Live-tweeter ou penser ? Bénéfices d’une intelligence mosaïque

Merci aux personnes qui ont réagi à mon précédent billet sur le thème « live-tweeter ou penser ». Ces avis m’ont donné un autre regard sur mon sujet et je propose maintenant une nouvelle série d’hypothèses explicatives, à partir des contributions reçues. Ce que mon ancien collègue Guy Massé nommait, très finement, le résultat d’une intelligence mosaïque.

Si j’articule le tout, en essayant de respecter au mieux le propos de chacun, cela donne :

  1. Le live-tweeteur a la volonté de partager avec un public absent des éléments (discours, faits) qui lui semblent mériter d’être sus au delà de l’enceinte dans laquelle se déroule l’événement. C’est le live-tweeteur altruiste ou militant, dont mon collègue David Guillemin estime qu’il se situe « dans une démarche d’éditorialisation dans le sens que lui donne Louise Merzeau en mobilisant Zacklad, dans l’article [cité]. Il y aurait une volonté d’organiser l’information relayée en vue de faciliter, si ce n’est son appropriation, au moins sa compréhension. » Ce qui conduit David à proposer deux variantes :

1 bis. « Le live-twitteur qui relaie ce qui lui semble intéressant pour une communauté, et qui, en plus, enrichit ce qui est dit avec des rebonds vers des ressources en ligne qui prolongent le discours »

1 ter. « Le live-tweet « sourcé » (même si l’expression n’est pas très heureuse) qui cherche la précision dans la retranscription et à donner accès, via des liens, à certains éléments qui sont mentionnés dans les propos relayés. »

1 quarto. Danielle Dufour-Coppolani suggère une troisième variante, le livre-tweeteur qui veut « garder en mémoire des liens, ou des alertes, ou « des aides pour des abonnés qui vont à leur tour faire suivre l’info, en temps réel, comme un maillage d’une communauté élastique. »

  1. Le live-tweeteur s’ennuie. Il cherche une façon de s’occuper. Il suit Twitter en parallèle de l’événement auquel il assiste et adopte une posture phatique : il se met en phase avec le public qui produit le flux qu’il suit. En clair, il live-tweete pour faire comme les autres, parce qu’il est hype, dans l’air de son temps : je partage donc je suis ! Je live-tweete pour exister et me situer dans mon époque. C’est le live-tweeteur mimétique.
  1. Le live-tweeteur fait le malin. Il veut montrer, qu’il est intelligent parce qu’il sait choisir l’essentiel au milieu de la masse des informations, parce qu’il maîtrise l’outil, parce qu’il est multitâche (il faut être multitâche, c’est une compétence dans l’air du temps managérial). C’est le live-tweeteur roublard, égotique dont Damien suggère deux variantes :

3 bis. Le live-tweeteur qui veut montrer qu’il est présent là où les autres ne sont pas et que c’est un privilégié.

3 ter. Le tive retweeteur, qui n’est pas présent mais veut soutenir son autorité sur un sujet dont il se dit expert.

  1. Le live-tweeteur juge en temps réel. Fast thinking. De préférence avec l’absolue conviction que son avis est autorisé. Il doit compulsivement faire connaître son jugement. Il donne son absolution ou voue aux gémonies avec la bonne conscience des esprits cyniques se croyant supérieurs. C’est le live-tweeteur prétentieux.

Où l’on voit donc un esprit malicieux conforter mes hypothèses taquines et deux esprits constructifs renforcer considérablement l’hypothèse la plus positive.

Voilà qui rééquilibre le tout et me donne une autre image du live-tweet.

Merci à David, Danièle et Damien.

Ceci dit, si votre prénom ne commence pas par D, vous pouvez aussi contribuer à la notre exercice collectif.  ;-))

Christian Marcon

 

Live-tweeter ou penser ? That is the question.

J’avais décidé de faire moderne, de live-tweeter la journée de recherche consacrée au paradoxes du management stratégique. Mes étudiants adorent cela. Soyons jeune, live-tweetons ! J’ai donc conçu mon hastag, commencé par un premier tweet.

Et puis Alain-Charles Martinet a commencé son intervention. Le propos sur la dialogique et le management stratégique était passionnant. De l’interrogation épistémologique stimulante, critique sur le courant mainstream du management stratégique et son impératif de contribution théorique, son isomorphisme coercitif en matière d’épistémologie. Je cite : « La recherche est devenue post normative : on constate ce qui s’est passé en moyenne et on ne le situe pas historiquement mais on le présente comme toujours valable. On affirme une neutralité axiologique. Le constat de ce qui s’est fait en moyenne n’est pas critiqué en termes moraux. » Plus loin : « le management stratégique – selon ce courant – concerne les hauts dirigeants qui cherchent à maximiser la rentabilité, à aligner les comportements des collaborateurs dans ce but et qui cherchent enfin à augmenter l’avantage concurrentiel sur le marché. Point barre. »

Fin du live-tweet. J’avais autre chose à faire. J’étais concentré sur le sujet. Pensée et prise de note captaient toute ma disponibilité. Assez jubilatoire, si vous pouvez concevoir qu’un exposé d’épistémologie soit jubilatoire.

Dès la fin de l’exposé, je me suis interrogé : pourquoi live-tweet-on lorsque l’on suit une conférence, une table-ronde, un symposium, une communication scientifique voire un cours ? Il faut avoir une disponibilité d’esprit suffisante pour live-tweeter. Cela veut dire décrocher de ce qui est dit. Manque d’intérêt ou quoi d’autre ?

Brève recherche sur Google. Trois pages de résultats : des conseil pour apprendre à faire mais aucune analyse du pourquoi. Pourtant, on m’explique que « Le livetweet est un outil communicationnel. A ce titre il est porteur de sens pour son public »

Alors, je formule quatre hypothèses personnelles, exploratoires, déconstructives  et volontiers provocantes (je le reconnais) :

  1. Le live-tweeteur a la volonté de partager avec un public absent des éléments (discours, faits) qui lui semblent mériter d’être sus au delà de l’enceinte dans laquelle se déroule l’événement. C’est le live-tweeteur altruiste ou militant.
  1. Le live-tweeteur s’ennuie. Il cherche une façon de s’occuper. Il suit Twitter en parallèle de l’événement auquel il assiste et adopte une posture phatique : il se met en phase avec le public qui produit le flux qu’il suit. En clair, il live-tweete pour faire comme les autres, parce qu’il est hype, dans l’air de son temps : je partage donc je suis ! Je live-tweete pour exister et me situer dans mon époque. C’est le live-tweeteur mimétique.
  1. Le live-tweeteur fait le malin. Il veut montrer, qu’il est intelligent parce qu’il sait choisir l’essentiel au milieu de la masse des informations, parce qu’il maîtrise l’outil, parce qu’il est multitâche (il faut être multitâche, c’est une compétence dans l’air du temps managérial). C’est le live-tweeteur roublard, égotique.
  1. Le live-tweeteur juge en temps réel. Fast thinking. De préférence avec l’absolue conviction que son avis est autorisé. Il doit compulsivement faire connaître son jugement. Il donne son absolution ou voue aux gémonies avec la bonne conscience des esprits cyniques se croyant supérieurs. C’est le live-tweeteur prétentieux.

Ces propositions sont un « propos d’étape », comme disait François Perroux, cité par Martinet.  Et sans doute devrai-je les considérer en intégrant les principes dialogique, récursif, et hologrammatique d’Edgar Morin afin de développer une approche pragmatique. (Ce paragraphe me sert uniquement à montrer que j’ai bien écouté l’orateur.)

Et comme j’écris ce billet pendant une communication scientifique dont j’ai décroché, je me regarde et me demande si je dois me passer au crible de ma grille. Par chance, je ne suis pas en train de live-tweeter : j’écris un billet de blog. Ce n’est pas du tout la même chose ! Quoique. Il faudra que je me demande pourquoi j’écris ce billet…

Pour décrocher, un conseil. Si vous décrochez pendant un colloque, un symposium… vous pouvez utiliser utilement votre temps en vous plongeant dans l’article de Louise Merzeau, Editorialisation collaborative d’un événement (Communication et Organisation, 2013) par exemple ou dans La fragilité des usages numériques de Jean-Claude Domenguet (Les Cahiers du Numérique, 2013) qui questionnent à leur façon le live-tweet.

Christian Marcon

Hybridation des connaissances sur les réseaux sociaux : les blogs professionnels servent-ils à quelque chose ?

« Au cours des cinq dernières années, avec l’aide d’une technique qui a rendu leur création et leur maintenance accessibles à des internautes non experts en informatique, les blogs se sont multipliés. Apparus vers 1996-1997, définis [Herring, Cheidt, Bonus & Wright, 2004] comme « des pages web fréquemment modifiées dans lesquelles les entrées sont listées dans un ordre chronologique inversé » les blogs sont désormais des espaces d’expression numérique aussi diversifiés que peuvent l’être les besoins de parole privée ou publique. Ils ont été rapidement  compris par les entreprises comme de nouveaux espaces de communication. Tout aussi rapidement, les professionnels se les sont appropriés pour leur compte propre en tant que supports de leur identité et de leur réputation numérique et, partant, de leur développement d’affaires ou de carrières.

Dans le même temps, depuis 2003, la croissance rapide de la popularité des plateformes électroniques dites de « réseaux sociaux », en particuliers des réseaux sociaux professionnels (linkedin/2003, xing/2003, viadeo /2004, …) a fait émerger un discours laudateur abondant qui oscille entre ardente obligation moderne de présence, postulat d’efficacité informationnelle et productive, et confraternité recommandée. Fort logiquement, des blogs « professionnels » sont apparus sur la thématique des réseaux.

Parallèlement, depuis les années soixante dix, une abondante littérature scientifique a été produite sur le thème des réseaux relationnels. Elle se constitue de travaux parfois peu connus mais aussi de textes relativement populaires, ayant laissé une empreinte dans le vocabulaire dédié aux réseaux. Aux deux premiers rangs de ces travaux, loin devant les autres,  il faut citer les fameux « six degrés » [Milgram & Travers, 1967] sur lesquels s’appuient la plupart des sites de réseaux sociaux en ligne pour justifier l’étendue du réseau potentiel de chacun (résultat contesté de manière parfois convaincante) et la « force des liens faibles » [Granovetter, 1973] que d’aucuns exploitent dans le même genre d’argumentation .

Notre interrogation porte sur le degré d’hybridation des connaissances entre les chercheurs, producteurs de connaissances scientifiquement éprouvées, et les professionnels développeurs de blogs tenant un discours soutenu sur les réseaux. Le dispositif info-communicationnel, que constituent ces blogs de professionnels qui animent principalement les débats sur les réseaux sociaux, joue-t-il un rôle d’hybridation des savoirs ? Les bloggeurs réfèrent-ils (et dans quelle mesure ?) aux travaux de recherche, aux concepts et découvertes des chercheurs ? Sont-ils des passeurs de connaissances ? Ou, pour poser la question trivialement : servent-ils à quelque chose de ce point de vue ? »

J’ouvrais ainsi une communication présentée en mars 2010 lors de la Journée Internationale du réseau MUSSI. Il s’agissait alors de présenter le résultat d’une recherche menée sur ce que l’on nomme l’hybridation des connaissances, autrement dit l’imprégnation croisée des connaissances, les scientifiques s’appropriant une connaissance de terrain portée par des professionnels, ces derniers puisant dans les résultats de la recherche scientifique pour penser et écrire leur analyse de terrain.

Pour lire la totalité de cette communication présentée lors de la Journée Internationale du Réseau MUSSI à Toulouse le 15 mars 2010 : MUSSI 2010 Hybridation des savoirs sur les réseaux_Marcon.

Deux ans après, où en est-on ? Le débat est ouvert.

Christian Marcon

 

Tirer des leçons de la « méthode Rastignac »

Saisi en pleine réflexion par Renaud Arnaudet

Bienvenue sur mon blog.

(Pas facile d’écrire à la première personne lorsque le style universitaire impose une écriture distanciée. Je vais devoir m’y faire.)

J’ouvre ce blog par les quelques réflexions que m’a inspirées la lecture récente d’un ouvrage intitulé « La méthode Rastignac », écrit par Brigitte Méra. L’auteur a écrit une thèse sur les études philosophiques de Balzac. Selon la 4e de couverture de l’ouvrage, elle est « chargée d’enseignement à l’ISC de Paris, chercheur à Paris IV Sorbonne et conférencière à l’université de Davidson aux Etats-Unis.

Le propos de l’ouvrage, paru en 2009, est astucieux : il s’agit de tirer d’une lecture approfondie de l’œuvre de Balzac – en particulier des ouvrages où intervient Rastignac, modèle de l’arriviste, des préceptes qui puissent guider le lecteur dans sa vie professionnelle actuelle. Une démarche dite « accommodatrice », pour reprendre l’expression de Franck Kermode (1973), cité par B. Méra, que l’on rencontre assez fréquemment. Pierre Fayard a pratiqué ainsi avec l’art de la guerre, de Sun Tsu, par exemple.

Si l’ouvrage se lit avec intérêt, nous nous arrêterons seulement ici sur les pages 122 à 129 intitulées « se constituer des réseaux » puis « des lieux de sociabilité ».

Page 122, en ouverture du passage, B. Méra écrit : « Faire fructifier son capital, qu’il soit intellectuel, mondain ou financier, apparaît comme une priorité, un devoir. Tout doit concourir à la réussite. Comment mieux le faire fructifier que d’entretenir ses relations, de les cultiver ? Etre convivial, avoir des relations, c’est bien ; se constituer un réseau et le faire vivre, c’est encore mieux. Le réseau fait gagner du temps, trouver des solutions plus futées et économiser de l’énergie. C’est devenu une compétence stratégique. »

Partant de ce principe, l’auteur souligne, pour Balzac, « l’importance de côtoyer plusieurs milieux pour élargir ses connaissances et élargir son savoir, car sinon on court le risque de devenir stupide. » Elle  ajoute que « Rastignac nous enseigne à sa manière que pour se faire connaître, il faut se montrer et être vu de tous. »

Rien de neuf, mais une confirmation de principes dynamiques classiques du réseau.

Une chose, cependant, à noter. Brigitte Méra insiste sur le caractère particulier de la période post-révolutionnaire dans laquelle Balzac situe l’action de ses personnages : « tout a changé dans la société postrévolutionnaire. Les liens sociaux sont à réinventer, en particulier les lieux de sociabilité pour les « gens du monde » (p. 128). Cela me rappelle un certain discours actuel…

Un conseil : ne pas chercher à imiter Rastignac sans analyser le contexte social global.

Christian Marcon

Brigitte Méra, La méthode Rastignac, Editions Tallandier, 2009, 295 p.