Baptiste Coulmont a exploité des données du Ministère de l’Enseignement Supérieur sur les demandes de mutation des Maîtres de Conférences et des Professeurs des Universités. Il montre notamment la forte attraction de l’Académie de Paris, qui accueille plus de 450 personnes sur la période 2004-2011. Educpros en a tiré une interview, logiquement intitulée “la région parisienne reste très attractive pour les enseignants-chercheurs”.
Je précise que Baptiste Coulmont se borne à faire parler les chiffres disponibles, en précisant leurs limites et sans interprétation particulière. Mais bien sûr, certains vont y voir une validation de l’évidente supériorité des Universités parisiennes (elles attirent car elles sont attirantes, plus jolies, quoi), pour preuve le titre d’Educpros.
Interprétation beaucoup trop hâtive à mon goût… J’ai rapidement posté un commentaire sur le blog de Baptiste Coulmont, pour proposer l’interprétation suivante : les Universités parisiennes continuent à “produire” beaucoup de docteurs, mais les dynamiques démographiques favorisent plutôt la création de postes hors Ile de France. De ce fait, de nombreux docteurs franciliens trouvent un premier poste hors Ile de France. Ils demandent ensuite, dès qu’ils le peuvent, une mutation dans leur région d’origine. Michel Grossetti, dans un autre commentaire du même billet, attire l’attention sur un point complémentaire, qui pourrait fortement biaiser les résultats : les mutations vers l’Académie de Paris pourraient provenir pour une bonne part de personnes issues de l’Académie de Créteil ou Versaille. Dans les deux cas, on en viendrait à la conclusion que l’Ile de France attirerait avant tous… les parisiens…
En parcourant plus attentivement le document utilisé par Baptiste Coulmont, je me suis ensuite aperçu que les auteurs de l’étude posaient la même hypothèse, confirmée par ailleurs par une étude précédente : “Pour s’en tenir aux mutations des PR, ces dernières années, les auteurs ont avancé une tentative d’explication envisageant un mouvement circulaire : des MCF parisiens sont recrutés PR dans des universités de province et, quelques années plus tard, reviennent à Paris et en Ile-de-France par la voie d’une mutation. L’étude consacrée au bilan des recrutements des MCF dans le corps des PR entre 1993 et 2007 a confirmé cette hypothèse” (haut de la page 21).
Avec ce type de remarque, il s’agit d’attirer l’attention sur le fait que tous les débats sur la mobilité géographique des enseignants-chercheurs ne devraient pas se focaliser uniquement sur le mode de fonctionnement du système universitaire pour analyser les comportements de mobilité observés : la demande de mobilité (ou de non-mobilité) résulte aussi de déterminants sociaux très classiques, on peut penser par exemple qu’elle sera plus faible si le candidat est marié, que son conjoint travaille, qu’ils ont des enfants, etc. (En passant, c’est assez cocasse que ce soit un économiste qui attire l’attention sur ce point en commentant des analyses de sociologues). C’est un des points essentiels sur lequel j’insiste dans un article co-écrit avec Bastien Bernela, que nous venons de finaliser, qui prend pour point de départ le débat autour du localisme. La faible mobilité des enseignants-chercheurs résulterait sans doute moins des pratiques localistes que de la préférence pour l’inertie spatiale des docteurs.
Bastien Bernela continue dans cette direction, en analysant les comportements de mobilité géographique des sortants du système d’éducation, en fonction du niveau de diplôme, avec un focus sur les docteurs. Les données mobilisées sont les enquêtes génération du Cereq 2001, 2004 et 2007. Le focus sur les docteurs consiste à distinguer, parmi les docteurs d’une génération, ceux qui, trois ans après, sont dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (docteursESR), ceux qui sont au chômage (docteursCho) et ceux qui travaillent hors Enseignement Supérieur et Recherche (DocteursNonEsr). On aboutit à ce graphique.
Taux de mobilité interrégionale trois ans après l’obtention du dernier diplôme (%)
Plusieurs résultats intéressants, je trouve :
- la mobilité géographique augmente dans le temps, pour tous les niveaux de diplôme et ce de manière substantielle sur une période aussi courte,
- la mobilité est logiquement croissante avec le niveau de diplôme, mais seulement jusqu’au niveau Master, elle décroît ensuite pour les docteurs. Dans l’article déjà cité, nous montrons que ceci s’explique notamment par des déterminants sociologiques : par exemple, le fait d’avoir un enfant au moment de l’obtention de son diplôme réduit significativement la probabilité d’observer une mobilité trois ans après,
- résultat le plus surprenant peut-être : la mobilité géographique des docteurs ESR est plus grande que celle des docteurs non ESR, elle-même plus forte que celle des docteurs au chômage.
Il reste bien sûr beaucoup de travail pour bien comprendre les déterminants de ces résultats (Bastien, arrête de regarder Game of Thrones, retourne au boulot!). Mais ils me semblent suffisamment saisissants pour s’interroger autrement sur la question de l’attractivité des Universités ou sur celle du localisme…
Je pensais la mobilité des EC très réduite, du fait de la rare opportunité de pouvoir faire converger nos deux métiers dans un autre endroit. J’ai quelques questions, également posées chez Baptiste Coulmont, au cas où vous auriez une réponse ….
Quel est le volume moyen de mutations par an ? Comment ça se compare au volume de recrutement MCF/PR annuel ? (c’est-à-dire quelle est la proportion de postes pourvus par la mutation ?). Comment cette mobilité se compare par rapport aux profs du secondaire (par exemple) ou des postes occupés par des cadres en entreprises (par un autre exemple) ?
Dans le document du ministère utilisé par Baptiste Coulmont, page 17, il y a un tableau avec le nombre de mutations et leur poids dans l’ensemble des postes ouverts sur 2004-2011 : assez stable, autour de 300 postes par an, soit de 10 à 11% de l’ensemble des postes ouverts.
Sur tes questions en fin de commentaire, le graphique que j’ai inséré dans mon billet te donne des points de comparaison entre mobilité des docteurs ESR et non ESR. En affinant l’analyse des données Cereq, on pourra faire des comparaisons plus précises.
Ping : Somewhere else, part 61 | Freakonometrics
Ping : Recrutement des enseignants-chercheurs : l’endorecrutement, c’est mal | Olivier Bouba-Olga
Ah, l’attractivité !
Dois-je rappeler que le logement est hors de prix à Paris, et que les normes d’urbanismes malthusiennes (hauteurs limites de construction, coefficients maximaux d’occupation des sols, zones inconstructibles…) interdisent la construction des centaines de milliers de logements qui y manquent si cruellement ?
Quelle légitimité une ville qui ne veut accueillir personne peut-elle avoir à vouloir attirer tout le monde ?
Une femme peut-elle impunément “allumer” tous les hommes dans le seul but de se refuser à eux au dernier moment ? Nous savons tous que cela est dangereux et se termine souvent mal. Au moins les femmes qui se comportent ainsi sont-elles plus des victimes qu’autre chose, car elles ne se rendent pas compte de ce qu’elles font.
Mais quelle excuse peut avoir une ville à tout faire pour accroître son “attractivité” une fois qu’elle a interdit toute construction de logements supplémentaires ? Les responsables trouvent-ils donc vraiment que les prix des logements et des loyers ne sont pas encore assez monstrueux ?
Cela se terminera probablement très mal aussi, mais les édiles des grandes villes (il n’y a pas que Paris, hélas !) et les classes qui les soutiennent n’auront que ce qu’ils méritent le jour où les millions de banlieusards et de provinciaux qu’ils cherchent à attirer par tous les moyens pour mieux leur interdire le séjour se révolteront.
Je conteste la légitimité de toute recherche et de toute politique en matière d’attractivité aussi longtemps que les normes d’urbanisme malthusiennes n’auront pas été éradiquées.
Quand on ne veut coucher avec personne on s’abstient d’allumer tous les hommes. Si on ne veut pas construire de logements pour loger ceux qu’on pourrait attirer on ne doit en aucun cas essayer d’attirer qui que ce soit.
Cette politique est perverse, sadique et criminelle. Elle se paiera un jour.
Enseignante et chercheuse, venue chercher sur ce blog hébérgé par l’Université de Poitiers des informations sur la mutation et sur ses statistiques, je m’étonne de tomber sur ce type de commentaire de “borderal” qui aurait ieux fait de choisir pour psuedo “borderline” :
“Quelle légitimité une ville qui ne veut accueillir personne peut-elle avoir à vouloir attirer tout le monde ?
Une femme peut-elle impunément « allumer » tous les hommes dans le seul but de se refuser à eux au dernier moment ? Nous savons tous que cela est dangereux et se termine souvent mal. Au moins les femmes qui se comportent ainsi sont-elles plus des victimes qu’autre chose, car elles ne se rendent pas compte de ce qu’elles font.”
Et aussi : “Quand on ne veut coucher avec personne on s’abstient d’allumer tous les hommes.”
Je dois dire que je suis absolument affligée qu’une personne ayant fait des études supérieures (et qui sans doute enseigne dans le Supérieur) puisse faire des comparaisons sexistes et stupides de ce type, qui trouveraient mieux leur place dans un bistrot (et encore…) : toujours le même cliché de l’allumeuse aguicheuse et en même temps victime inconsciente.
J’ose espérer que cette personne n’enseigne ni en sociologie, ni en sciences politiques, ni en littérature, et que si elle ensigne la chimie, elle évite de faire des métaphores douteuses.