J’avais décidé de faire moderne, de live-tweeter la journée de recherche consacrée au paradoxes du management stratégique. Mes étudiants adorent cela. Soyons jeune, live-tweetons ! J’ai donc conçu mon hastag, commencé par un premier tweet.
Et puis Alain-Charles Martinet a commencé son intervention. Le propos sur la dialogique et le management stratégique était passionnant. De l’interrogation épistémologique stimulante, critique sur le courant mainstream du management stratégique et son impératif de contribution théorique, son isomorphisme coercitif en matière d’épistémologie. Je cite : « La recherche est devenue post normative : on constate ce qui s’est passé en moyenne et on ne le situe pas historiquement mais on le présente comme toujours valable. On affirme une neutralité axiologique. Le constat de ce qui s’est fait en moyenne n’est pas critiqué en termes moraux. » Plus loin : « le management stratégique – selon ce courant – concerne les hauts dirigeants qui cherchent à maximiser la rentabilité, à aligner les comportements des collaborateurs dans ce but et qui cherchent enfin à augmenter l’avantage concurrentiel sur le marché. Point barre. »
Fin du live-tweet. J’avais autre chose à faire. J’étais concentré sur le sujet. Pensée et prise de note captaient toute ma disponibilité. Assez jubilatoire, si vous pouvez concevoir qu’un exposé d’épistémologie soit jubilatoire.
Dès la fin de l’exposé, je me suis interrogé : pourquoi live-tweet-on lorsque l’on suit une conférence, une table-ronde, un symposium, une communication scientifique voire un cours ? Il faut avoir une disponibilité d’esprit suffisante pour live-tweeter. Cela veut dire décrocher de ce qui est dit. Manque d’intérêt ou quoi d’autre ?
Brève recherche sur Google. Trois pages de résultats : des conseil pour apprendre à faire mais aucune analyse du pourquoi. Pourtant, on m’explique que « Le livetweet est un outil communicationnel. A ce titre il est porteur de sens pour son public »
Alors, je formule quatre hypothèses personnelles, exploratoires, déconstructives et volontiers provocantes (je le reconnais) :
- Le live-tweeteur a la volonté de partager avec un public absent des éléments (discours, faits) qui lui semblent mériter d’être sus au delà de l’enceinte dans laquelle se déroule l’événement. C’est le live-tweeteur altruiste ou militant.
- Le live-tweeteur s’ennuie. Il cherche une façon de s’occuper. Il suit Twitter en parallèle de l’événement auquel il assiste et adopte une posture phatique : il se met en phase avec le public qui produit le flux qu’il suit. En clair, il live-tweete pour faire comme les autres, parce qu’il est hype, dans l’air de son temps : je partage donc je suis ! Je live-tweete pour exister et me situer dans mon époque. C’est le live-tweeteur mimétique.
- Le live-tweeteur fait le malin. Il veut montrer, qu’il est intelligent parce qu’il sait choisir l’essentiel au milieu de la masse des informations, parce qu’il maîtrise l’outil, parce qu’il est multitâche (il faut être multitâche, c’est une compétence dans l’air du temps managérial). C’est le live-tweeteur roublard, égotique.
- Le live-tweeteur juge en temps réel. Fast thinking. De préférence avec l’absolue conviction que son avis est autorisé. Il doit compulsivement faire connaître son jugement. Il donne son absolution ou voue aux gémonies avec la bonne conscience des esprits cyniques se croyant supérieurs. C’est le live-tweeteur prétentieux.
Ces propositions sont un « propos d’étape », comme disait François Perroux, cité par Martinet. Et sans doute devrai-je les considérer en intégrant les principes dialogique, récursif, et hologrammatique d’Edgar Morin afin de développer une approche pragmatique. (Ce paragraphe me sert uniquement à montrer que j’ai bien écouté l’orateur.)
Et comme j’écris ce billet pendant une communication scientifique dont j’ai décroché, je me regarde et me demande si je dois me passer au crible de ma grille. Par chance, je ne suis pas en train de live-tweeter : j’écris un billet de blog. Ce n’est pas du tout la même chose ! Quoique. Il faudra que je me demande pourquoi j’écris ce billet…
Pour décrocher, un conseil. Si vous décrochez pendant un colloque, un symposium… vous pouvez utiliser utilement votre temps en vous plongeant dans l’article de Louise Merzeau, Editorialisation collaborative d’un événement (Communication et Organisation, 2013) par exemple ou dans La fragilité des usages numériques de Jean-Claude Domenguet (Les Cahiers du Numérique, 2013) qui questionnent à leur façon le live-tweet.
Christian Marcon