La productivité scientifique des Régions françaises

Gaïa Universitas a publié il y a quelques jours un billet intéressant intitulé “Excellence et productivité scientifique des ensembles régionaux”. Elle montre, notamment au travers de ce graphique, que le nombre de publications des Régions françaises est proportionnel à leur taille :

En gros, une région deux fois plus grande en nombre de chercheurs publie deux fois plus. Soit une productivité identique pour toutes les régions (j’ai dit en gros, on s’écarte parfois un peu de la droite, mais comme le signale Rachel, très bonne corrélation quand même).

Inévitablement, certains commentateurs se sont empressés de dire que “oui mais bon, dans les grandes régions, les publications sont sûrement de meilleure qualité quand même!!!”. Question légitime, plus difficile à trancher empiriquement. L’objectif de ce billet est d’apporter de premiers éléments de réponse.

Je m’appuie pour cela sur le travail réalisé par Michel Grossetti et son équipe sur Toulouse. Je vous avais déjà parlé du début de ce travail dans ce billet : les auteurs montrent qu’on assiste à un phénomène de déconcentration de la recherche pour différents pays. En France, l’Ile de France perd au profit des autres régions en termes de publication scientifique. En présentant ces résultats, Michel Grossetti s’est exposé à la même critique que celle avancée plus haut : “certes, l’Ile de France perd au profit des autres régions, son poids régresse dans les publications, mais les publications franciliennes sont de bien meilleure qualité!!!” (curieusement, ce sont souvent des chercheurs d’Ile de France qui émettent ce genre de remarque…).

Pour éprouver cette hypothèse, Michel Grossetti et Béatrice Millard ont poursuivi leurs investigations, synthétisées dans cet article. Ils retrouvent d’abord le mouvement de déconcentration de la recherche, au détriment des régions centres et au profit des régions intermédiaires et périphériques, et ce pour de nombreux pays (Etat-Unis, Royaume-Uni, France, etc.).

Surtout : ils se focalisent plus loin, pour la France, sur l’évolution de la concentration spatiale de l’ensemble des publications, d’une part, et du sous-ensemble des 10% des publications les plus citées (on considère la qualité d’une publication augmente avec le nombre de fois où elle est citée). En reprenant leurs chiffres, j’ai construit ce petit tableau, qui donne la part de l’Ile de France, de 1993 à 2003, dans :

1993 1998 2003
l’ensemble des publications (1) 45% 38% 39%
les 10% des publications les plus citées (2) 54% 45% 42%
ratio (1)/(2) 1,21 1,19 1,09

En dix ans, l’Ile de France a vu son poids dans l’ensemble des publications baisser de six points de pourcentage, et du double (douze points) dans les publications les plus citées. Le ratio des deux chiffres, que l’on peut considérer comme une sorte d’indicateur de performance, reste certes supérieur à 1, mais il s’en rapproche dangereusement…

Conclusion? La production scientifique se déconcentre en France, mais la production scientifique de qualité se déconcentre encore plus vite…

Comment expliquer ce phénomène? J’avancerais une hypothèse : conformément à ce que disent Grossetti et Milard, le processus de déconcentration de la production scientifique est très lié aux évolutions démographiques. Les régions hors Ile de France ont des dynamiques plus favorables, donc plus d’étudiants, donc plus de création de postes d’enseignants-chercheurs, donc plus de publications. Si l’on considère en outre que les chercheurs et enseignants-chercheurs récemment recrutés produisent des recherches en moyenne de meilleure qualité que ceux des enseignants-chercheurs en poste depuis plus longtemps, on explique assez bien les chiffres observés : déconcentration de la production et déconcentration plus rapide de la production de qualité.

15 commentaires sur “La productivité scientifique des Régions françaises

  1. Si l’explication que vous donnez est bonne, on ne peut pas exclure un renversement rapide de la tendance, avec les jeunes chercheurs de qualité revenant sur Paris (pour des raisons d’opportunités professionnelles des conjoints) dès que l’évolution de leur dossier le leur permet.

  2. Pour illustrer mon exemple : je connais un département dans une université de province où *tous* les chercheurs publiants (et dont les publications sont comptabilisées comme non-parisiennes) habitent à Paris, et tous parce que le conjoint ou compagnon ne peut raisonnablement obtenir un emploi correspondant à sa qualification dans la région de l’université concernée. Inutile de dire que cette situation n’est pas satisfaisante.
    Je serais curieux de voir ce que donnerait la même étude avec le lieu de résidence privée des chercheurs plutôt que l’adresse de leur université.

  3. bof, bof. Déterminant essentiel des créations de postes : les évolutions démographiques, favorables à la province. Je ne comprends pas bien non plus votre argument des conjoints : il y a de l’emploi hors IDF. Enfin : s’installer en province (Bordeaux, Toulouse, Lyon, Grenoble, etc…) ne donne pas toujours envie de revenir sur Paris… On oublie vite le snobisme pour la qualité de vie, professionnelle et extra-professionnelle (je sais, : commentaire peu scientifique!).

  4. Je conçois bien qu’il y a de l’emploi hors Île-de-France. Mais les conjoints d’universitaires ne sont pas un public représentatif. Ils ont un profil de cadre supérieur, dont la géographie est beaucoup plus concentrée.

    Je parle évidemment de mon exemple, mais quelle est la proportion des postes ouverts en France hors d’Île-de-France à un jeune docteur en économie industrielle hors université ? J’ai cherché : l’année dernière, cette proportion était nulle (alors que j’ai eu le choix entre plusieurs emplois sur Paris).

    Je pense qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé : Quelle proportion des grandes banques et assurances ont leur siège social hors de Paris ? Quelle proportion des entreprises multinationales, cabinets d’avocat d’une certaine ampleur ? Quelle proportion des postes de cadres A+ de la fonction publique en Province ? Sans parler de la centralité de Paris quand l’un a un poste à Lyon et l’autre à Rennes, dans le cas de deux universitaires.

    Historiquement, la norme a été pour le conjoint (enfin, souvent la conjointe) de sacrifier sa carrière au profit de celle de l’universitaire qui parvenait à trouver un poste.

    Aujourd’hui, cela semble être nettement moins le cas, conduisant à un divorce de fait entre lieu d’exercice et lieu de résidence.

    Par ailleurs, pour les départements littéraires (Lettres classiques et modernes, histoire en particulier), où la Bibliothèque Nationale de France reste un outil indispensable pour mener ses recherches.

    Je ne suis parisien que d’adoption, et serai ravi de pouvoir quitter les appartements trop petits et hors de prix si je pouvais le faire dans de bonnes conditions. Ce qui n’est pas possible à l’heure actuelle.

    • j’entends bien que ce type de situation existe, je doute un peu de la montée en généralité. Plutôt de l’idée évoquée que l’on risque d’assister à un retournement de tendance. La tendance à la déconcentration s’observe dans un très grand nombre de pays, comme montré dans l’article de Grossetti et Milard (et comme montré pour un ensemble beaucoup plus large de pays dans un article pour le moment non diffusé co-écrit notamment par Grossetti et Gingras).
      Autre point : même si on a retournement de tendance, pas vraiment de raison de penser que ce sont nécessairement les meilleurs qui retourneront sur Paris. Pour prendre l’exemple de l’économie, ils ont plutôt intérêt à aller sur TSE, non?

  5. Si ces informations sont précieuses, il ne faut pas s’en contenter. D’ailleurs, ca ne dit pas non plus que la concentration, c’est mal. Si cela permet de remettre un cause un biais pro-concentration de certains parisiens, voir certains ‘provinciaux’ dire que cela clos le débat est trop rapide.

    Vous dites, à juste titre, que pour la production scientifique, c’est le réseau qui compte. Mais est-ce le cas pour l’articulation recherche appliquée-innovation privée (en retenant l’hypothèse que cela est souhaitable), ou pour d’autres activités connexes à la recherche. La question de la localisation ainsi que d’une ‘certaine’ concentration peut encore se poser.

    Bref, votre billet est très interessant et peut faire désesperer lorsque l’on voit certaines stratégies d’ultraconcentration mises en oeuvre. Mais ça ouvre plus d’autres questions que ca n’apporte de réponses.

    • disons que le discours ambiant, très à la mode, est celui de “concentrons, concentrons, concentrons!”. Apporter des éléments montrant les limites d’un tel discours me semble important. Vous avez raison, je parle ici seulement de la recherche, pas des liens sciences-industrie par exemple. D’autres travaux empiriques (je dis bien empiriques) permettent d’aboutir à des conclusions proches.
      si je devais avancer une seule proposition en termes de politique publique : arrêtez de chercher le modèle, pensez au contexte, regardez les problèmes, apportez les solutions adaptées (tiens, je vais essayez de tweeter ça!)

      • sur l’importance du réseau: mon labo, parisien, est concerné par le déménagement à Saclay. Nos partenariats se font avec:
        Lille,
        Lyon,
        Grenoble,
        l’Allemagne
        Cambridge
        Barcelone

        Alors, certes, nous bossons aussi avec le CEA saclay, mais ce n’est qu’un seul de nos partenariats, et pas le plus important. Je doute que le déménagement provoque une telle croissance de nos réseaux locaux qu’il compense la perte d’une heure quotidienne dans les transports x nbre de chercheurs et ITA…

  6. Je crois que le label Idex accolé à une région n’est pas révélateur. L’idex de Paris (dit PSL) ce n’est pas tout Paris. Ce sont seulement 13 institutions parmi les plus prestigieuses. Je parie que si on fait le découpage entre les 13 membres de l’Idex et les autres institutions parisiennes hors de l’Idex on s’aperçoit que l’Idex PSL est largement au dessus de la droite.

    • L’idée de mon billet est de montrer qu’à l’échelle des régions on a plutôt déconcentration, et déconcentration d’une recherche de bonne qualité. Qu’il y ait de l’hétérogénéité infra-régionale est indéniable, IDF comprise. Comme son “score” est proche de la moyenne, s’il y a des très bons, c’est qu’à côté co-habite des très mauvais 😉

  7. Question: Pourquoi peut on raisonnablement supposer que les recherches des chercheurs et enseignants-chercheurs récemment recrutés produiraient des recherches en moyenne de meilleure qualité que ceux des enseignants-chercheurs en poste depuis plus longtemps, comme vous l’affirmez dans votre billet ?

    On pourrait supposer qu’un jeune enseignant chercheur travaillera en début de carrière sur un sujet souvent en prolongement de sa thèse. Thèse qui devrait au départ couvrir un sujet nouveau à défricher. Dès lors on pourrait supposer que les articles susceptibles d’êtres considérés comme des articles fondateurs seront &écrits en début de carrières, les articles suivants seraient alors de raffinements des articles fondateurs. Or l’article fondateur a plus de chance d’être cité dans toute nouvelle publication se rapportant au même sujet.

    Dans un telle hypothèse, en fait, ce n’est pas tant que les nouveaux articles seraient de moindre qualité par ce que moins cités.

    Autre hypothèse, en vieillissant, on a plus de mal à se renouveler si bien que l’on produit des articles moins intéressants dans son domaine de prédilection, si bien que les articles sont moins cités. Mais alors, la solution ne serait-elle pas de faire changer les chercheurs de labo / domaines pour qu’ils puissent intervenir dans une discipline connexe avec un œil nouveau et retrouver l’innovation de leur débuts ?

    Troisième hypothèse ‘medefienne’ : Les enseignants chercheurs c’est comme tout salarié passé 50 ans : rien que du vieux qui fatigue et qui coûte bieeeen plus cher que tu pt’tit jeune payé des clopinettes et kinenveut 😉

    • Ce n’est vraiment qu’une hypothèse, compatible avec l’évolution observée. En fait, la raison que je pourrais avancer est la suivante : les jeunes enseignants-chercheurs ont bien intégré les nouvelles règles qui se diffusent progressivement dans l’enseignement supérieur : il faut publier, publier des articles, des articles dans des revues à fort impact, etc. Donc ils travailleraient plus à leur visibilité que les plus anciens. Ce qui me conduit à modifier à la marge ce que j’ai dit : les jeunes enseignants-chercheurs ne font pas nécessairement de la recherche de meilleure qualité, mais de la recherche à plus forte visibilité.
      Remarquez que ce n’est pas une question d’âge : c’est que l’on passé à un système où la visibilité est devenue essentielle, c’était moins le cas avant.
      Sur votre proposition de faire changer les chercheurs de labo/domaine, les spécialisations sont si pointues que ce n’est pas possible. Je ne pense pas que la créativité se réduise nécessairement avec l’âge. S’il peut y avoir quelque chose qui pénalise les chercheurs plus âgées, c’est le nombre de responsabilités qu’on leur met sur le dos et qui réduit leur temps recherche.

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