cité, il est possible qu’il s’agisse d’un luth de la Renaissance. Les mains de l’ange sont disposées de telle manière qu’on peut imaginer qu’il en joue vraiment. Pourtant, un ange reste une figure imaginaire…à partir de quel modèle a été peint ce tableau?
En regardant de plus près, nous remarquons que la main droite n’est pas tout à fait « en situation ». Si bien l’auriculaire est placé sur la table, geste technique typique de cet instrument, l’index, le majeur et l’annulaire sont beaucoup trop repliés sur la paume de la main. Dans cette position-là ils sont presque inutilisables, le mouvement pour les rapprocher des cordes étant très grand. Sa main gauche nous montre d’un côté un pouce bien placé mais le reste de doigts bien plus étirés qu’il le faudrait pour se placer sur les touches. D’accord, il joue peut-être qu’une ou deux notes… mais n’oublions pas que le luth est du XVIe siècle un instrument polyphonique. Pour jouer plusieurs voix au luth et pouvoir faire du contrepoint il faut bien évidement utiliser les doigts, que dans la main gauche, vont aller se placer sur les touches. Pas très crédible comme situation alors!
Laura Torres