Universités contre Grandes Ecoles

Challenges vient de publier un article intitulé “Pourquoi les Universités n’ont plus rien à envier aux grandes écoles”. Les statistiques publiées par le Ministère montrent en effet que les écarts sont faibles : en gestion, 93% des diplômés de Master sont en emploi à 30 mois, avec un salaire annuel moyen de 32 100 € bruts. Côté écoles de commerce, les chiffres (à 18 mois) sont de 92% et de 34 533€ (les chiffres sur d’autres filières des Universités ne sont pas indiqués dans l’article, mais sont disponibles dans ce document : pour les sciences économiques, les chiffres sont de 91% et 31 200€ brut. C’est sensiblement plus faible dans d’autres filières). Sachant que les frais d’inscription ne sont pas les mêmes d’un côté et de l’autre, je vous laisse faire les calculs sur l’intérêt d’une formation plutôt que l’autre…

J’ai vu passer sur les réseaux sociaux quelques commentaires indiquant que côté Université, “d’accord pour Dauphine et TSE mais bon, pour le reste…” ou encore que “côté Ecoles, HEC, l’ESSEC ou l’ESCP étaient indétrônables”. Commentaires critiquables sur la base des chiffres cités plus haut, qui indiquent les moyennes pour l’ensemble des facs de gestion et d’économie d’une part et l’ensemble des écoles de commerce d’autre part. Mais aussi et surtout pour un autre point insuffisamment mentionné dans toutes les comparaisons telles que celle de l’article de Challenge, d’où ce billet.

Les comparaisons entre les taux d’insertion et les salaires moyens d’HEC et d’une faculté d’économie de province, disons, au hasard, Poitiers, sont à prendre avec beaucoup de précaution pour une raison toute simple : le biais de sélection. Je m’explique : HEC sélectionne à l’entrée des étudiants de très bon niveau. De l’autre côté, il n’y a pas de sélection à l’entrée de la faculté d’économie de Poitiers. Dès lors, une question se pose : les différences de performance côté insertion des étudiants d’HEC versus Faculté d’économie de Poitiers s’expliquent-elles par les différences dans la qualité des formations, ou par les différences de niveau à l’entrée de ces formations?

A ma connaissance, il n’existe pas d’étude de ce type en France. J’avais vu passer les résultats d’une étude sur le cas américain, sur le blog des Econoclastes je crois, mais je n’arrive pas à remettre la main dessus (Stéphane ou Alexandre, passez moi le lien si vous le retrouvez!) [EDIT : voici le papier que je cherchais, merci Alexandre!] : des chercheurs ont analysé la trajectoire d’élèves américains, en contrôlant de manière plutôt astucieuse ce biais de sélection pour mieux analyser les performances des établissements plus ou moins sélectifs. Résultat des courses : pas de différence en termes de revenu après leurs études, qu’ils aient choisi un établissement très sélectif ou un établissement moins sélectif. Les très bons réussissent très bien, où qu’ils soient, ce que les auteurs résument en conclusion par cette citation :

“The C student from Princeton earns more than the A student from Podunk not mainly because he has the prestige of a Princeton degree, but merely because he is abler. The golden touch is possessed not by the Ivy League College, but by its students

Sur un sujet proche, j’avais publié un billet sur un article montrant qu’il vaut mieux être un très bon étudiant d’une fac américaine moyenne, qu’un étudiant moyen de Harvard. Vive l’élitisme, quoi.

Je rêve d’une étude sur données françaises qui s’intéresserait à la trajectoire des bacheliers mention “très bien” par exemple : quelles différences en termes d’insertion, de salaire et de carrière, en fonction de la formation choisie ? L’étude américaine (si je ne me trompe pas dans les résultats) montre qu’il n’y en a pas. Possible qu’en France, les résultats diffèrent : je reste marqué par le souvenir d’une personne d’une soixantaine d’années, me tendant sa carte de visite, sur laquelle était indiquée le nom de sa promotion à l’école polytechnique, intégrée 40 ans plus tôt…

Digressions complémentaires :

  • Un collègue sociologue, intervenant dans l’une des plus grandes écoles françaises, commençait son intervention en demandant à son auditoire à quel moment ils avaient fait un choix? Pour leur montrer qu’ils n’avaient jamais fait de choix : bons élèves, ils avaient opté pour un bac S, meilleur que tous les autres, bien sûr. Ensuite, prépa, c’est tellement mieux. Ensuite encore, “choix” pour la “meilleure école” dans le classement. Conclusion : vous n’avez donc jamais fait de choix…
  • personnellement, prof d’une fac d’économie de province, ma plus grande satisfaction n’est pas dans l’obtention de postes prestigieux par des étudiants d’excellent niveau qui auraient réussi n’importe où ailleurs. C’est dans la réussite d’étudiants de niveau a priori moyen, que l’on accompagne, qui se révèlent et qui, à la fin, obtiennent un job qu’ils n’auraient pas pu obtenir sans nous.

Mon sentiment, pour finir : on ajoute beaucoup plus de valeur dans les universités françaises que dans la plupart des écoles prétendues grandes…

7 commentaires sur “Universités contre Grandes Ecoles

  1. Puisse un jour, des grandes entreprises vous lire…et enfin faire disparaître leur fameuse liste de critères de recrutement avec seulement les top 5 d’écoles de commerce et le top 3 des facs…
    Puisse un jour, les universités de province étudiaient la question de partenariats avec des entreprises du modèle des écoles de commerce…

    Pour autant, je suis fier de mon parcours d’étudiant à l’université, et pour rien au monde je ne changerais pour une quelconque école de commerce qui me mettrait dans un moule…

    • Lorsque l’on sait que le tissu économique européen est composé majoritairement de PME (à plus de 90%), je préférerai plutôt que cela soit toutes ces entreprises qui lisent un article tel que celui la. Il y a du travail chez elle aussi, tout aussi gratifiant (financièrement, humainement…) qu’ailleurs. De plus si les grandes entreprises fonctionnent ainsi alors ce n’est peut être pas la peine d’y mettre les pieds puisque cela démontre d’une certaine fermeture d’esprit qui ne plairait pas à un étudiant d’université (de province) qui possède (normalement) un esprit ouvert, et qui donc ne s’épanouirait pas dans une telle structure (sauf à être masochiste).
      Je pense que les écoles de commerce sont une belle machine marketing, qui rassurent autant les parents, que les étudiants qui rêvent d’avoir un train de vie plus important (en terme financier) mais pour quelle utilité pour la société (humaine) ? Je me plais à croire que les écoles de commerces forment et marketent les étudiants et participent à nourrir un système du “toujours plus” (je serais même tenté d’ajouter “toujours plus sans se demander pourquoi”), quand les Universités forment des hommes et des femmes qui apprennent à se poser des questions.

      Concernant les partenariats, pourquoi pas, à condition de choisir des entreprises qui adherent aux valeurs universitaires et acceptent de co-construire. Sinon je ne vois pas l’interet, par exemple, pour une université de tenter d’établir un partenariat avec, au hasard un cabinet du big four, où ses étudiants se casseraient les dents.

      Enfin, en lisant ce commentaire je ressens quand même le regard d’un étudiant fier de son parcours mais déçu car il ne semble pas être mis assez en lumière d’ou l’emploi d’un “pour autant”. Il faut rester certain des valeurs acquises et savoir ce que l’on veut faire de sa vie. Le “pour autant” n’est donc peut être pas nécessaire 🙂

  2. Ping : Somewhere else, part 128 | Freakonometrics

  3. Tiens ça me rappelle une discussion avec un de mes étudiants (en licence d’économie d’une université de province) qui était persuadé qu’intégrer une grande école était la seule voie pour s’insérer.

  4. Très bon article de Challenges qui permet de mieux cerner les avantages des universités, dont certaines tiennent le haut du pavé avec un enseignement d’exception.

  5. Ping : Dis-moi quelles études tu fais, je te dirais combien tu gagnes… | Olivier Bouba-Olga

  6. Ce blog est tres interessant mais je pense que vous avez fait une erreur. La citation, en Anglais “The C student from Princeton earns more than the A student from Podunk not mainly because he has the prestige of a Princeton degree, but merely because he is abler” contredis ce que vous expliquez par la suite: “montrant qu’il vaut mieux être un très bon étudiant d’une fac américaine moyenne, qu’un étudiant moyen de Harvard.” La citation en anglais montre qu’un etudiant moyen a Havard – “C student” – gagne plus qu’un tres bon etudiant a Podunk, notament parce que celui-ci est plus intelligent (les criteres d’admission pour havard se font sur l’intelligence – il faut un minimum de 140 de QI pour y etre admis) que le tres bon etudiant de Podunk.

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