Histoires de relocalisation…



L’entreprise Samas a décidé de relocaliser en France la fabrication de mobilier de bureau préalablement délocalisée en Chine. Motifs essentiels invoqués par les responsables : la hausse des coûts de transport, des délais de transport trop longs, la difficulté de se coordonner efficacement avec les clients, localisés pour l’essentiel sur le continent européen. Ces éléments de coût font plus que compenser les gains liés au différentiel de salaire entre la France et la Chine.

 Cette « affaire » Samas a remis sur le devant de la scène la question des relocalisations d’entreprise : et si, finalement, on s’était trompé ? Si, finalement, une cohorte de plus en plus importante d’entreprises s’étant engagées en Chine (plus généralement dans les pays en développement), décidait de revenir en France (plus généralement dans les pays développés) ? Ne pourrions-nous pas échapper à la désindustrialisation de notre économie qu’on nous annonce inéluctable ?

 Certes, les exemples de relocalisation [1] ne manquent pas. Petit tour d’horizon…

L’entreprise Nathan (source : Les Echos, « Une hirondelle ne fait pas le printemps », 18 mars 1996, p. 50)

Nathan avait décidé de délocaliser la production de jeux à Hong-Kong. Conséquence : suppression de 22 emplois en Bretagne. En 1993, Nathan fait demi-tour, en relocalisant la production dans le Finistère, à Loguivy. Deux raisons à cela.

Un premier élément d’explication tient au comportement opportuniste du partenaire chinois : celui-ci a plagié les produits Nathan pour les redistribuer en France, évidemment à moindre prix. Une belle illustration de la théorie de l’Agence, qui montre la difficulté de contrôler à distance les comportements des partenaires (ce n’est pas toujours vrai : l’entreprise Willy Betz (ces camions jaunes que vous croisez sûrement si vous empruntez les autoroutes françaises) contrôle très bien le comportement de ses chauffeurs via la mise en place d’un système informatisé de suivi de sa flotte…).

Un deuxième élément d’explication relève des coûts de la coordination à distance : en 1996, Joëlle Poirier, alors directrice générale des jeux Nathan, expliquait que la délocalisation « imposait de passer commande un an à l’avance » et les délais de transport « atteignaient un mois ». Bref, difficile de suivre efficacement l’évolution de la demande… Problème de réactivité, donc.

 L’entreprise Jeanneau-Benneteau (source : Les Echos, « Une hirondelle ne fait pas le printemps », 18 mars 1996, p. 50)

Histoire assez similaire : l’entreprise Jeanneau, fabricant de bateaux de plaisance, décide de délocaliser 30% de sa production en Pologne, en raison d’un coût de la main d’œuvre huit fois inférieur. Demi-tour, en raison « de gros problèmes de qualité et d’image ». Bruno Cathelinais, directeur général de Bénéteau, déclarait en 1996 « nous avons déjà ramené la fabrication de trois produits en France, et le reste suivra dans les prochaines années ».

 Les entreprises Mobidel et Texim (Source : Libération, « un tee-shirt c’est sept minutes en Inde et deux minutes en Europe », 20 février 1997, p. 27)

80% de la production de ces deux entreprises textiles avaient été délocalisées en Inde, afin de bénéficier d’un coût du travail favorable. Francis Leclaire, PDG des deux entreprises, a décidé de relocaliser la fabrication en France, en comptant sur la réorganisation du processus et sur son automatisation. En Asie, dit-il, « l’outil de travail n’est pas toujours des plus performants. La productivité des ouvrières n’est pas non plus la même. Un certain nombre de tâches se font par exemple à la main et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. D’où un taux de perte relativement élevé ». Il cite également le problème des délais de transport, des taxes d’importation et des quotas européens.

 L’entreprise Atol (source : Les Echos, « Atol rapatrie de Chine dans le Jura la fabrication de ses lunettes Ushuaïa », 28 octobre 2005, p. 20 et Valeurs Actuelles, « Atol voit plus près » n° 3659, 12 Janvier 2007)

L’entreprise Oxibis-Exalto est un lunettier installé à Morbier (Jura). Atol distribuait déjà les modèles des marques Oxibis (milieu de gamme) et Exalto (haut de gamme). Les lunettes Ushuaïa, également distribuées par Atol, étaient jusqu’alors fabriquées en Chine. Atol a décidé de relocaliser en partie la fabrication en France, en se tournant vers Oxibis-Exalto, afin de gagner en qualité, en créativité et en réactivité : « Nous misons aujourd’hui tout sur le made in France qui nous permet d’avoir une qualité et un design irréprochables ainsi que des couleurs que l’on ne trouvait pas en Chine » (Philippe Peyrard, directeur général délégué in Valeurs Actuelles). Plus loin il ajoute « Nous avons aussi choisi le site de Beaune pour son emplacement géographique qui nous permettra d’offrir de nouveaux services : nos magasins pourront ainsi passer commande jusqu’à 20 heures à l’unité bourguignonne en étant assurés que leurs clients auront leurs lunettes dès le lendemain matin, quelle que soit leur localisation en France ». La fabrication en Chine impliquait de prévoir des délais de livraison de trois à quatre mois…

L’entreprise Aquaprod (Source : La Croix, « Qu’est-ce qu’une relocalisation », 4 janvier 2007 (bref article) et surtout Pénard T., 2006, support de cours disponible en ligne)

L’entreprise Aquaprod est un fabricant français de cabines de douche, qui emploie 300 personnes. Elle a délocalisé sa production en Roumanie en 2002, puis a décidé de relocaliser près de Nantes en 2005. Motifs invoqués : les délais de livraison trop long, les problèmes de communication avec des équipes lointaines, la hausse des coûts de transport côté roumain. Et les gains attendus, côté français d’un accroissement de la productivité (sous-tendue par l’acquisition d’une machine spécifique) et d’une plus grande réactivité ; ainsi que d’un positionnement sur le haut de gamme.

 Des entreprises de Rhône-Alpes (Source : Chanteau J.-P., 2001, L’entreprise nomade : localisation et mobilité des activités productives, L’Harmattan).

Jean-Pierre Chanteau a recensé en 1993 sept cas de relocalisation en Rhône-Alpes et un seul cas en 1997. Les entreprises recensées appartiennent à des secteurs variés (textile, mécanique, pharmacie, jouets, matériel de construction), reviennent de pays différents (Ile Maurice, Maroc, Italie, Japon, …), et relocalisent pour des motifs différents, avec une raison nouvelle par rapport aux cas précédents : confrontées à une baisse d’activité, des entreprises rapatrient de l’activité sur un site sous-employé.

 Des entreprises allemandes (Source : Mouhoud El Mouhoub, 1992, Changement technique et division internationale du travail, Economica)

Dans son ouvrage, Mouhoud évoque le cas d’entreprises du textile-habillement et de l’électronique. Grundig, notamment, qui avait délocalisé à Taïwan sa production de TV, hi-fi et autres produits de l’électronique grand public en 1977, a relocalisé en Allemagne en 1983. 850 emplois supprimés sur Taïwan. Idem pour Siemens, déménagement à Mauritius en 1977, raptriement en Allemagne en 1981, 1000 emplois supprimés.

Une des raisons essentielles de ces rapatriements est l’évolution technologique : les compétences présentes dans les pays ayant bénéficié dans un premier temps de la délocalisation ne sont pas suffisantes pour fabriquer efficacement les biens dont les caractéristiques ont évolué en raison des innovations introduites par les entreprises.

 Quelques cas de relocalisation existent donc bel et bien. Il convient cependant de ne pas les surmédiatiser : de la même façon que les citoyens ou les médias ont tendance à exagérer (doux euphémisme) le poids des délocalisations vers les pays en développement, je crains qu’ils n’en viennent à placer des espoirs peu fondés dans le processus inverse de relocalisation, car dans l’ensemble des emplois créés en France, ces derniers ne pèsent que très peu. Chanteau semble confirmer ce point dans un article récent du Monde : "On peut estimer à environ une cinquantaine le nombre de relocalisations par an en France… sur deux millions d’entreprises françaises".

 Ceci ne signifie pas qu’il n’y a aucun enseignement à en tirer : ces différents exemples montrent la complexité des déterminants à la base de l’avantage concurrentiel des firmes. Le coût du travail, la productivité, la qualité des biens, les coûts de transport, les délais de transport, la capacité d’innovation, la réactivité, les besoins d’interaction clients-fournisseurs, etc … sont autant d’éléments que les entreprises devraient prendre en compte afin de déterminer une localisation « optimale ». Je ne suis pas sûr que toutes intègrent dans leur réflexion l’ensemble de ces déterminants…


[1] Une relocalisation peut être définie comme le retour dans un pays développé d’une activité préalablement délocalisée dans un pays en développement. Une définition plus restrictive limiterait les délocalisations au retour d’un établissement sur son emplacement initial. Une définition plus large désignerait par le terme de relocalisation le déménagement à l’international d’un établissement affilié à une entreprise d’un autre pays (Chanteau, 2001, p. 165).

10 commentaires sur “Histoires de relocalisation…

  1. Pour info, çà fait déjà 10 ans qu’Alcatel a relocalisé des usines de fabrication de la Chine vers la Hongrie, puis enfin de la Hongrie vers la France… Problèmes évoqués à l’époque : qualité moindre, risques de copie, coût des transports. Comme quoi…Il y a quand même de quoi se poser des questions quand un groupe décide d’aller fabriquer des meubles en Chine pour le marché européen. Des chaussures ou des téléphones, pourquoi  pas, mais des meubles, même empaquetés à plat dans la tradition IKEA, çà prend du volume et du poids, donc du coût de transport.

  2. Bravo pour ce post. Pouvons-nous croire au retour de l’industrie ?
    Je vous conseille la lecture de l’ouvrage de André Cheng, "la pratique de la Chine", vous apprendrez que le mot copier en Chinois signifie aussi apprendre. Ainsi les Chinois ne considèrerait nullement comme immoral la copie, puisqu’il s’agit pour eux du processus normal de l’apprentissage.
    Nathan ne l’aurait-il pas finalement appris un peu tard ?
     

  3. Ces relocalisations montrent surtout que les prétendues contraintes extérieures sont une mystification politique: la mondialisation à la mode barbare n’est pas quelque chose qui nous est tombé dessus par l’action du Saint-Esprit, c’est tout simplement la conséquence d’une volonté politique de briser le salariat et notamment le salariat ouvrier qui a été le moteur de toutes les luttes sociales durant le dix-neuvième et le vingtième siècle. Cette prétendue mondialisation qu’on nous présente comme incontournable n’est qu’un instrument politique de domination des peuples qui n’a aucun fondement économique comme on le voit avec ces entreprises qui relocalisent après avoir délocalisé: il n’y a ni fatalité ni loi économique qui ferait que forcément les activités industrielles devraient quitter le sol de l’Europe pour le Sud, c’est-à-dire quitter monde du droit du travail, de la Sécurité sociale, des libertés syndicales et de tout ce que les luttes ouvrières ont construit contre la prédation et l’exploitation capitaliste pour retrouver le monde merveilleux du dix-neuvième siècle où les patrons avaient tous les droits et les salariés aucuns: en fait "délocalisation" est un terme impropre, celui de "détemporalisation" (qui est certes un peu pénible!) serait plus juste.
    Allons maintenant au bout des choses, établissons un régime douanier qui abolisse toute mise en concurrence des salariés du monde et cessons de bêler avec les libre-échangistes dont l’application des politiques réactionnaires (et là je suis très modéré) a des conséquences épouvantables au plan social et humain, et surtout politique: voir la montée du vote extrêmiste en Europe, les crispations identitaires et religieuses grandissantes… 

  4. pour samas, la relocalisation est bidon
    1 : Problème de qualité des produits chinois car pas de suivi industriel
    2: Les chinois se font payer cash par virement swift, du vrai business, SAMAS est en rj avec plan de continuation et pas de solvalbilité
    3 il faut comprendre l’information et non la subir

  5. Bonjour.Je suis étudiant à l’université de Lille 1 et j’ai un projet à faire sur la Relocalisation. Vous avez cité des extrait du journal “Les Echos” de Mars 1996. Pouvez vous me dire où je peux trouver l’article entier s’il vous plait? J’ai déjà recherché à ma bibliothèque universitaire mais sans réussite.Cordialement.Vincent.

  6. merci beacoup pour ton aide je suis en première es et devais faire un tpe sur les délocalisation et dans une partie je devais faire des études de cas sur les différents aboutissants des
    délocalisation grace a toi il va m’etre facile de réunir toutes ces infos que j’aurais sinon mis plusieures heures a trouver sur le net.

    merci mille fois, 
    kévin 

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