Cagnotte anti-absentéisme

Petit billet pour 7 à Poitiers (page 9 – photo
pourrie, faudrait vraiment qu’ils en changent!)  sur l’expérimentation en cours dans l’Académie de Créteil. Format très réduit (1500 caractères, juste de quoi avancer deux ou trois
idées…). Je le reposte ici :

L’académie de Créteil a décidé de récompenser les classes présentant le plus faible taux d’absentéisme, en versant
une somme d’argent, pouvant aller de 2 000€ à 10 000€, à utiliser dans le cadre d’un projet pédagogique.  Les médias se sont déchaînés, en posant souvent le problème sous une
forme morale : est-ce bien ou mal ? On peut aussi s’interroger, en dehors de toute considération morale, sur son (in)efficacité attendue.

Première idée, si un individu adopte un comportement donné, c’est soit parce qu’il le juge bon, soit parce qu’il
est incité (ici financièrement) à l’adopter. On a longtemps cru que ces deux motivations s’ajoutaient, mais ce n’est pas toujours le cas : en rémunérant le don du sang, par exemple, on
peut observer une baisse du nombre de donneurs.  Rémunérer l’assiduité pourrait donc en décourager certains.

Deuxième idée, pour verser une récompense, il faut se doter d’indicateurs de performance. Or, on attend des élèves
différentes choses : assiduité, effort, créativité, etc. Certaines (l’assiduité) sont faciles à évaluer, d’autres (l’effort fourni) beaucoup plus difficiles. Les acteurs concernés,
comprenant vite cela, vont se contenter d’atteindre les objectifs pour les tâches mesurables et délaisser les autres.

Dernière idée, pour que l’opération réussisse, il faut que la plupart des élèves de la classe jouent le jeu. On est
alors confronté à un problème de passager clandestin : si tous jouent le jeu sauf moi, l’objectif est atteint. Mais si tous se disent cela, personne ne joue le jeu.

Cela condamne-t-il l’opération ? Pas nécessairement dira le chercheur
: il s’agit d’une expérimentation, testée dans quelques classes, qui pourrait justement permettre d’y voir plus clair entre ces différents effets et d’autres plus
positifs.


Sur le sujet, voir les Econoclastes (ici et ), Kramarz et Laurent
Denant-Boèmont
.

Je développe un peu :
* sur le premier point ci-dessus, il s’agit de reprendre la distinction entre motivation intrinsèque et motivation extrinsèque. Comme précisé par Laurent Denan-Boèmont, il existe déjà de
nombreuses motivations extrinsèques dans le système éducatif, il s’agit d’en proposer dans l’expérimentation d’autres d’une autre nature. Je me dis cependant que les motivations intrinsèques ne
tombent pas du ciel, elles se développent dans différents lieux, notamment à l’école. Je m’interroge donc sur l’effet de ce type d’incitations financières sur la construction des motivations
intrinsèques.
* sur le deuxième point, je n’ai pas assez d’information sur l’expérimentation proposée pour savoir comment cela a été pensé. Le billet de Kramarz semble indiquer que les expérimentateurs ont
essayé de proposer un système assez sophistiqué, mais bon, il faudrait voir les détails.
* sur ma conclusion, je ne sais pas si je suis d’accord avec moi même… L’argument de Kramarz selon lequel “comme on ne sait pas si ce système est efficace ou non, il faut l’expérimenter” me
semble assez contestable… A ce compte là, on peut défendre n’importe quelle expérimentation. Il précise cependant qu’un comité d’éthique est attaché au dispositif proposé par Hirsch, ce qui est
plutôt rassurant, mais on aimerait savoir ce que ce comité a dit de cette expérimentation.
* sur les expériences contrôlées : d’accord avec pas mal de commentateurs, l’évaluation en France est à peu près au niveau 0, défendre toutes ces initiatives me semble plutôt bien. J’émettrais
juste quelques réserves sur les expériences contrôlées : on sent une vraie fascination des économistes et de certains politiques (à commencer par Hirsch) pour ces nouvelles méthodes. Elles sont
effectivement très solides et rapprochent le travail des économistes de celui des chercheurs testant des molécules (les économistes se rapprochent encore plus des “vrais scientifiques”, quoi!).
Elles ne sont cependant pas exemptes de limites, certaines recensées par Wasmer ici. Il y en a une autre qui m’inquiète, je n’ai vu personne en
parler : beaucoup considèrent qu’il existe une hiérarchie des méthodes d’évaluation, celle par expérience contrôlée étant en haut de la pyramide. On peut craindre alors que dans l’ensemble des
expérimentations, celles que l’on peut évaluer par cette méthode soient retenues, au détriment d’autres, qu’on ne peut évaluer ainsi. Ce ne serait alors plus l’intérêt intrinsèque de
l’expérimentation qui compterait, mais la méthode d’évaluation attachée, ce qui ne me semble pas très sain. Ce problème de focalisation sur les méthodes plus que sur le fond ne touche d’ailleurs
pas seulement la question des expérimentations, c’est un problème plus général qu’on retrouve en sciences sociales, notamment en économie, j’y reviens dans un prochain billet…

8 commentaires sur “Cagnotte anti-absentéisme

  1. Bonjour, professeur,
    très intéressant, votre article

    si vous voulez rire, vous détendre, je ne saurais trop vous recommander un bouquin qui vient de sortir (à télécharger ou à acheter) vous y trouverez plusieurs pages de politique traitée
    “légèrement” Il s’agit de “Balourdises et dérisions”: http://www.edifree.fr/doc/2620

    quant à moi, je reviendrai visiter votre blog 

    amitiés
    charles dubruel
     

  2. je me demande si le simple fait de donner des moyens pour un projet pédagogique sans faire référence à l’absentéisme (ou à tout autre critère) n’aurait pas été plus pertinent; avec des impacts
    “naturels” sur l’absentéisme, la motivation …

  3. Cher Olivier,
    Merci d’avoir cité mon billet sur ce sujet. Sur tes réticences finales concernant le fait de placer l’expérimentation contrôlée sur le terrain par rapport à d’autres méthodes d’évaluation, si je
    comprends ton inquiétude, je peux alors juste préciser que, connaissant un peu les deux (évaluation et expérimentation), l’expérimentation permet juste ex ante de générer des effets que l’on a
    tendance à constater ex post et qui invalident l’évaluation en général faite au préalable. En clair, cela permet d’être je pense un peu plus pertinent dans l’anticipation des effets. Par contre, je
    ne pense qu’une expérimentation est une méthode d’évaluation en soi, c’est juste une procédure qui permet d’observer à un niveau réduit les effets qui peuvent se produire à grande échelle et que
    l’évaluateur n’a pas forcément anticipé. Mais l’ensemble des points que tu soulèves mérite attention, notamment l’aspect incitation monétaire…
    cdt

  4. @ldb : pas de souci sur expérimentation/évaluation, j’en vois bien l’intérêt (je pilote l’évaluation d’une expérimentation pour le HCSA). Ce que je voulais
    dire, c’est que la méthode par expérience contrôlée “à la Duflo” est considérée comme la méthode optimale, avec plein de bonnes raisons, je me demande si au moment de sélectionner les
    expérimentations, la méthode d’évaluation attachée ne devient pas prépondérante dans le choix, ce qui serait dommage. Je ne sais pas si je suis très clair, si ce n’est pas le cas, j’essaierais
    d’expliquer autrement!

  5. Bonjour,
    Je découvre ce blog un peu par hasard via la newsletter d’overblog.
    En ce qui concerne l’efficacité ou non de la mesure, il n’est effectivement pas évident que le fait d’offrir une somme d’argent soit la bonne méthode. Il semblerait que, dans les entreprises comme
    dans les techniques de manipulation, la motivation la plus importante soit obtenue avec une récompense de faible valeur mais symbolique.
    Dans cette optique, le bon vieux “tableau d’honneur” serait peut-être à reprendre…
    D’autre part, comme l’enveloppe est certainement fixe, la “récompense” d’une classe entraîne forcément la “punition” d’une autre. On est donc devant une forme de punition collective.
    Et que se passera-t-il si tous les élèves deviennent très assidus ? Est-ce que l’on explosera le budget comme dans la prime écolo pour les voitures ? Ou alors, avec un budget fixe, il faudra donner
    quasiment la même chose à chaque classe ce qui nous ramène à la situation précédente.
    Enfin, si comme toutes les classes ont un comportement proche et que l’on veut quand même discriminer, la moindre absence, fusse pour cause de maladie, aura des conséquences importantes en termes
    de classement “assiduité” de l’ensemble de la classe…
    Bref, en tant que maman, je ne suis pas convaincue !
    Bonne soirée.

  6. J’ai peut être mal compris l’idée qu’il ya derrière cette prime d’assiduité, mais il me semble que la récompense n’est pas individuelle mais concerne la classe donc l’assiduité globale des élèves
    de la classe. Il y aurait donc l’intention d’utiliser la pression du groupe formés par les élève assidus de la classe pour inciter les élèves peu assidus à devenir assidus. Si la récompense es
    limitée et ne permet de financer qu’un seul projet, il ya donc aussi compétition entre les classes pour obtenir ce budget.  Mainteant l’assiduité n’est pas tot, encore faut-il être réellement
    actif et pas simplement en foutant le bordel

  7. Cher Olivier,

    Orphelins de la camisole de force théorique qui enveloppait la discipline mais qui a beaucoup perdu de sa crédibilité, de jeunes économistes tentent de se récupérer par l’expérimentation façon
    essais cliniques. Leur credo : « voir ce qui marche ». Ne pas partir d’a priori qui biaisent l’analyse mais induire de nouvelles idées en les mettant à l’épreuve des faits de façon
    contrôlée. Faire de l’analyse empirique la source de la connaissance est une idée plutôt sympathique et tranche avec l’aveuglement théoriciste, quoiqu’elle en soit par certains côtés le
    symétrique opposé. Mais attention à ne pas jouer aux apprentis sorciers, aux petits expérimentateurs fous du corps social. L’expérimentation  en question est d’une naïveté confondante, dès
    lors qu’on ne l’assimile pas à une stratégie politique explicite (mais comment ne pas l’exclure du côté de ses sponsors ?). Encore plus inquiétante et pitoyable fut la ligne de défense
    par rapport aux accusations : « y a peut-être des problèmes mais c’est juste pour voir ». « Voir ce qui marche » mais beaucoup de choses peuvent marcher dans le monde. Le
    problème est de savoir ce que signifient « les choses qui marchent ». Que signifie l’introduction d’incitations monétaires jusque dans les classes ? Quelle est la conception du
    système éducatif qui la sous-tend ? Quel est le regard ainsi introduit sur ce que sont les individus ? N’assiste t-on pas aujourd’hui à une politique active de corruption des esprits,
    de la recherche à la maternelle ? Cela mérite un débat dont ne peut innocemment s’exclure le petit expérimentateur sans principe. Science sans conscience…

    amicalement

    Alain Rallet

  8. @ Alain Rallet : content de te croiser ici! d’accord avec toi, c’est un des dangers importants de ce type d’exercice, qui se rapproche sur ce point des
    exercices de benchmarking préconisés par certains économistes/consultants/politiques : ne faisons pas de théorie, contentons nous de faire parler les chiffres. c’est pourquoi l’argument de Kramarz
    “je ne sais pas si ca marche alors expérimentons” me semble particulièrement contestable, et c’est aussi pourquoi j’aimerai bien voir ce qu’à dit le comité d’éthique sur cette expérimentation. Et
    j’aimerai bien aussi lire le point de vue des expérimentateurs/évaluateurs sur cette question… S’ils passent par là, qu’ils n’hésitent pas à alimenter le débat!

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