Analyse d’iconographie musicale

Titien (v. 1490-1576), Vénus et le joueur de luth, v. 1560, huile sur toile,
150 x 196,8 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge.

Titien (1480-1576),  Vénus et Cupidon avec un Joueur de luth, v. 1560, huile sur toile, 150 x 196,8 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge.

Titien (1480-1576), Vénus et Cupidon avec un Joueur de luth, v. 1560, huile sur toile, 150 x 196,8 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge.

Biographie de Titien (v. 1490-1576) :

 Parmi les grands peintres de la Renaissance italienne, Titien a une des carrières les mieux documentées. Il incarne une des figures majeures de la scène artistique de cette époque, grâce à la « richesse de son coloris et à son inventivité dans la composition ».

Titien est né à Pieve di Cadore vers 1490, et est mort à Venise en 1576. II étudie d’abord l’art de la mosaïque. Puis, il est placé à neuf ans dans l’atelier de Gentile Bellini, peintre de renom de Venise et membre éminent de la Scuola di San Marco. Dans l’atelier de Bellini, le jeune Titien apprend la technique de la peinture à l’huile qu’il mettra à profit tout au long de sa carrière artistique. Ensuite, il quitte ce maître pour étudier auprès de Giovanni Bellini (1437-1516), le frère cadet de Gentile Bellini. Durant cette période, sa palette réaliste et harmonieuse témoigne de l’influence de son premier maître. Puis, Titien poursuit son apprentissage auprès de Giorgione (1477-1510). Dans l’atelier de celui-ci, il développe un style lumineux et lyrique dans ses œuvres religieuses et allégoriques. Aux côtés de ce maître, Titien participe à la décoration extérieure du Fondaco dei Tedeschi et réalise de grandes fresques. Ses premières œuvres sont grandement inspirées des ses maîtres, notamment le Concert champêtre, v. 1509 (fig. 1) dont la paternité a longtemps été attribuée à Giorgione. Leur collaboration durera jusqu’en 1510.

Titien (1485-1576),  Le Concert champêtre, v. 1509,  huile sur toile, 1,05 x 1,37 m,  Louvre.

Titien (1485-1576),
Le Concert champêtre, v. 1509,
huile sur toile, 1,05 x 1,37 m,
Louvre. (fig. 1)

Venise Burrano Murano San Marco dorsoduro Castello San Croce San PoloTitien travaille pour des commanditaires puissants. Grâce à ses nombreuses relations et surtout grâce à son ami, l’Arétin qui lui assure « une efficace publicité littéraire », Titien obtient des commandes prestigieuses. En 1516, il a été nommé le peintre officiel de la République de Venise. La même année, il y exécute le retable l’Assomption de la Vierge pour l’église Santa Maria dei Frari.

l'Assomption de la Vierge, église Santa Maria dei Frari, Venise

l’Assomption de la Vierge, église Santa Maria dei Frari, Venise

Titien (1480-1576), L'Assomption, 1516-1518, huile sur toile,  69 x 36 cm,  église Santa Maria dei Frari, Venise.

Titien (1480-1576), L’Assomption, 1516-1518, huile sur toile,
69 x 36 cm,
église Santa Maria dei Frari, Venise.

Puis, il peint trois tableaux ayant pour thème les bacchanales destinés à décorer l’appartement privé d’Alfonso d’Este, le duc de Ferrare : L’Offrande à Vénus (v. 1518-1519, Prado, Madrid, fig. 2), la Bacchanale (v. 1523-1524, Prado, Madrid, fig. 3) et Bacchus et Ariane (v. 1522-1523, Londres, fig. 4). Titien les nomme les « poésies » dans lesquelles, le « coloris met en valeur la sensualité des corps ».

Titien, L'Offrande à Vénus, 1518-1519, huile sur toile,  172 x 175 cm, Museo Nacional del Prado, Madrid.

Titien, L’Offrande à Vénus, 1518-1519, huile sur toile,
172 x 175 cm, Museo Nacional del Prado, Madrid. (fig. 2)

 

Titien, La Bacchanale des Andriens, v. 1519-1521, huile sur toile, 175 x193 cm, Museo Nacional del Prado.

Titien, La Bacchanale des Andriens, v. 1519-1521, huile sur toile, 175 x193 cm, Museo Nacional del Prado. (fig. 3)

Titien, Bacchus et Ariane, 1520-1523, huile sur toile,  176 x 191 cm,  the National Gallery, Londres.

Titien, Bacchus et Ariane, 1520-1523, huile sur toile,
176 x 191 cm,
the National Gallery, Londres. (fig. 4)

Très rapidement, sa réputation dépasse les frontières de Venise. À Mantoue, il peint pour le marquis Frédéric II la Madone au lapin, 1530 (fig. 5). En Europe, Titien œuvre à la cour de France pour François Ier et à celle du saint Empire germano-espagnol
(Charles Quint, 1500-1558 et son fils Philippe II, roi d’Espagne). En 1545, il est appelé à la cité papale à Rome où il travaille pour le pape Paul III. Titien innove le premier, à son époque, dans l’art du portrait. Il peint les portraits de trois quarts qui rompent totalement avec la tradition florentine des portraits de profil.

Titien (1480-1576), La Madone au lapin, 1530, huile sur toile,  71 x 87 cm, Louvre, Paris.

Titien (1480-1576), La Madone au lapin, 1530, huile sur toile, 71 x 87 cm, Louvre, Paris. (fig. 5)

Titien Portrait isabella d'Este, 1534-1536, huile sur toile,  102 x 64 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne

Titien Portrait isabella d’Este, 1534-1536, huile sur toile,
102 x 64 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne.

Titien, Portrait de charles quint, v. 1533, huile sur toile, 98 x 71 cm, Museo di Capodimonte, Naples

Titien, Portrait de Charles Quint, v. 1533, huile sur toile, 98 x 71 cm, Museo di Capodimonte, Naples.

Analyse de l’œuvre :

Titien (1480-1576),  Vénus et Cupidon avec un Joueur de luth, v. 1560, huile sur toile, 150 x 196,8 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge.
Titien (1480-1576), Vénus et Cupidon avec un Joueur de luth, v. 1560, huile sur toile,
150 x 196,8 cm, Fitzwilliam Museum, Cambridge.

Vénus et le joueur de luth peinte par Titien v. 1560 fait partie de cinq variations sur un même thème qui est la musique et l’amour. Trois tableaux représentent Vénus et Cupidon avec un joueur d’orgue. Deux d’entre eux sont conservés au musée du Prado à Madrid et le troisième au Staatliche Museen à Berlin. Une autre version de Vénus et Cupidon avec un joueur de luth est conservée à Cambridge et une autre à New York. La dernière version est la Vénus et Cupidon et une perdrix conservée au musée des Offices de Florence.

La scène se déroule dans l’intimité d’une chambre. La composition est subtile. Au premier plan, on aperçoit, de gauche à droite, un joueur de luth qui nous tourne le dos. Il est assis sur un lit aux pieds de la jeune femme nue. Le jeune homme est vêtu d’un costume de gentilhomme de couleur jaune ocre, et se pare d’une épée à la taille. Un couvre chef sombre et une cape noire complètent sa tenue. Devant ce luthiste, une partition de musique est posée en équilibre sur une margelle. Il s’approche de la jeune femme nue d’une beauté voluptueuse. Sa tête est tournée vers cette femme nue qui est à demi-allongée sur sa couche. Cette dernière est couronnée par un petit enfant aillé se trouvant dernière elle. Son regard se dirige vers sa gauche, elle semble absorbée par sa rêverie. Son bras droit repose le long de son corps et sa main est posée sur sa cuisse retenant un drapé blanc couvrant son sexe. Le bout de son pied gauche est en contact avec la taille du jeune musicien. La jeune femme, retenant subtilement une flûte avec trois doigts, s’adonne à la musique. Tout à droite et contre sa couche, une viole de gambe est retournée et deux partitions sont placées sur le sol. Les pesants rideaux rouges s’ouvrent sur un paysage pastoral à l’arrière plan. A l’extérieur, les courbes des nuages rappellent celles des seins et des cuisses de Vénus. La lumière aussi participe à magnifier la beauté de la déesse de l’amour.

 L’iconographie Vénus et Cupidon avec le joueur de luth fait intervenir les sens. Cette scène d’amour peut être interprétée comme une illustration de la supériorité des sens « nobles de la vue et de l’ouïe ». Ici L’amour est célébré d’abord par la vue. Titien livre son interprétation de cette scène à travers le jeu d’opposition de couleurs chaudes et froides : le blanc des nuages et du drapé du lit, le rouge des drapés et le bleu du ciel, entre l’intérieur et l’extérieur et entre l’habillé et le dénudé. Dans la mythologie grecque, le blanc, du drapé, symbolise la pureté. Le rouge évoque sa passion. De même, le jaune ocre du costume du luthiste rappelle celui des bracelets de Vénus et celui des instruments de musique. La couleur jaune est associée à l’or : le métal de l’éternité. L’orientation du regard du musicien suggère encore davantage son désir érotique. Les formes sensuelles du corps nu de la déesse de l’amour, la présence de Cupidon et la forme de poire de la viole, contribuent à exalter la passion. Le toucher n’est très peu évoqué que dans le contact du pied gauche de Vénus. Parallèlement, l’ouïe est conviée à participer à la scène d’amour. En effet, la passion est magnifiée par la musique jouée par le jeune luthiste et Vénus. La présence des partitions demeure importante dans les scènes musicales, car au XVIe siècle, chaque musicien possède son propre cahier de musique écrit pour lui. Cette peinture conjugue deux thèmes principaux :  la musique et l’amour. Cependant, le peintre choisit de mettre en valeur la figure de la déesse de l’amour plutôt que les instruments de musique. Pour lui, le luth et la viole retournée représentent des éléments de décoration permettant de suggérer l’art du son. C’est pourquoi, ces instruments sont à peine évoqués, excepté la flûte. Le luth est l’un des attributs de Vénus dont seul le manche dépasse de la silhouette du musicien. La viole retournée contre la couche de Vénus laisse penser que le troisième musicien fait une pause pendant le concert. Cupidon pourrait être ce troisième musicien. Dans cette œuvre, on ne saurait voir une allusion à l’amour sacré. Les peintures mythologiques de Titien dévoilent toute la palette de la passion.

Phuong Tran

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