« Le développement de la pratique du luth dans la société française ».
C’est ainsi que s’intitule le premier chapitre de l’ouvrage La musique du luth en France au XVIe siècle, la publication de la thèse de doctorat de Jean Michel Vaccaro en 1981. Jean Michel Vaccaro (1938-1998) est un musicologue français spécialiste du XVIe siècle. Il travailla dans la constitution d’un corpus de luthistes français comprenant l’œuvre d’Adrian Le Roy, Robert Ballard, Pinel, les Dubout et Guillaume Morlaye. Il s’intéressa également à d’autres périodes et à des compositeurs tels que Schütz, Schönberg et Stravinsky.
Cet ouvrage est agencé en quatre grandes parties. La première concerne le luth dans la société française au XVIe siècle (généralités, facture, diffusion, sources, traités). La deuxième partie s’intéresse à la mise en tablature de modèles vocaux. La troisième étudie la musique de luth et le répertoire des danses et la quatrième les préludes et les fantaisies.
Au XVIe siècle, la pratique d’un instrument devient un trait caractéristique de la culture personnelle de l’homme occidental moderne. Pour sa part, la pratique du luth reste dans la tradition vocale jusqu’à l’extrême fin du XVe siècle, bien que son existence soit attestée par l’iconographie dès le VIIIe siècle. Auparavant, la pratique instrumentale était marginale et réservée aux jongleurs et aux ménestrels. C’est à travers l’imitation du modèle vocal et du remplacement des certaines voix de la polyphonie que la musique de luth commence son développement. Avant le XVe siècle, les luthistes sont confondus avec tous les autres instrumentistes faisant partie des ménestrels et des jongleurs anonymes.
Les premiers statuts corporatifs de la profession datent du début du XVIe siècle. La musique constitue une fonction particulière pour laquelle on reçoit un salaire ou une récompense. Sauf rares exceptions, la pratique personnelle d’un instrument ne fait pas encore partie de la culture individuelle. La cour » consomme » de la musique mais les courtisans ne la pratiquent pas.
La promotion de la pratique instrumentale se fait en France grâce à l’inspiration de l’Italie, pays dans lequel a lieu une transformation progressive de la hiérarchie des divers niveaux culturels de l’activité musicale; reliée au développement du mouvement humaniste. C’est aussi en Italie que le livre de Baldassaire Castiglione, Le Courtisan (1528), est publié. Ce livre fut traduit plusieurs fois en France. Selon Castiglione, le courtisan, au-delà d’un certain nombre de compétences, doit être musicien. Il ne suffit plus d’écouter la musique, il faut la pratiquer. Ceci a deux raisons: une personnelle (liée au réconfort, au délaissement et à l’épanouissement personnel: l’instrument est un confident au même temps qu’il prolonge les facultés d’expression) et une sociale (satisfaire les femmes, recevoir ses convois, consoler les enfants). Le courtisan ne doit pas renoncer à sa virilité de chevalier mais ajouter le raffinement et la délicatesse de l’art musical. Il doit tendre vers un développement de l’homme total.
La popularité qu’eût le luth au sein de cette transformation sociale est en partie due à Castiglione, qui dit « chanter sur le livre… me semble une belle musique… mais encores plus chanter avec le lucz » [sic]. Le luth peut remplacer plusieurs voix de la polyphonie pour accompagner la voix, tout en le permettant articuler en toute clarté la mélodie principale et le texte. L’humanisme cherche une musique nouvelle et de nature expressive, où les effets des sons et des mots doivent se renforcer mutuellement pour émouvoir. La diversité des timbres et d’intensités du luth lui confèrent un succès au XVIe siècle.
Le développement de la pratique du luth eût un impacte dans l’édition de tablatures. L’apprentissage du luth à cette époque se fait par trois moyens: des leçons particulières, des cours en école de musique ou bien de manière autodidacte à l’aide des méthodes adressées aux musiciens amateurs. La conception humaniste de l’éducation, marquée par la pensée néo-platonicienne, contribue à l’essor de la musique du luth en France.
Ainsi, au XVIe siècle le luth n’est pas un instrument réservée uniquement au courtisant français. Il est également pratiqué par des bourgeois, marchands et clercs. Les femmes sont également encouragées à l’apprentissage de cet instrument, car il convient à leur délicatesse et est associé à l’expression amoureuse. Le luth fini par symboliser la vie de la courtisane elle-même.
Laura Torres