Quel lien peut-on faire entre émigration, immigration et salaires des natifs du pays d’origine? C’est à cette question que répondent
Frédéric Docquier, Çaǧlar Özden et Giovanni Peri, dans ce document de travail du NBER (€), en se focalisant sur le cas
européen.
Résultat des courses (traduction d’un extrait du résumé) : Nous montrons que tous les pays européens ont connu une baisse de
leurs salaires moyens et une aggravation des inégalités de salaire à cause de l’émigration. A l’inverse, contrairement à la croyance populaire, l’immigration a un effet positif sur les salaires
moyens et sur la réduction des inégalités de salaires des natifs.
A signaler en complément que Frédéric Doquier met à disposition sur son site des
données sur les migrations internationales.
Résumé complet en anglais : In this paper, we simulate the long-run effects of migrant flows on wages of high-skilled and
low-skilled non-migrants in a set of countries using an aggregate model of national economies. New in this literature we calculate the wage effect of emigration as well as immigration. We focus
on Europe and compare the outcomes for large Western European countries with those of other key destination countries both in the OECD and outside the OECD. Our analysis builds on an improved
database of bilateral stocks and net migration flows of immigrants and emigrants by education level for the years 1990 through 2000. We find that all European countries experienced a decrease in
their average wages and a worsening of their wage inequality because of emigration. Whereas, contrary to the popular belief, immigration had nearly equal but opposite effects: positive on average
wages and reducing wage inequality of non-movers. These patterns hold true using a range of parameters for our simulations, accounting for the estimates of undocumented immigrants, and correcting
for the quality of schooling and/or labor-market downgrading of skills. In terms of wage outcomes, it follows that prevalent public fears in European countries are misplaced; immigration has had
a positive average wage effect on native workers. Some concerns should be focused on the wage effect of emigration, instead.
Voila une étude tout à fait stimulante. Quelques commentaires de votre commentaire.
Vous mentionnez comme un fait acquis que « tous les pays européens ont connu une baisse de leurs salaires moyens et une aggravation des inégalités de
salaire à cause de l’émigration »
Sur le premier point, l’aggravation des inégalités, j’avais cru lire et entendre que sur la période 1990-2000, comme sur les deux
décennies précédentes, d’ailleurs, au moins en France, il n’y avait pas eu «creusement des inégalités» si on comparait le décile supérieur et le
décile inférieur des revenus, mais qu’en revanche, le centile des revenus les plus importants avait connu une forte progression.
Faire jouer un rôle, en France, à l’émigration des top executives (40 000 français
highly educated vivant à LONDRES aujourd’hui, plus de la moitié des promotions de l’ESSEC partant travailler à l’étranger, dit-on, etc..), dans la baisse des salaires moyens, me semble pour le moins contre-intuitif. D’abord parce que le départ de ces candidats à l’emploi devrait modifier
les termes de l’offre et de la demande, à l’avantage de ceux qui restent, et ensuite parce ce que l’émigration en France est un phénomène tout à fait marginal, sauf peut-être dans les filières
d’élite mentionnées ci-dessus et a priori peu susceptible de faire bouger la moyenne des revenus de l’ensemble de la population des actifs.
De façon symétrique, l’arrivée sur le marché du travail d’effectifs importants d’immigrés (souvent dans des emplois peu qualifiés),
semble de nature à faire basculer l’avantage dans la négociation salariale du coté des employeurs et à faire baisser les rémunérations.
Je me demande finalement si nous ne sommes pas là devant le problème habituel de l’interprétation des données, qui expose à une
confusion entre corrélation et causalité.
Dans les périodes de développement de la demande, l’ajustement à la hausse des capacités productives crée des tensions sur le marché
du travail, avec une hausse tendancielle des rémunérations, et peut inciter un plus grand nombre d’immigrés à venir tenter leur chance dans un marché du travail dynamique. On peut parler de
corrélation et non de causalité. Dans les périodes de marasme, il y a tension sur le marché de l’emploi des cadres, et baisse tendancielle générale des salaires, et les cadres sans débouchés
peuvent être incités à quitter le territoire national. Là encore, corrélation ne signifie pas causalité.
Il est d’autant plus facile de faire cette confusion qu’on va dans le sens de la Doxa en cours, en vogue chez les démographes, en
particulier, où on nous dit qu’il faut lever les obstacles à l’immigration, sans prendre en compte certains paramètres du « modèle », en particulier le stock d’emplois disponibles et
l’état de l’économie.
Votre formule « contrairement à la croyance populaire, l’immigration a un effet positif sur les salaires moyens et sur
la réduction des inégalités de salaires des natifs » vous met dans la position de l’expert qui vient corriger une croyance erronée de ses concitoyens, en s’appuyant sur des modèles économétriques,
dont on a vu les limites dans la période récente, n’est-il pas ?