Dans une tribune pour Libération datée du 2 septembre dernier, Alexandre Delaigue s’interroge sur le fétichisme industriel de nos politiques. Je complète son analyse sur un point en m’appuyant sur ce que j’ai dit, dans un billet précédent, des limites des statistiques sur le commerce extérieur et de la nécessité de comptabiliser le commerce en valeur ajoutée.
Comme expliqué précedemment, donc, les statistiques habituelles du commerce extérieur ne permettent pas de prendre acte du processus de fragmentation des processus productifs. Quand les Etats-Unis exportent un Boeing, disons d’une valeur de 100, vers l’Europe, on affecte 100 de richesse créées aux Etats-Unis. Or, pour fabriquer
un Boeing, les Etats-Unis importent de pays tiers tout un ensemble d’éléments. Il convient donc de soustraire ces éléments importées pour avoir une idée exacte de la valeur ajoutée aux Etats-Unis. Lorsqu’on procède de la sorte, on observe que, pour le Boeing 787 Dreamliner, 70% de la valeur provient des composants importés, seuls 30% correspondent à une valeur ajoutée américaine.
J’avais tiré parti de cette nouvelle façon de comptabiliser les échanges pour dénoncer les propositions de taxation des pays étrangers : en les taxant, on taxe, pour beaucoup, les entreprises françaises. Mais il convient de tirer une deuxième implication essentielle de cette comptabilisation du commerce en valeur ajoutée.
Lorsqu’on analyse les statistiques habituelles du commerce, on observe que, pour l’essentiel, ce sont les secteurs industriels qui sont exportateurs. Ce qui est un des éléments explicatifs du fétichisme industriel dénoncé par Alexandre Delaigue. Mais la encore, la comptabilité habituelle du commerce est trompeuse : les services
sont en fait fortement exportateurs, mais cela ne se voit pas dans les statistiques…
Pourquoi? Car les services sont exportés via les biens industriels. Prenons le cas d’une entreprise industrielle qui exporte un bien A vers un pays tiers. Pour fabriquer ce bien A, elle a acheté un ensemble de services aux entreprises : conseil, design, services informatiques, transports de biens intermédiaires, etc. Pour évaluer la part des services dans les exportations, il convient donc, là encore, d’évaluer le commerce en valeur ajoutée. Autrement dit de décomposer la chaîne de valeur des biens et d’affecter
la valeur créée pour chaque étape au bon secteur et au bon pays.
L’article de l’OFCE déjà cité dans le précédent article montre l’ampleur des changements liés à cette nouvelle comptabilisation : “Mesurés à partir des données en valeur ajoutée (…), la part de l’industrie dans le commerce international passe de plus des deux tiers (4 400 milliards de dollars) à moins de 45 % (2 100 milliards de dollars) (…) alors que la part des services fait plus que doubler pour passer de 21 % (1 300 milliards de dollars) à 43 % (2 000 milliards de dollars).” (page 156, voir également le tableau page 155 du même document).
Conclusion : si les politiques veulent absolument soutenir les secteurs exportateurs (il y aurait beaucoup à dire, également, de cette obsession mercantiliste), ils se doivent donc d’être aussi attentifs aux services qu’à l’industrie…
Je comprends pas tres bien votre raisonnement. Si Boeing vend pour 100 mais importe pour 70, sur les statistiques du commerce exterieur on va avoir les 2: +100 et -70. donc on a bien un solde de
+30 d exedent commercial, pas de +100 (a moisn de considerer que les exportations et pas les importations)
Quand en france on parle de deficit du commerce exterieur c est bien que somme(achat) > somme (vente)
sinon les services ca s exporte aussi directement: par exemple SAP ou oracle vendent des logciels+ du conseil comment utiliser leurs outils. Mais c est vrai que ca passe moins bien au 20 h
Bonjour et meci pour votre blog
Est-ce que c’est une erreur si on formule les choses comme cela : mesurer les flux commerciaux “apparents” ne pose pas un problème de pertinence pour la balance commerciale -dans l’étude de
l’OFCE, le pays A est dans les deux cas excédentaire- mais n’est pas pertinente pour mesurer les performances commerciales vis-à-vis d’un autre pays et la contribution de chaque branche aux
exportations ?
Dit autrement, cela permet de relativiser le déficit commercial français par rapport à la Chine, cela permet aussi de relativiser les conséquences négatives d’une supposée désindustrialisation
pour notre balance commerciale, mais cela ne remet pas en cause le fait que notre déficit commercial s’aggrave. Est-ce juste ?
J’avais fait des recherches sur ce sujet précis pour essayer de tempérer les propos alarmistes souvent entendus sur le décrochage de la France (notamment face à l’Allemagne) en termes de
compétitivité.
Une note de l’OFCE (+ récente que celle que vous citez) me donnait du coeur à l’ouvrage en montrant que, avec ce nouveau mode de calcul intégrant les “consommations intermédiaires entendues
au sens large, les performances de la France à l’export étaient meilleures qu’indiquées généralement (si je l’ai bien comprise) : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/lettres/294.pdf
Néanmoins, le rapport “Performances à l’exportation de la France et de l’Allemagne” de Lionel Fontagné et Guillaume Gaultier pour le CAE
(http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/094000026/index.shtml), qui intègre les
services, a immédiatement après tempéré mon enthousiasme. En effet, cette étude montre que, dans les services “plus encore que pour les biens la dégradation de la position de la France
est frappante. Elle concerne la quasi-totalité des postes, l’exception étant les voyages (les recettes du tourisme) avec une stabilité de la part de marché”.
Je ne suis pas expert. Ainsi, questions : les analyses de l’OFCE et du CAE se contredisent-elles? Si oui, que croire? Sinon, comment les comprendre en termes complémentaires?
Merci d’avance de votre éclairage.
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