A peu près tous les économistes convergent sur l’idée suivante : la croissance économique de la France doit se nourrir de l’innovation,
l’innovation se nourrit elle-même, pour partie au moins, d’une activité amont de recherche (privée et publique), accroître l’effort financier et améliorer l’organisation de la recherche est donc
tout à fait essentiel.
première vue, on se dit que, hors de Paris, point de salut… Pensez donc : l’Ile de France, qui concentre, en 2003, 19% de la population, 22% de l’emploi et 29% du PIB rassemble :
Intérieure de Recherche et Développement),
des Brevets – données cumulées sur 4 ans 1999-2002) et 38,44% de ceux déposés auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle – même période).
Bref, que ce soit côté ressources ou côté résultats, le poids de l’Ile de France est bien supérieur à son poids dans la population, l’emploi ou la production de
richesses. Ça ressemble un peu, côté recherche, à du « Paris et le désert français »…
Sauf que ces chiffres, d’un point de vue économique, n’ont pas beaucoup de sens : en effet ce qui compte, plus que la concentration spatiale de la recherche, c’est
son efficacité. L’enjeu n’est donc pas de mesurer la production scientifique des régions, mais leur productivité. Or, on la mesure rarement. Un seul exemple,
l’ouvrage de l’Observatoire des Sciences et Techniques (OST), groupement d’intérêt public créé en 1990, qui « a pour mission de concevoir et de produire des indicateurs quantitatifs sur la R&D pour contribuer au positionnement stratégique de la France en Europe et dans le monde, et à
l’analyse des systèmes de R&D ». J’ai sous les yeux l’édition 2002 : le chapitre 2 est consacré aux régions françaises, on y analyse côté recherche publique (1) les
ressources humaines et financières (1.1), la production scientifique mesurée par les publications (1.2) puis l’enseignement supérieur et les thèses soutenues (1.3). A chaque fois, c’est le poids
des régions qui est mesuré (l’Ile de France arrive dès lors toujours en tête, et très largement). On s’approche quelque peu d’un indicateur de productivité en rapportant la production à la
population, mais c’est un piètre indicateur de productivité, car la population n’est pas assimilable à un input de l’activité de recherche (on trouve le même problème dans les comparaisons des
niveaux de productivité entre pays ou régions, lorsqu’on utilise comme indicateur les PIB par habitant).
de recherche publique en Aquitaine, publié en mars 2007, permet d’aller plus loin (rapport auquel a contribué Christian Aubin, professeur d’économie de
l’Université de Poitiers et “accessoirement” (!) doyen de notre faculté – j’en profite pour le remercier de m’avoir fait passer ce rapport et pour nos premiers échanges sur le sujet)
. Dans la section C du chapitre 2 (page 39 et s.), en effet, différents indicateurs de productivité ont été calculés, en rapportant la production scientifique
[mesurée par i) les publications, ii) les citations, iii) les doctorats, iv) les diplômes d’ingénieur, v) les brevets déposés auprès de l’OEB, vi) les brevets déposés auprès de l’INPI] aux
ressources mobilisées [mesurées par i) les dépenses de R&D, ii) les effectifs de R&D, iii) les effectifs de chercheurs de R&D].
Je me focalise ici sur la première série de résultats (tableau 14, page 41), qui rapporte la production de la recherche aux dépenses de R&D. Les auteurs ont calculé un indice de productivité relative : on divise la
productivité de chaque région par la productivité nationale. Si l’indice est égal à 1, cela signifie que la productivité de la région considérée est égale à la productivité nationale, si l’indice
est supérieur à 1, la productivité est supérieure à la productivité nationale, etc.
Concentrons nous sur le premier indicateur de productivité, qui correspond au ratio nombre de publications sur dépenses de R&D. Résultat pour l’Ile de France :
l’indice pour les publications est égal à 0,94, soit une sous-productivité de 6%. Il est en revanche égal à 1,10 pour les citations, mais inférieur à 1 pour tous les autres indicateurs.
Pour compléter l’analyse, j’ai construit un indice composite, égal à la somme des six indicateurs élémentaires de productivité. Pour faciliter l’interprétation, j’ai divisé la somme par 6, puis
multiplié le tout par 100 : une valeur de 100 indique une productivité synthétique relative égale à la moyenne, une valeur supérieur à 100 une sur-productivité, une valeur inférieure à 100 une
sous-productivité. On obtient les résultats suivants :
Région |
Poids dans les dépenses de R&D |
indice synthétique de productivité |
Ile-de-France |
39,15% |
98 |
Rhône-Alpes |
10,67% |
133 |
Provence-Alpes-Côte d’Azur |
7,71% |
84 |
Midi-Pyrénées |
6,93% |
74 |
Languedoc-Roussillon |
6,03% |
61 |
Bretagne |
3,60% |
118 |
Aquitaine |
2,97% |
106 |
Nord-Pas-de-Calais |
2,75% |
128 |
Alsace |
2,66% |
138 |
Pays-de-la-Loire |
2,62% |
123 |
Lorraine |
2,55% |
113 |
Centre |
1,82% |
129 |
Auvergne |
1,18% |
136 |
Poitou-Charentes |
1,16% |
116 |
Bourgogne |
0,92% |
156 |
Basse-Normandie |
0,89% |
145 |
Haute-Normandie |
0,84% |
194 |
Picardie |
0,64% |
239 |
Franche-Comté |
0,64% |
227 |
Champagne-Ardenne |
0,54% |
171 |
Limousin |
0,43% |
151 |
Résultat plutôt intéressant : en dehors de Rhône-Alpes, les plus grandes régions en termes de dépenses de R&D (Paris, bien sûr, mais aussi PACA, Midi-Pyrénées et
Languedoc-Roussillon) ont un indice faible. On a du mal à voir les effets positifs de la concentration spatiale des dépenses… Des petites régions comme la Picardie ou la Franche-Comté obtiennent
en revanche les meilleurs scores.
cas, avec des valeurs comprises entre -0,27 et -0,46. Le coefficient est positif pour les citations, mais la relation n’est pas significative (le coefficient est égal à 0,09).
Est-ce à dire qu’on a une nouvelle version du “small is beautiful” (les petites régions sont plus productives que les grandes)? Pas sûr, si on s’en tient au
graphique suivant, construit en excluant l’Ile de France, sur lequel on observe plutôt une courbe en U (en abscisse le poids des régions et en ordonnée l’indicateur synthétique de productivité)
:

performances des petites régions est élevée, etc) .
Précision supplémentaire, relative à l’ensemble des résultats précédents : la sous-productivité de certaines régions pourrait s’expliquer par des biais disciplinaires, il conviendrait donc de
compléter l’analyse. Bon, mais disons qu’on a avec ces statistiques de premiers éléments assez intéressants conduisant à une conclusion plutôt contre-intuitive…
conclusions, soit pour améliorer votre productivité parce que, si vous voulez gagnez plus…
Très intéressant tout cela, car cela pose évidemment la délicate question de la manière d’évaluer la “productivité” (d’ailleurs, est-ce que ce terme est pertinent ?) d’une activité difficile à quantifier (même en prenant en compte des indicateurs diversifié).Je ne suis ni chercheur ni parisien, mais je dois dire à Olivier qu’il ne semble pas avoir bien compris la nouvelle politique que le gouvernement va devoir mettre en place : en effet, il s’agit simplement de travailler plus pour gagner plus. Mais “travailler plus” (en nbre d’ heures) n’a jamais voulu dire, stricto sensu, être plus productif. On sait même que la diminution du temps de travail peut s’accompagner d’une augmentation de la productivité (et/ou) de l’intensité du travail. Peut-être d’ailleurs que nos chercheurs parisiens pourraient augmenter leur “productivité” en “travaillant moins” mais en “s’éclatant plus” ?D’ailleurs, cela pourrait peut-être avoir un lien avec le titre d’un ouvrage (que je n’ai pas encore lu, mais dont la revue Sciences humaines fait un compte rendu dans son numéro de juin 2007, page 14) : Le capitalisme d’héritier. La crise française du travail de T. Philippon.Dans cet ouvrage, T. Philippon semble vouloir montrer que les mauvaises performances de l’économie française seraient dues à “une insatisfaction au travail” qui traduirait notamment une moins grande aptitude des partenaires sociaux à établir des rapports coopératifs au travail.Comment s’éclater plus au travail, voilà peut-être la vraie piste pour augmenter l’efficacité de la R&D ?
Je me demande si ne jouerait pas un effet que je décrirais ainsi : Dans les régions où l’investissement en recherche est faible, il y a extrêmement peu de personnes auxquelles on va donner l’opportunité de faire de la recherche, la sélection des chercheurs est plus fortes. Donc ceux qui réussissent à tirer leur épingle du jeu sont probablement des gens aux capacitées exceptionnelles ce qui explique le meilleur rendement.Cela ne donne cependant aucune excuse au score de l’IdF face à Rhones-Alpes.
Je crois que ces chiffres mettent surtout en exergue le fait que la R&D est quelque chose qui se diffuse spatialement et que les régions qui profitent de la R&D ne sont pas celles où les dépenses de R&D sont effectuées. Par ailleurs, le R&D joue surtout sur la croissance de la productivité et non son niveau (même relatif).Bref, une courbe en U vraiment pas très conclusive à mon sens.
Ca n’est pas des “réserves” qu’il faut émettre sur cette courbe en U, c’est carrémement l’oublier au plus vite, tant elle ne représente pas grand chose, et ce, par construction même du graphe. L’indice de productivité, centré sur 100, avec les “poids lourds” (les forts pourcentage (ici, Paris et Rhones-Alpes) feront donc des points “rares”, sur la droite du graphe). Donc Paris est proche de 100, par construction. Donc ca ne fait pas une courbe en U, ca fait une suite de nombres qui tend vers la moyenne. Et, en rajoutant Paris sur le graphe on le voit bien. Une échelle log en abscisse serait la bienvenue, comme dans beaucoup de phénomènes liés à la taille.J’explique très mal, désolé.Sinon c’est vrai que le nuage de point des régions faiblement investies au dessus de la moyenne est remarquable, et remarquons aussi que les régions du sud sont relativement mauvaises.Il faudrait voir aussi comment se découpe l’investissement en Rhone-Alpes, si ça se trouve, tout est à Grenoble, non ?