« Petit » énervement sur la politique “Enseignement Supérieur et Recherche” de la France

Hier matin Frédérique Vidal a twitté ce message :

Je n’ai pas lu l’interview (payante), mais le message suffit à comprendre que la politique de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche vise à continuer à mettre le paquet sur un nombre limité de site pour que la France rayonne, rayonne, rayonne (ou bien que le tweet n’est pas représentatif du contenu, ce qui serait au mieux ballot).

Quelques observations, je ne développe pas outre mesure :

  1. Cette politique de concentration des moyens sur quelques sites est en grande partie le produit du buzz médiatique autour du classement de Shanghai depuis le début des années 2000, dont les faiblesses ne sont plus à démontrer, voir par exemple les travaux d’Yves Gingras,
  2. L’analyse de l’évolution de la géographie de la recherche, à l’échelle mondiale, montre que la tendance lourde et générale est à la déconcentration de la recherche, voir les travaux de Maisonobe, Grossetti, Milard, Jegou, Eckert dont le CNRS s’est fait l’écho mais pas jusqu’au sommet du Ministère apparemment,
  3. Se donner pour objectif de monter dans le classement de Shanghai ou dans quelque autre classement, cela me fait penser à l’objectif que se fixent quelques grandes villes d’être plus grosses que leurs voisines ou leurs concurrentes supposées, parfois depuis un demi-siècle. La question est : pourquoi ?
  4. Marion Maisonobe a réagi au tweet de notre ministre avec une question et une carte, on attend la réponse :

  1. Je suggère à nos politiques de suivre les recommandations de base d’un économiste niveau débutant : un investissement se juge sur l’effet marginal. Un euro supplémentaire dépensé à Albi, à Corte ou à Niort, j’en fais le pari, sera plus utile qu’un euro supplémentaire dépensé à TSE. On peut généraliser,
  2. Le plus drôle, pour finir : la France veut monter dans le classement de Shangaï, pour attirer des étudiants étrangers. Une fois formés à moindre coût (car, en France, la puissance publique prend en charge l’essentiel des dépenses), on dira à une bonne partie de ces étudiants qu’ils ne peuvent pas rester, car, vous comprenez, il y a du chômage, on ne peut pas accueillir toute la misère du monde, ce genre de choses… Bref : on investit dans la formation de personnes de qualité à qui on demandera d’aller voir ailleurs après la fin de leurs études, au bénéfice de pays qui vont récupérer sans coût le fruit de notre investissement. La France est un pays futé.

Mon sentiment : l’enjeu majeur n’est pas de monter dans le classement de Shangaï, ou dans un autre classement, mais de faire monter le niveau général de formation de la « jeunesse », plus globalement de la population. Sortir des classements stupides, des comparaisons stériles, entre territoires, Universités, etc., au profit de politiques plus trop à la mode mais un peu importantes d’équipement des territoires, de formation des personnes, du plus grand nombre de personnes possibles, toussa, toussa, je ne sais pas vous, mais moi, ça me semble plus utile.

6 commentaires sur “« Petit » énervement sur la politique “Enseignement Supérieur et Recherche” de la France

  1. Je souscris volontiers à cette vision. Néanmoins, je reste convaincu qu’au delà de la pathologie des classements (qu’on retrouve en effet ensuite entre métropoles, la république ne devrait pas en être fière), cette concentration des moyens des moyens vise à tarir peu à peu la recherche des établissements hors de 15 grands pour :
    – transformer leurs EC en E
    – avoir des recrutements d’étudiants en universités pilotés, bien plus que maintenant, par les classements d’universités que la proximité géographique au domicile de l’étudiant

    C’est latent depuis 10 ans et ça n’évolue que lentement…mais ça n’en reste pas moins l’objectif de certains pilotes de l’avion. D’autres, qui connaissent mieux les établissements, leurs publics, leur quotidien, savent que la solidarité permettra de mobiliser chacun au mieux et faire avancer les situation et ne retrouvent pas dans la réalité les mythes de managers. Ils mettent leur énergie ailleurs.

  2. Votre commentaire rejoint celui que vous faites à propos des Grandes Métropoles à qui on veut accorder l’avantage d’être des “locomotives” à l’effet d’entraînement discutable, à qui on veut tout donner pour qu’elles puissent “tirer” une France des villes moyennes qui serait à la peine. Peu importe finalement que cela fusse vrai ce qui compte surtout c’est d’en être persuadé et de persuader les autres de cette “vérité” d’évidence. La croyance ne vaut que si elle est partagée. Elle prend ici la forme d’un discours académique qui sait s’entourer de toutes les formes de scientificité nécessaire pour se faire entendre. Seulement et si même on peut bien considérer que tout cela n’est pas sérieux ses conséquences peuvent, elles, s’avérer désastreuses si l’on y consent un tant soi peu…Pour l’heure je ne vois guère comment on pourrait empêcher quoique se fut en la matière tellement cette vulgate a su s’imposer et particulièrement auprès des “élites”qui ont souscrit à ce modèle trop simple… Pourtant on peut constater que beaucoup de ceux qui sont directement concernés ne veulent accepter ce qu’on leur propose (en gros, de disparaître !). Leur résistance est le plus souvent informelle et s’appuie davantage sur un refus pas toujours organisé, encore moins conscientisé ou théorisé. Juste NON ! Est-ce que cela peut suffire ?

    • Oui, c’est le problème de la performativité de certains discours… A ma modeste échelle, i) j’essaie d’avancer des éléments de preuve pour montrer que ces discours ne résistent pas à l’épreuve des faits, ii) je propose une autre façon de penser le développement des territoires, car effectivement, on ne peut pas être uniquement dans la déconstruction.
      Est-ce que cela porte ses fruits ? Difficile de répondre, c’est un travail de longue haleine. Pour être sollicité sur pas mal de territoires, je dirais que oui, en partie. Après, le jacobinisme français fait que pour avoir une portée véritable, ce discours doit être entendu sur Paris. C’est lent, très lent, mais je ne désespère pas.

  3. Ping : « Petit » énervement sur la politique «Enseignement Supérieur et Recherche» de la France – Pour une info rouge et verte dans la Vienne

  4. Quelles évolutions ailleurs ?
    “In Germany the idea of promoting a few universities above the rest has met with resistance. “The myth of the German university is that all universities are equal. There has been a lot of criticism of [the excellence initiative],” says Professor Krücken. The government has responded by setting up a new initiative, focused on teaching, not research, and covering more universities.”

    https://www.economist.com/news/special-report/21646987-competition-among-universities-has-become-intense-and-international-top-class

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