L’innovation en Poitou-Charentes

J’ai été sollicité pour participer à une table ronde « l’innovation, un remède à la crise ? » dans le cadre de la visite de Danuta Hübner, Commissaire Européen en charge de la politique régionale. Je suis intervenu une dizaine de minutes pour faire un petit diagnostic en Poitou-Charentes, identifier les forces et faiblesses de la région, les menaces et opportunités. Voici quelques uns des éléments présentés.

Idée 1 : Poitou-Charentes, une petite région d’innovation

Pour situer la Région Poitou-Charentes, on peut d’abord s’interroger sur son poids en matière d’innovation. Pour cela, j’ai simplement divisé le poids de la région pour différents indicateurs par le poids de la région en termes d’habitants (2,8% de la France métropolitaine). Un indice de 100 pour l’indicateur x signifie que le poids de la région pour cet indicateur est le même que le poids de la région en termes d’habitants. Un indice inférieur à 100 signifie que la région pèse moins pour cet indicateur qu’en termes d’habitants, etc.

Les indicateurs recensés sont d’abord quelques indicateurs généraux de cadrage (population, PIB, emploi), puis des indicateurs d’innovation, divisés en deux catégories :

* les inputs de l’activité d’innovation ou plus précisément, en fait, de l’activité de recherche, pour laquelle on dispose de données fiables : dépenses de R&D civile, décomposée en R&D publique et R&D privée ; nombre de chercheurs équivalent temps plein, également décomposé en chercheurs publics et privés

* les outputs de l’activité de recherche : demandes de brevets déposés auprès de l’office européen ; publications scientifiques ; nombre de contrats Cifre (contrat permettant de financer une thèse, qui lie une entreprise (qui accueille le doctorant) et un laboratoire).

Résultats :

Population 100
population active 96
PIB 82
DIRD 29
DIRD des Administrations 39
DIRD des entreprises 25
Chercheurs 32
chercheurs  secteur public 46
chercheurs secteur privé 21
publications scientifiques 50
brevets européens 43
Contrats Cifre 36

Par construction, l’indice pour la population est de 100 [(2,8%/2,8%)*100]. Il est proche pour la population active, inférieur pour le PIB (Poitou-Charentes pèse 2,3% du PIB français contre 2,8% des habitants) et, surtout, nettement inférieur pour tous les indicateurs d’innovation, leur valeur oscillant entre 25 pour les dépenses de R&D des entreprises à 50 pour les publications scientifiques. Poitou-Charentes est donc une petite région en matière d’innovation.

On notera cependant que les indicateurs sont plus élevés côté recherche publique que côté recherche privée. Ce qui s’explique largement par les caractéristiques du tissu productif de la région : surreprésentation de PME, de sous-traitants et de secteurs de faible technologie, sous-représentation de secteurs de haute technologie. Poitou-Charentes est donc une petite région pour la recherche publique, et une toute petite région pour la recherche privée.

Idée 2 : petite, mais costaude

So what, me direz-vous ? Les petits calculs ci-dessus ne sont au final que des indicateurs de taille. Les exercices de benchmarking en matière d’innovation se limitent souvent à cela, mais sauf à supposer que big is beautiful (j’y reviens plus loin), on peut préférer construire des indicateurs de performance.

On peut par exemple rapporter le poids de la région côté output de la recherche au poids de la région côté input, pour disposer d’indicateurs de productivité apparente de la recherche. Un indicateur supérieur à 100 indique une productivité apparente supérieure à la moyenne.

Résultats :

publications/chercheurs 156
publications/dird 175
brevets/chercheurs 133
brevets/dird 150
cifre/chercheurs 111
cifre/dird 125

Résultats plutôt flatteurs, puisque tous les indicateurs sont supérieurs à 100. Ne pas croire cependant, sur la base de ces seuls résultats, que le climat picto-charentais rend les chercheurs excellents (quoique …). Les résultats peuvent s’expliquer notamment par des effets de spécialisation (présence de domaines scientifiques qui ont une propension à publier, breveter, contracter plus forte).

Idée 3 : mazette ! Il existe des relations entre universités et entreprises ?!

Petit complément sur les relations science-industrie, dont on nous dit le plus souvent qu’elles sont insuffisantes, qu’il faudrait les développer, en favorisant notamment les relations locales. Difficile avec les chiffres dont on dispose de dire si elles sont suffisantes ou insuffisantes, on peut dire en tous cas qu’elles existent.

Pour preuve d’abord le nombre de contrats entre laboratoires de l’Université de Poitiers et entreprises (nous avons travaillé sur ce point avec la cellule de valorisation de la recherche de l’Université de Poitiers, je remercie en passant Pierre de Ramefort pour son aide !). Sur 2004-2007, 941 contrats ont été signés, dont 559 avec des entreprises privées, soit 59% de l’ensemble des contrats (autour de 140 par an). Sur ces contrats entreprises, 51% sont avec des entreprises de l’Ile de France, 15% sont intra-régionaux, 8% avec des entreprises des Pays de la Loire, 7% avec des entreprises de Midi-Pyrénées.

Autre source, les contrats Cifre (c’est cette fois l’ANRT et Nadine Massard que je remercie pour ces données, sur lesquelles nous commençons à travailler). Sur 1981-2006, l’ANRT en recense 14294. Poitou-Charentes est impliquée dans 293 d’entre eux, soit 1% de l’ensemble (la région peut être impliquée côté laboratoire ou côté entreprise, il faut donc diviser 293 par 14294*2). Côté laboratoires, la Région pèse 1,5% de l’ensemble (soit un indice tel que calculé dans le premier point de 54) ; côté entreprises, elle pèse 0,9% (indice de 32). Les relations tissées par les laboratoires picto-charentais le sont majoritairement avec des entreprises d’Ile de France (49%), des entreprises de la région (25%), puis de Rhône-Alpes (6%).

Idée 4 : une menace principale, les effets de mode

Quelques problèmes importants, liés à la diffusion d’idées à la mode.

i) on est trop à la recherche d’un prétendu modèle optimal (la Silicon Valley, bien sûr ! base incontournable du modèle des clusters), on ne réfléchit pas suffisamment aux spécificités des territoires avant de lancer des politiques de soutien à l’innovation. Or, Poitou-Charentes est une région très spécifique, qui appelle donc des politiques également spécifiques.

ii) nombre de politiques considèrent que l’agglomération est nécessaire à l’innovation, et préconisent donc l’émergence de pôles de taille importante, ainsi que la concentration spatiale de la recherche. Les études disponibles devraient pourtant relativiser ce discours. Il y a sans doute une taille minimale à respecter, mais des territoires de taille moyenne peuvent tout à fait être performants en matière d’innovation, on l’a vu avec la productivité apparente de la recherche en Poitou-Charentes.

iii) on préconise également le rapprochement des entreprises et des laboratoires de chaque région. Or si pour certaines régions c’est pertinent, ça ne l’est pas pour Poitou-Charentes : les compétences des deux parties prenantes sont faiblement complémentaires. Une stratégie réseau serait plus efficace. Or, pour prendre l’exemple des pôles de compétitivité, elle est pénalisée par le zonage R&D.

iv) pour les PME, les enjeux les plus forts sont en termes d’innovation organisationnelle, d’une part, et de diversification cohérente, d’autre part. Ce sont donc des formes particulières d’innovation qui doivent être intégrées dans la réflexion et soutenues par les politiques, notamment en Poitou-Charentes, où le tissu productif est composé de nombreuses PME.

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