Faut-il ouvrir un Master supplémentaire?

 

Je reprends une idée dévéloppée autrement dans d’autres billets.

Les Universités sont en train, par vague successive, de calibrer leur offre de diplômes. L’autonomie croissante des
Universités fait qu’elles font un peu ce qu’elles veulent. Le Ministère se contente de leur dire : “faites ce que vous voulez, vous fonctionnerez à budget constant”.

Parallèlement, le nombre d’étudiants attendus dans les Universités françaises est plutôt décroissant. Soyons optimistes,
supposons qu’il soit constant, disons égal à n.

Supposons de plus que les étudiants se répartissent aléatoirement entre les formations proposées (la qualité des diplômes
est difficilement observable). Dès lors, si une université propose x formations sur un ensemble X de formations, elle accueillera donc (x/X)*n étudiants. Sa dotation sera de x/X de la dotation
globale.


Question métaphysique : l’Université en question a-t-elle intérêt à ouvrir une formation supplémentaire? On est en fait
dans une configuration de dilemme du prisonnier :


 

 

Autres Universités

Ouvre

N’ouvre pas

Université A

Ouvre

x+1/X+y+1

x+1/X+1

N’ouvre pas

x/X+y

x/X


Plaçons nous dans le cas de l’Université A.

Première possibilité, y universités (autres qu’elle) ouvrent une formation (avec y>=1). L’Université A à le choix
entre ouvrir une formation, elle touche x+1/X+y+1 de la dotation, ou ne pas ouvrir de formation, elle touche x/X+y. Je vous laisse montrer que, dans tous les cas, si au moins une autre université
ouvre une formation, elle a intérêt à en ouvrir une.

Deuxième possibilité : aucune autre université n’ouvre de formation. Si elle-même n’en ouvre pas, elle touche la même
somme qu’auparavant, soit x/X. Si elle en ouvre une, et elle seule, elle touche x+1/X+1 de la dotation. Je vous laisse montrer que x/X<x+1/X+1, donc qu’elle a intérêt à ouvrir.

Le jeu est symétrique. Conclusion : dans tous les cas, on a intérêt à ouvrir une formation supplémentaire. Comme on
fonctionne à budget constant, le nombre de formations va exploser, et le budget par formation, lui, va diminuer. “Individuellement”, aucune université n’a intérêt à jouer un autre jeu.
Collectivement, c’est une catastrophe.


Prédiction : on court à la catastrophe…

 

PS : alternatives : i) l’Etat joue son rôle de régulateur : peu crédible, ii) les Universités sortent du jeu non
coopératif et se concertent : peu crédible également. On court à la catastrophe, je vous dis…

14 commentaires sur “Faut-il ouvrir un Master supplémentaire?

  1. Heu… C’est sûr ça, que les étudiants sont équirépartis ? Car si la qualité d’un diplôme n’est pas observable, on retombe sur la théorie du signal et patati et patata (plus connu sous le nom
    “Paris I a bonne réputation et pas Poitiers, donc qu’importe la qualité de la formation, de toute façon observable ni pour moi ni pour mon futur employeur, autant aller à Paris I, ça a la
    classe”) ?

  2. d’où l’intérêt de changer de mode de régulation : si la dotation n’est plus au nombre d’étudiants, mais prend en compte l’encadrement de ces étudiants, via le taux de réussite aux examens,
    l’insertion… l’incitation à l’ouverture est diminuée (voire, on peut l’espérer, inversée, si le poids du critère “encadrement” est suffisant), dans la mesure où ouvrir plus de formations
    implique moins bien encadrer les étudiants (à potentiel constant)

  3. C’est la règle générale du jeu de la concurrence, non ? Dont la conséquence recherchée est d’exclure du marché les offreurs ne trouvant pas preneurs jusqu’à construction d’oligopoles profitables
    et rebelote.

  4. @ Libéroïdal : sauf que : i) les formations, pour l’essentiel, continuent d’exister quoi qu’il arrive, le nombre d’étudiants par formation diminue donc,
    ii) devant la difficulté de signaler la qualité des formations, les bonnes formations peuvent très bien être éliminées par cette “concurrence”…

  5. OBO: Il me semble qu’on est à peu près d’accord sur l’analyse : la clé, c’est l’information. Une stratégie possible parmi les classiques : différenciation de l’offre par labellisation (une agence
    de notation ?? : non, je rigole)

  6. Billet très simple et très intéressant, qui met en évidence une idée que j’ai depuis longtemps sur les implications de la masterisation et de l’autonomie des universités, mais de manière limpide!
    bravo, j’aurai aimé le faire…

  7. A ce raisonnement très juste il faut ajouter :

    1) que c’est la “catastrophe” qui est recherchée puisque le but reste quand même de réduire le nombre total d’universités à moyen terme ;

    2) que toutes les formations n’ont pas la même valeur dans le nouveau système d’allocations des moyens (dit Sympa/Sympa II) dans lequel les Masters valent plus que les licences mais aussi les
    formations des sciences “dures” valent plus que les formations dites de sicences humaines (qui sont à 1 pour, aux dernières nouvelles 2,4 les formations STS)… Il vaudra donc mieux ouvrir des
    Masters en physique qu’en économie…

  8. En gros, le système d’allocation des moyens précédent dit de San Remo est mort l’année dernière. Le ministère a mis en place un nouveau système dont la version beta a tourné. Pour le moment il
    est modélisé, San Remo ne fonctionne plus mais on s’est arrangé pour  retourner  en gros les mêmes dotations aux universités. Le petit nom de ce système est Sympa. Sympa ayant causé
    beaucoup de soucis et de frayeurs (aux IUT et universités), il a été gelé et  les services de la DGESIP sont actuellement en train de plancher sur un deuxième modèle, dit Sympa II, dont la
    naissance était attendue pour ce printemps. Pour dire vite, dans Sympa I  il y a une enveloppe activité et une enveloppe performance par établissement et type d’activité
    (formation/recherche). Pour les fiancnements formations environ 50% vont aux Masters, 50% au niveau L. Il y a un système de pondération par étudiant (inscrit et  bientôt présent à l’examen)
    qui, de mémoire, place l’étudiant de lettres, sciences humaines, sciences éco droit à 1. L’étudiant des filaires technologiques tertiaires à 1,5. l’étudiant de sciences, santé à 2,4, l’étudiant
    des filaires technologiquessecondaires  à 2,8. Valérie Pécresse a commissionné de nouveaux travaux sur le système de pondération dont on ne sait pour le moment rien, si ce n’est qu’il y aura
    forcément une échelle…

    Donc oui, il vaudra beaucoup plus d’ouvrir un Master en Physique quelque chose, que de nouvelles filières L en communication, grec ou LEA anglais-chinois…

  9. certes, la démonstration est inquiètante mais elle repose sur des hypothèses très lourdes quant à la répartition du nombre “constant?” d’étudiants et quant au calcul de la dotation par université
    qui ne se résume pas au seul nombre de formations. Sinon effectivement, l’absence de régulation est lourde de menaces , ici comme ailleurs ! Peut être la CPU pourrait-elle réfléchir à cela ainsi
    que les PRES, chacun pour eux-mêmes.

  10. @Leila : merci pour ces compléments!

    @ Jacques : sur le nombre d’étudiants, les projections ministère horizon 2015 (de mémoire) sont beaucoup plus inquiétantes!!! Grosse baisse dans les
    universités, et croissance dans les écoles. effet démographique, d’une part, effet organisation française du système, d’autre part (les écoles sont tellement mieux, et les enfants de nos
    gouvernants passent tous par les écoles, ne l’oublions pas, donc ça ne risque pas de changer…). Sur l’idée qu’ils se répartissent aléatoirement entre universités, on pourrait moduler, car il y
    a des effets réputations. Mais la logique que je décris reste crédible, modulo ces effets (en gros, Paris attirera toujours plus que Poitiers, mais au-delà, quid de l’intérêt pour Poitiers et
    Paris d’ouvrir une formation supplémentaire? je pense que mon raisonnement tient). Sur le fait que l’AERES et le ministère prennent en compte autre chose que le nombre d’étudiants : je voudrais
    bien… Mais je vois comment ça fonctionne quand on doit évaluer des dizaines de dossiers en un minimum de temps, temps dont on ne dispose pas… On s’en remet à des indicateurs approximatifs, on
    essaie de corriger à la marge, mais grosso modo, il y a rouleau compresseur de l’indicateur de base (idem côté recherche, avec le nombre de publis référencées AERES, dont les experts AERES
    connaissent les défauts, mais que voulez-vous, on n’a pas le temps…).
     

  11. Très bon post, original… mais qui omet un détail pratique : Les ouvertures de nouvelles formations sont souvent initiées par une personne (enseignant souvent), qui ne raisonne pas sur la base
    du gain attendu en termes d’allocation, mais du potentiel existant en termes de débouchés, de placement d’apprentis et de la proximité entre ce diplôme, ses centres d’intérêts et ses réseaux.

    Créer un diplôme, c’est aussi étoffer son CV !

    Cela dit, la conclusion reste la même : on court à la catastrophe (mais un peu moins vite que vous ne l’affirmez !)

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