Live-tweeter ou penser ? That is the question.

J’avais décidé de faire moderne, de live-tweeter la journée de recherche consacrée au paradoxes du management stratégique. Mes étudiants adorent cela. Soyons jeune, live-tweetons ! J’ai donc conçu mon hastag, commencé par un premier tweet.

Et puis Alain-Charles Martinet a commencé son intervention. Le propos sur la dialogique et le management stratégique était passionnant. De l’interrogation épistémologique stimulante, critique sur le courant mainstream du management stratégique et son impératif de contribution théorique, son isomorphisme coercitif en matière d’épistémologie. Je cite : « La recherche est devenue post normative : on constate ce qui s’est passé en moyenne et on ne le situe pas historiquement mais on le présente comme toujours valable. On affirme une neutralité axiologique. Le constat de ce qui s’est fait en moyenne n’est pas critiqué en termes moraux. » Plus loin : « le management stratégique – selon ce courant – concerne les hauts dirigeants qui cherchent à maximiser la rentabilité, à aligner les comportements des collaborateurs dans ce but et qui cherchent enfin à augmenter l’avantage concurrentiel sur le marché. Point barre. »

Fin du live-tweet. J’avais autre chose à faire. J’étais concentré sur le sujet. Pensée et prise de note captaient toute ma disponibilité. Assez jubilatoire, si vous pouvez concevoir qu’un exposé d’épistémologie soit jubilatoire.

Dès la fin de l’exposé, je me suis interrogé : pourquoi live-tweet-on lorsque l’on suit une conférence, une table-ronde, un symposium, une communication scientifique voire un cours ? Il faut avoir une disponibilité d’esprit suffisante pour live-tweeter. Cela veut dire décrocher de ce qui est dit. Manque d’intérêt ou quoi d’autre ?

Brève recherche sur Google. Trois pages de résultats : des conseil pour apprendre à faire mais aucune analyse du pourquoi. Pourtant, on m’explique que « Le livetweet est un outil communicationnel. A ce titre il est porteur de sens pour son public »

Alors, je formule quatre hypothèses personnelles, exploratoires, déconstructives  et volontiers provocantes (je le reconnais) :

  1. Le live-tweeteur a la volonté de partager avec un public absent des éléments (discours, faits) qui lui semblent mériter d’être sus au delà de l’enceinte dans laquelle se déroule l’événement. C’est le live-tweeteur altruiste ou militant.
  1. Le live-tweeteur s’ennuie. Il cherche une façon de s’occuper. Il suit Twitter en parallèle de l’événement auquel il assiste et adopte une posture phatique : il se met en phase avec le public qui produit le flux qu’il suit. En clair, il live-tweete pour faire comme les autres, parce qu’il est hype, dans l’air de son temps : je partage donc je suis ! Je live-tweete pour exister et me situer dans mon époque. C’est le live-tweeteur mimétique.
  1. Le live-tweeteur fait le malin. Il veut montrer, qu’il est intelligent parce qu’il sait choisir l’essentiel au milieu de la masse des informations, parce qu’il maîtrise l’outil, parce qu’il est multitâche (il faut être multitâche, c’est une compétence dans l’air du temps managérial). C’est le live-tweeteur roublard, égotique.
  1. Le live-tweeteur juge en temps réel. Fast thinking. De préférence avec l’absolue conviction que son avis est autorisé. Il doit compulsivement faire connaître son jugement. Il donne son absolution ou voue aux gémonies avec la bonne conscience des esprits cyniques se croyant supérieurs. C’est le live-tweeteur prétentieux.

Ces propositions sont un « propos d’étape », comme disait François Perroux, cité par Martinet.  Et sans doute devrai-je les considérer en intégrant les principes dialogique, récursif, et hologrammatique d’Edgar Morin afin de développer une approche pragmatique. (Ce paragraphe me sert uniquement à montrer que j’ai bien écouté l’orateur.)

Et comme j’écris ce billet pendant une communication scientifique dont j’ai décroché, je me regarde et me demande si je dois me passer au crible de ma grille. Par chance, je ne suis pas en train de live-tweeter : j’écris un billet de blog. Ce n’est pas du tout la même chose ! Quoique. Il faudra que je me demande pourquoi j’écris ce billet…

Pour décrocher, un conseil. Si vous décrochez pendant un colloque, un symposium… vous pouvez utiliser utilement votre temps en vous plongeant dans l’article de Louise Merzeau, Editorialisation collaborative d’un événement (Communication et Organisation, 2013) par exemple ou dans La fragilité des usages numériques de Jean-Claude Domenguet (Les Cahiers du Numérique, 2013) qui questionnent à leur façon le live-tweet.

Christian Marcon

La veille stratégique : quels liens avec l’intelligence économique, la documentation et le km ?

L’une des questions que se pose l’auteur d’un ouvrage, scientifique notamment, est celle de l’utilisation qui sera faite de son travail. Quelle tristesse qu’un livre non lu, un livre inutile.

L’un de mes étudiants de l’excellente licence « Management de l’information » du département Information-Communication de l’IUT de Tours a eu l’idée de partir de mon ouvrage « La recherche française en intelligence économique » pour écrire une note de synthèse intitulée : « La veille stratégique : quels liens avec l’intelligence économique, la documentation et le knowledege management ? » Dans ce texte, Kodjo Baba articule des éléments de l’ouvrage avec des réflexions d’autres chercheurs.

C’est une note de synthèse bien écrite et très intéressante que je vous invite à découvrir, avec l’accord de l’auteur.

Communication durable : un concept sensé ?

Lors du COSSI 2013 (Colloque Spécialisé en Sciences de l’Information), j’ai présenté une réflexion sur la notion de communication durable. Dans le cadre d’un travail de recherche commun avec cinq autres chercheurs affiliés au GRICODD* nous cherchons en effet à explorer la notion de « durabilité » en vogue dans le domaine de l’information communication. Il faut dire que les pratiques de green washing ont sérieusement pollué le discours.

La durabilité représente une thématique émergente dans le domaine des sciences de l’information, de la communication et de la documentation (SICD). Encore peu abordé en SICD, ce champ de recherche est porteur d’enjeux majeurs pour les années à venir et les membres du groupe de recherche canado-français ont pour objectif de décrypter la place de cette dimension dans les représentations, les pratiques et la culture de l’information, de la communication et de la documentation.

Vous trouverez ici les supports de la présentation orale que j’ai réalisée à cette occasion. Pour en savoir plus, il faudra patienter jusqu’à la prochaine parution de : Marcon C., Pratiques communicationnelles durables : interrogations sur la transposabilité d’un concept, Revue de l’université de Moncton, revue indexée dans la base Erudit., vol. 44 n°1

Juste pour vous mettre en appétit (elle n’arrive qu’au visuel 22/24), ma proposition de définition des pratiques communicationnelles durables. Je suggère que ce  sont des pratiques qui n’épuisent pas les possibilités et promesses d’une relation future pérenne par un frénétique trop plein (technologique, informationnel, passionnel, visuel, conversationnel, persuasif, etc.) de la relation actuelle, risquant de conduire à ce qu’il conviendrait peut-être de nommer une saturation, un écœurement, un burn out communicationnel

Pour aller plus loin, j’engage en ce moment avec Sylvie Grosjean, chercheure à l’université d’Ottawa, et un groupe d’étudiants de master 1 inscrits à un cours d ‘introduction à la recherche à l’IAE de Poitiers, une recherche exploratoire sur le sens que les professionnels donnent aux notions de communication durable et de pratiques communicationnelles durables.

Christian Marcon

GRICODD : Groupe de Recherche sur l’Information, la Communication et la Documentation Durable, réunissant des chercheurs des universités canadiennes de Moncton et Ottawa ainsi que de l’EBSI de Montréal, et des chercheurs des universités de Bordeaux, Montpellier et Poitiers (en l’occurrence, le laboratoire CEREGE que je représente dans le groupe). 

La recherche française en intelligence économique. Bilan et perspectives

Capture d’écran 2014-09-14 à 10.03.15Je viens de faire paraître aux Editions L’Harmattan un ouvrage intitulé « La recherche française en intelligence économique. Bilan et perspective ».

Cet ouvrage est le fruit du travail mené dans le cadre de mon habilitation à diriger des recherches. En 1998, j’ai « commis » la première thèse française en intelligence économique dans le champ des sciences économiques. Pour l’époque, ce travail était un OVNI : pas de littérature canonique sur ce sujet, une approche qui marie sciences économiques, gestion et sciences de l’information et la communication, pas d’épistémologie établie… Tout à faire. Déroutant. Risqué, aussi. Mais passionnant.

Fort heureusement, depuis, un ensemble de travaux sont parus : thèses, livres, articles, communications, ensemble suffisamment nombreux pour que l’on puisse en extraire des directions, des thématiques, des limites aussi. Beaucoup d’information, peu de communication. Pas toujours suffisamment d’épistémologie. Une construction en puzzle, dans un contexte qui ne rend pas toujours facile la parution de travaux.

Mon propos, à travers ce livre, est de dresser un bilan, tant quantitatif que qualitatif et de proposer des pistes de recherches futures, avec un corpus structuré de concepts, de définitions, de schématisations.  Avec l’espoir que des collaborations et des recherches nouvelles pourront naître de cette étape.

Je vous offre ici l’introduction de l’ouvrage. En vous invitant, évidemment, a acquérir la suite pour engager le débat.

Vous trouverez une chronique de l’ouvrage parue sur le blog de Cellie.

Christian Marcon

Les vidéos du COSSI 2014 sont en ligne

Trois vidéos ont été tournées lors du colloque COSSI 2014 :

– l’intervention consacrée aux utopies du Big Data et des réseaux sociaux, avec les interventions de Terry Zimmer (http://intelligences-connectees.fr) et Olivier Barbin, directeur conseil chez Inès Interactive (http://www.ines-interactive.com)

– l’intervention de Pierrick Bergeron sur l’utopie d’un centre de documentation connecté

– la synthèse des ateliers du colloque, réalisée par leurs animateurs : Camille Alloing, Mariannig Le Béchec, Monica Mallowan et moi-même. session de rattrapage pour ceux qui n’ont pas pu accéder au colloque.

Session de rattrapage pour les absents.

Pour l’occasion, je remercie Terry, Olivier et Pierrick, praticiens venus se joindre aux chercheurs pour nourrir nos réflexions.

Et UPTV, la web TV de l’université de Poitiers, qui a fait du travail de belle qualité.

Les professionnels de la communication : superman ou Pinocchio ?

Pour le compte de l’association professionnelle RéseauCom 86, qui réunit 70 communicants du département de la Vienne, j’ai réalisé une étude de l’image des communicants auprès des professionnels de la communication et auprès du grand public.

Les résultats de cette étude ont été présentés le 1er avril 2014 lors des Rencontres de la Communication. Dans la mesure où ils ne sont pas encore disponibles sur le site de l’association, je vous les mets à disposition. Ils me semblent très instructifs…

J’ai commenté ces visuels dans une chronique parue dans l’hebdomadaire gratuit poitevin 7àPoitiers. Vous pouvez aussi retrouver cette chronique ici à la page 15.

Bonne lecture et commentaire.

Christian Marcon

On air marketing. Chronique d’un ouvrage pertinent

Couverture On air marketing

Mathieu Billon et Tony Jazz se sont fait connaitre à l’Icomtec grâce leur intervention lors de la première journée Icom’Together en mars 2013. Ils avaient littéralement soulevé l’enthousiasme du public étudiant en présentant leur expérience en matière de design sonore. L’annonce par Tony Jazz de la sortie d’un ouvrage consacré à ce thème, On air marketing, m’avait donc mis en appétit. J’ai mis sa lecture au menu de mes soirées. Et j’ai bien fait : l’ouvrage de Mathieu Billon, Tony Jazz, Kizitho Ilongo  dirigé par Frédéric Bousquet est excellent..

Une solide synthèse scientifique

L’ouvrage est excellent d’abord parce qu’il procède à un large tour d’horizon des résultats de recherche engrangés depuis plusieurs décennies sur l’influence du son et de la musique sur le comportement des individus, dans le domaine des sciences de l’information et la communication, ou des sciences de gestion par exemple. Il intéresse donc le chercheur qui n’a pas investi profondément le sujet en lui permettant une remise à niveau étoffée, accompagnée des références de publication en usage. Le premier point du chapitre 2, qui adopte l’angle de vue de la psychologie sociale et la sémiologie, est de ce point de vue significatif. Les auteurs citent par exemple les sept fonctions de la musique identifiées par Julien (1989) dont l’intéressante proximité avec les six fonctions du langage établies par Jakobson n’échappe pas au lecteur.

Fonctions du langage (Jakobson) Fonctions de la musique (Julien, 1989)
Référentielle Affective : la musique met en jeu l’affectif de l’individu par rapport à la musique elle-même
Expressive Démarcative : la musique permet de se démarquer du contexte situationnel global dans lequel se trouve l’individu
Poétique Poétique : la musique met en jeu un savoir-faire et un savoir communiquer centrés sur le produit
Conative Conative : la musique agit sur l’intention de comportement d’achat
Phatique Décorative : la musique embellit le message informationnel
Métalinguistique Métalinguistique. La musique permet de reformuler le message grâce au langage musical
Implicative : la musique facilite la mémorisation des messages

 Par ces références l’ouvrage intéresse aussi les étudiants qui, habituellement, sont formés au design uniquement dans sa dimension visuelle. Approches sémiologique, sociologique, psychologique, publicitaire : les éclairages apportés prennent l’allure de briques complémentaires des cours habituels. S’y ajoute une solide bibliographie  qui pourrait nourrir un mémoire de master par exemple.

Un ouvrage à mettre entre les mains des professionnels

Contrairement à ce que pourrait donner à penser le premier point de cette recension, l’ouvrage  intéresse également les professionnels parce qu’il n’en reste pas au stade de l’exercice de synthèse universitaire. Il s’appuie sur l’expérience de l’agence On Air qui fournit pour l’occasion une série d’exemples à l’appui d’une démarche qui consiste à signer par du son, qu’il prenne une allure musicale ou non,  l’identité d’un produit, d’une entreprise, d’un événement…  bref de tout ce qui va être proposé à un public. Le chapitre 4, Design sonore et applications stratégiques, prend l’allure d’un ouvrage de consultants, avec cas pratiques et schéma du sablier marketing illustré.

Certes, le marketing polysensoriel n’est pas né d’hier. On sait le soin que les producteurs apportent au son que produit la bouteille d’eau minérale qui craque lors que nous la prenons en main, au son de la portière de voiture que l’on ferme, aux sons associés aux fonctions de nos smartphones. Le silence n’est plus l’objectif ultime – même s’il peut être une signature.  L’idée de design sonore n’est donc pas neuve, mais l’ouvrage de Billon, Jazz, Ilongo et Bousquet éclaire habilement ce que beaucoup laissent encore dans l’ombre, par méconnaissance ou par malice afin de nous séduire sans avoir l’air d’y toucher.

Marshall McLuhan a bouleversé nos analyses en montrant que le médium est le message. L’ouvrage décortique le son en tant que medium et message en réussissant à ne jamais être ennuyeux, ni abscons, ni pédant. J’en recommande donc évidemment la lecture (et l’achat, cela fera plaisir aux auteurs).

Christian Marcon

COSSI 2014. Information, communication, documentation : les nouvelles utopies !

La 6e édition du COSSI (Colloque spécialisé en sciences de l’information et la communication) se déroulera à Poitiers les 17 & 18 juin 2014, dans les locaux de l’IAE. Les actes des éditions précédentes sont disponibles à cette adresse-ci.

L’édition 2014 accueillera des chercheurs en sciences de l’information et la communication de toute la communauté francophone. L’appel à communications est lancé. Il est joint à cet article. En voici l’argument…

Information, communication, documentation : les nouvelles utopies

En 1992, Philippe Breton publiait un ouvrage de chercheur engagé au titre fortement évocateur : L’utopie de la communication. Breton s’y interrogeait sur une « utopie nourrie d’un lien social tout entier communiquant […]. L’apologie d’une universalité planétaire sans contenu, les enthousiasmes naïfs pour les « mondes virtuels » et le « village global » [ayant] paradoxalement rendu attrayant le repli identitaire ». Il s’interrogeait alors : « la question pertinente est donc plutôt de se demander pourquoi nos sociétés accordent, depuis le milieu du siècle, autant d’importance à la communication » (p. 7).

Depuis le constat critique de Breton, Internet et les outils de numérisation ont fait irruption massivement dans les pratiques d’information, de communication et de documentation des professionnels d’abord, puis du grand public avec le passage au « web 2.0 ». Il se diffuse un nouveau discours utopiste dans l’imaginaire collectif populaire, dans les représentations professionnelles et dans le champ du politique, d’autant plus aisément que l’évolution vers des outils plus accessibles et plus puissants semblait concrétiser cet avenir radieux communicationnel et informationnel annoncé par les auteurs de science fiction tout autant que par les prospectivistes.

Pour le grand public, l’utopie semble être celle de la conversation ininterrompue, de l’accès simple, gratuit ou presque, à toute l’information, à l’image et à la connaissance. Elle se nomme aujourd’hui Facebook, Twitter, Flicker, universités en lignes, réalité augmentée… Chez les professionnels, l’utopie managériale se nourrit de knowledge management, de record management, de management en réseau, de maitrise de l’information, de Consumer Relationship Management, de community management, de géolocalisation, de dématérialisation des documents… En somme, un « capitalisme sans friction » (Bill Gates, 1995). Les hommes politiques et les citoyens, quant à eux, rêvent de la démocratie numérique (Berthoud, 2000 ; Cardon, 2010) et de l’accès généralisé à l’information publique (big data). Dans le discours ambiant, l’interconnexion technique et l’interactivité humaine tiennent lieu de performance et promettent le bonheur.

Que signifient ces utopies nouvelles ? Rien d’autre que l’expression renouvelée, actualisée, du besoin naturel, ontologique, irrépressible de rêver d’un avenir meilleur ou une « technolâtrie, véritable culte initié par des prophètes pour faire entrer l’humanité dans un âge pacifique et prospère pour tous » (Berthoud, 2000) ?

Que nous enseignent les utopies du monde conversationnel ? S’agit-il d’une utopie globale ou d’une utopie « « limitée » (Proulx, Massit-Folléa, Conein, 2005) ? Sommes-nous en train de constituer de véritables collectifs intelligents ou n’est-ce qu’une illusion sémantique, une utopie « de l’instable et du multiple » (Lévy, 1994 ; Piromallo-Gambardella, 2005), la possession de l’information demeurant un enjeu stratégique ?

Les utopies d’internet peuvent-elle permettre d’envisager la résolution du paradoxe rappelé par Eric Dacheux (2008) : « nous communiquons pour mieux nous comprendre et, ce faisant, générons de l’incompréhension » ? Un paradoxe et une inquiétude martelés par un Dominique Wolton dont les titres d’ouvrages semblent constituer une trame argumentative : Internet. Et après ?(2000)… Informer n’est pas communiquer (2009).

Faut-il, avec Jean-Michel Besnier (2013) être profondément pessimiste et  considérer que « L’utopie de l’homo communicans est celle d’un être désubstantialisé, soumis au nomadisme et au « bougisme » que nous apparentons pathétiquement à de la liberté, celle d’éternels touristes qui ne séjournent jamais nulle part. [] Il y a de la naïveté dans ces spéculations, mais elles en disent long sur l’obstination que nous éprouvons à vouloir nous débarrasser de ce qui fait de nous des hommes et des femmes. A l’ère du numérique, l’humanité révèle combien elle voudrait en finir avec elle-même. »

Devons-nous avec Pierre Ansart (2002) rejeter le terme même d’utopie ? « Les promesses contemporaines d’une communication généralisée au niveau planétaire, les images d’une communauté indéfinie de dialogues pacifiés paraissent justifier l’emploi du terme d’utopie pour désigner l’ensemble de ces représentations, fortement chargées d’imaginaire et d’affectivité, qui accompagnent aujourd’hui les pratiques de communication. [… Mais] quel sens revêt ce terme incertain en ce qui concerne les communications ?  L’emploi du concept d’utopie serait-il abusif ? » Devons-nous plutôt admettre avec Olivesi (1996) l’utilité heuristique de l’utopie qui « permet de dépasser les oppositions usuelles entre fiction et réalité, imaginaire et réel, connaissance et action [] les récits utopiques ne divor[çant] du réel que pour mieux le ressaisir, en dégager l’essence » ?

Telles sont les questions auxquelles la communauté scientifique des sciences de l’information, de la communication et de la documentation est invitée à réfléchir pour l’édition 2014 du COSSI.

A vos plumes et claviers !

Christian Marcon

Félicitations du jury pour le doctorat de Camille Alloing. Récit d’un parcours « exemplaire » ?

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Mardi 2 juillet 2013, Camille Alloing a soutenu à l’université de Poitiers une thèse de doctorat en sciences de l’information et la communication  intitulée : « Processus de veille par infomédiation sociale pour construire l’e-réputation d’une organisation. Approche par agents-facilitateurs appliquée à la DSIC de La Poste ».  Cette thèse lui a valu le grade de docteur avec la mention très honorable et les félicitations du jury. On ne peut pas obtenir mieux en France.

Le jury se composait de Serge Agostinelli, professeur des universités en SIC (sciences de l’information et la communication) à l’université Paul Cézanne Aix Marseille III, Madjid Ihadjadene, professeur des universités en SIC à l’université  Paris 8, Louise Merzeau, maître de conférences HDR en SIC à l’université de Paris Ouest Nanterre, Nicolas Moinet, professeur des universités en SIC à l’université de Poitiers, co-directeur de la thèse et moi même, également co-directeur de ce travail. Les connaisseurs de ce domaine pourront s’assurer que le jury ne comportait que des spécialistes du sujet. C’est une garantie.

Comme souvent, le titre de la thèse est compliqué et signifie que le texte s’adresse à des chercheurs patentés. C’est une thèse, résultat de trois années de travail intellectuel et de terrain ; ce n’est pas un tweet ni un billet de blog. Donc le travail de Camille sera moins lu que ses 12503 tweets (à l’heure où j’écris) et ses très nombreux billets de blogs que je renonce à compter sur http://caddereputation.over-blog.com. C’est dommage. Mais peut-être avez vous zappé déjà le deuxième paragraphe, voire le premier…

Dommage car la thèse de Camille est à la fois classique et très novatrice.

Classique dans son format, dans sa construction, dans le fait d’un positionnement épistémologique étayé, d’un parcours des supports théoriques mobilisés très solide. Tout le raisonnement est mené de manière rigoureuse. Nous n’aurions d’ailleurs pas permis qu’il en fût autrement 😉

Novatrice dans le sujet abordé. Camille Alloing s’intéresse aux questions d’e-réputation depuis des années. Il a acquis une grande expérience professionnelle sur ce terrain. Et dans son travail doctoral, il apporte un éclairage tout à fait nouveau et pertinent sur l’e-réputation devenue chez certains un concept gimmick mal maîtrisé, mais rentable car regardé avec des lunettes techniques et quantitatives.

Pour éviter ces errances, Camille remet les choses à leur place, redonne du sens, de la précision.  Puis il apporte une réflexion neuve sur ce qu’il propose de nommer des agents-facilitateurs. Il observe « de quelle manière les pratiques informationnelles [de ces agents] peuvent être levier de la structuration de l’environnement informationnel de l’organisation » et cherche à définir « en quoi leurs attributs identitaires sont vecteurs de sélection de l’information » (p. 391). Et Camille Alloing de distinguer quatre catégories d’agents-facilitateurs : les experts, les collecteurs, les veilleurs mosaïques, les discutants.

N’entrons pas davantage dans cette thèse solide que l’auteur se chargera de diffuser à qui il souhaite. Ce qu’il faut ici dire, c’est le caractère exemplaire du parcours de recherche mené.

Dire d’abord que Camille est issu d’une licence professionnelle, plus précisément la licence « Management de l’information » de l’IUT de Tours. Ce qui prouve que si les licences professionnelles ouvrent prioritairement sur une recherche d’emploi directe, elles n’interdisent pas à leurs diplômés de poursuivre en master, et dans ce cas précis, avec beaucoup de réussite. On en viendrait à se demander pourquoi il est  fortement déconseillé de recruter des étudiants titulaires d’une licence professionnelle en master…

Dire ensuite que Camille n’a pas suivi passivement son master Intelligence Economique et Communication Stratégique au sein de l’ICOMTEC, mais qu’il y a pris les initiatives qui ont nourri son projet professionnel. C’est pendant le master qu’est né Caddereputation du projet de Camille et de deux de ses camarades. C’est précisément cet investissement fort dans la question de la e-réputation qui a conduit Camille à réaliser, par mon entremise, ses premières conférences professionnelles sur le sujet avec ses camarades.  C’est aussi cet investissement qui a permis à Camille de se faire identifier sur son domaine de compétence jusqu’à avoir aujourd’hui une audience nationale sur son sujet.

Dire encore que Camille a su conjuguer avec finesse ses acquis professionnels, développés dans le cadre de sa convention CIFRE à La Poste et un investissement dans les fondements de la recherche en sciences humaines. Cela lui évitera peut-être (espérons-le) le procès en déconnexion de la réalité que certains prétentieux font avec suffisance aux universitaires. Un sujet sur lequel je me suis exprimé déjà sur ce blog, et que vous avez été nombreux à lire.

Dire enfin que Camille a choisi d’intégrer l’IAE de Poitiers en tant qu’ATER et que cela me réjouit profondément. Parce que c’est un enseignant déjà apprécié de ses étudiants et qui arrive avec, dans ses bagages, un partenariat négocié avec une entreprise renommée en matière de veille et réputation. Parce que c’est un chercheur de grande qualité et productif. Parce que c’est quelqu’un de fiable avec qui il est simple et agréable de travailler. Ce n’est pas rien.

Si nous pouvions l’intégrer durablement dans notre équipe, il serait un atout certain pour notre institut, qu’il affectionne particulièrement, et pour notre laboratoire de recherche, le CeReGe.

Affaire à suivre.

Christian Marcon