Je suis en train de me spécialiser dans la rubrique nécrologique : après Ronald Coase, Albert Jacquard est mort. Certes, ce n’est pas un économiste. De plus, il avait un côté vieux sage à la Edgar Morin vraiment exaspérant, je trouve. Bon, à vrai dire, c’est moins lui (ou Edgar Morin) qui m’exaspère, c’est plutôt les gens qui l’adorent : ça fait un peu défaite de la pensée, d’adorer quelqu’un. Surtout quelqu’un qui doute, qui vous invite au doute.
En même temps, je lui dois beaucoup. Autour de mes 16 ans, je suis tombé, par hasard, sur l’un de ses bouquins : “Eloge de la différence : la génétique et les hommes“. Je ne crois pas avoir lu autre chose de lui. Mais quand on a un père un quart camerounais, moitié français, un quart allemand, ça marque (je ne suis pas sûr des proportions, vous pouvez modifier à la marge sans trop changer le goût, c’est pour donner l’idée).
A tel point qu’en début de thèse, un paquet d’années plus tard, alors que les théories de la croissance endogène (à la Romer, Barro, Lucas) étaient à la mode, qu’il fallait grave s’y investir pour réussir, je m’en suis détourné pour des trucs plus étranges mais qui me parlaient plus. Des trucs genre “An Evolutionary Theory of Economic Change”, de Nelson et Winter. Des trucs qui insistaient sur le rôle du hasard, de l’histoire, de la diversité. Des trucs qui vous détournent de la recherche du modèle idéal. Des trucs qui vous invitent à plus de modestie, qui vous font réfléchir.
Des trucs à la Jacquard.