Prix Nobel 2009

Pas mal de blogs en ont déjà parlé, Elinor Ostrom et Oliver Williamson ont reçu le prix Nobel 2009 d’économie : Les Econoclastes, Rationalité Limitée, Mafeco. Voir aussi l’interview accordée par Williamson en 1994 à la revue Alternatives Economiques.

Personnellement, travaillant principalement sur les problèmes de coordination (marchande et non marchande) entre acteurs, en intégrant la dimension spatiale de ces problèmes, récompensé après Krugman, ca me va plutôt bien! (même si l’objectif de mes recherches est souvent de montrer les limites de leurs analyses, mais c’est bien ça, me semble-t-il, le boulot d’un chercheur : s’appoprier les analyses les plus intéressantes, en montrer les limites, proposer des compléments, tenter (modestement) de les dépasser).

Juste envie de compléter sur un petit point après le billet de Stéphane (qui recommande gentiment de lire mon Eco de l’entreprise pour une introduction à Williamson, je ne peux que souscrire!), qui s’inquiète que l’on fasse de Williamson (et de Ostrom) “les nouveaux hérauts d’un discours anti-marché”.

Ni Williamson, ni Coase avant lui, ne cherchent à défendre le marché ou à le condamner. L’intérêt de leurs analyses est, au contraire, de sortir de ce type de débat, qui a longtemps structuré l’économie politique.
Dans son article de 1937 sur la nature de la firme, Coase montre que le recours au marché est coûteux, il fait supporter aux acteurs ce qu’on appellera après lui des coûts de transaction (coût de collecte de l’information, de passation des contrats, de surveillance). Si les coûts de transaction sont élevés, les acteurs ont intérêt à s’en remettre à un autre mode de coordination (une autre structure de gouvernance dirait aujourd’hui Williamson), par exemple la firme, mode de coordination centralisé régulé par l’autorité. Mais la firme aussi fait supporter aux acteurs des coûts, que l’on peut qualifier de coûts d’organisation interne. Dès lors, nous dit Coase, le choix marché/firme dépendra de la comparaison entre les coûts de transaction associés au marché et les coûts d’organisation interne associés à la firme.

Williamson reprendra l’analyse de Coase, une quarantaine d’années plus tard, en précisant notamment les caractéristiques des transactions orientant les choix des acteurs entre marché et firme. Plus récemment, il dépassera la simple opposition marché/firme pour introduire dans son analyse l’existence de structures hybrides (sous-traitance, alliances technologiques, etc…).

Une caractéristique clé des transactions mise en évidence par Williamson est le degré de spécificité des actifs impliqués dans la transaction. Un actif spécifique est un actif (humain, physique, incorporel, …) mobilisable dans le cadre d’une activité et difficilement redéployable pour une autre activité. Exemple : supposons que la fabrication d’un composant, dans une activité donnée, réclame l’utilisation d’une telle machine spécifique. Si je fais appel au marché (ie à une entreprise disposant d’une telle machine), je m’expose à un comportement opportuniste de mon partenaire, qui est, à la limite, le seul à en disposer. Anticipant ce problème d’opportunisme ex-post, je préfère internaliser la fabrication dudit composant (je passe par la firme). Si à l’inverse l’actif est peu spécifique (dès lors, par définition, de nombreuses entreprises en disposent sur le marché), je pourrais, en cas de comportement opportuniste de mon partenaire, me tourner vers un autre. Je peux donc  sans risque passer par le marché.

Généralisons : ce que nous dit Williamson, ce n’est pas que le marché est supérieur à la firme. Ni que la firme est supérieure au marché. Mais que l’analyse du choix marché/firme doit être contextualisée, qu’il convient de regarder précisément les caractéristiques des transactions, de comparer les coûts associés à chaque structure de gouvernance, et d’opter pour la structure de gouvernance pemettant de minimiser l’ensemble des coûts. Ces réflexions sur le cas du choix marché/firme sont généralisables à tout un ensemble de problème, notamment à la question de l’intervention de l’Etat, par exemple en présence d’externalités négatives. Coase ne fait rien d’autre dans son article de 1960, quand il montre les limites de la stratégie pigouvienne d’internalisation des externalités (taxation des pollueurs, autrement dit recours à l’Etat). Contrairement à ce que certains ont pu dire, Coase ne défend pas le marché contre l’Etat dans cet article, il explique qu’en l’absence de coûts de transaction, la solution marchande est également mobilisable. Mais Coase sait bien qu’il existe des coûts de transaction (voir son article de 1937) : son intention, encore une fois, est de montrer que pour traiter d’un problème environnemental, il faut recenser les différentes structures de gouvernance mobilisables (Etat, Marché, structures hybrides, …), comparer leurs coûts respectifs, et opter pour la structure minimisant les coûts de gouvernance (ou ne rien faire si les coûts de gouvernance sont supérieurs aux coûts de la nuisance).

Bien sûr, en opérant de la sorte, on perd en généralité. Mais on gagne en pertinence..

4 commentaires sur “Prix Nobel 2009

  1. “l’analyse du choix marché/firme doit être contextualisée”. Raaah ! pourquoi n’ai-je pas trouvé (pour Coase, donc mutatis
    mutandis) cette phrase aussi éclairante que synthétique il y a un an ?

  2. Dans le numéro du Monde d’hier je crois, j’ai pu lire des inepties incroyables. Le journaliste se sent obligé d’essayer de classer les auteurs comme “pour” ou “contre” le marché, ce qui correspond
    à lui aux positions “orthodoxes” ou “pas orthodoxes”.

    Quelle misère… Quand est-ce qu’on sortira de ce raisonnement binaire sur le marché qui a deux siècles de retard ? 

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