Michel Edouard a-t-il poussé à la grève dans la grande distribution?

Curieux
billet
de Philippe Askenazy dans Le Monde, titré “pricing out”. Ou plutôt, curieuse application à la grande distribution. Je m’explique, en reprenant d’abord l’argumentation d’Askenazy.
Qu’est-ce que le pricing out?

“Un acteur menace votre position sur un marché grâce à des coûts plus faibles ou à un concept plus innovant. La solution : lui
faire augmenter ses prix, par exemple en accroissant ses coûts, et ainsi réduire sa capacité de nuisance sur vos propres marges. Votre concurrent est “pricé-out”. L’usage de cet outil est en
plein essor en France, en particulier dans le commerce.”

Appliqué à l’affaire Amazon/distributeurs classiques de livres, ça marche plutôt bien. Là où je tique, c’est quand Askenazy étend l’analyse à
la grande distribution :

“Depuis le lancement en 2005, par la Commission européenne, de la procédure contre la loi Raffarin, d’inventifs dirigeants de
grandes enseignes françaises ont mûri un plan B : le pricing out de ces dangereux concurrents en augmentant le coût du travail. Pour cela, il suffit d’améliorer la convention collective
de branche, qui, une fois étendue par le gouvernement, s’applique aux discounters.”


En clair, les responsables de la grande distribution verraient d’un bon oeil la grogne sociale, car celle ci conduirait à un accroissement du
coût du travail, ce qui dissuaderait la menace de nouveaux entrants.

Intuitivement, ça me semble un peu tiré par les cheveux. En réfléchissant un peu, ça me semble aussi tiré par les cheveux.

Supposons que pour les distributeurs en place le coût du travail par unité de chiffre d’affaires soit wL/CA avec w le salaire unitaire, L le nombre de personnes employées, et CA le chiffre
d’affaires. Dans le hard discount, on écrira w*L*/CA*.

Ce que semble dire Askenazy, c’est que dans le hard discount, le coût du travail pèse moins car les salaires sont plus faibles (“le
point commun entre ces nouveaux distributeurs est une stratégie “low cost”, qui assure la viabilité de leurs modèles économiques. En particulier, les salaires y sont plus faibles que dans les
enseignes classiques”). Autrement dit, si le coût du travail pèse moins, c’est parce que w*<w. En obligeant à un alignement de w* sur w, on comprend que les grands distributeurs réduisent la
menace d’entrée.

Mais supposons maintenant que le coût du travail pèse moins non pas en raison de salaires inférieurs, mais parce que l’intensité en travail dans le hard discount est plus faible. Autrement dit,
non pas parce que w*<w, mais parce que L*/CA*<L/CA. Ca ne me semble pas coomplètement stupide : on rend moins de services (moins de caisse, moins de conseil dans les rayons, moins de
personnes pour mettre en place de “jolis” rayons, etc…), on utilise donc moins de main d’oeuvre. A la limite, on pourrait supposer w=w* et w*L*/CA*<wL/CA.

Sous cette hypothèse (w et w* peu différents), un accroissement généralisé des salaires ne réduirait pas la menace d’entrée, elle l’augmenterait, car l’impact sur les coûts totaux unitaires dans
la grande distribution serait plus fort que dans le hard discount.  Les entreprises de ce dernier groupe devraient donc s’attendre à un gain de part de marché plus important, suite à
l’augmentation des salaires…

Bon, tout l’enjeu est de savoir quelle est l’hypothèse la plus crédible : coût unitaire du travail plus faible dans le hard discount, ou intensité en main d’oeuvre plus faible? On a peut-être un
peu des deux, mais je parie plutôt sur la deuxième hypothèse. Si quelqu’un a des chiffres en stock, je suis preneur.

11 commentaires sur “Michel Edouard a-t-il poussé à la grève dans la grande distribution?

  1. sans avoir de chiffres précis il suffit de fréquenter quelque peu ces magasins (et d’avoir vu x fois le personnel passer des rayons à la caisse par exemple) pour comprendre que c’est la deuxième hypothése qui semble la plus crédible.

  2. Une petite pécision au passage 😉 tout le monde n’est pas à la même “enseigne”, si j’ose dire. En effet Michel Edouard Leclerc n’est pas propriétaire de ses murs, il n’est que franchiseur et grossiste  !!! laissant à des entrepreneurs individuels le risque industriel d’une implantation. Il est donc normal pour lui et sans doute plus facile de faire beaucoup de mousse sans avoir de risque quant à son activité, se laissant la liberté de livrer qui bon lui semble de son réseau ou non !!! La sratégie de Carrefour fut d’être proriétaire d’un foncier gigantesque qu’il rentabilise que très difficilement, cette stratégie change avec la création d’une structure “off-shore” gérant le foncier. La seule stratégie innovante fut celle de la famille Mulliez (groupe Auchan) qui sur un même foncier multiplie les enseignes appartenant  ou gérés par le groupe 😉 Auchan, Leroy Merlin, Decathlon, Boulanger, Alinéa 😉 C’est donc le modèle économique de la grande distri qui influence le positionnement prix et pas vraiment la concurrence (quasi inexistante avec la multiplication des cartes accréditives)Toutes mes excuses s’il arrive de mettre des posts en “gras”, c’était une erreur…

  3. @ VilCoyote : exemple très intéressant, mais encore une fois, non nécessairement comparable au cas évoqué dans mon billet.Sur le cas de la poste allemande, voir les détails dans la dépêche Reuters :
    The government last week agreed to set minimum pay rates of
    up to 9.80 euros ($14.45) per hour, depending on an employee’s
    level of responsibility. The law will apply from Jan 1, 2008.


    The sum is far more than competitors to former state
    monopoly Deutsche Post now pay their staff.


    Contrary to other European countries, Germany does not have
    a nationwide minimum wage. Instead, the government can set
    minimum wages for individual industry sectors.

  4. Les deux mon général !Et je crois aussi que les deux sont corrélés.En effet, s’il y a moins de main d’oeuvre au m2, cette main d’oeuvre est aussi moins spécialisée et don certainement moins bien rémunérée…Il faudrait plus de chiffres pour poursuivre la discussion, l’exemple de SM (relatif à poste allemande) me parait tout à fait pertinent sur la manière dont le niveau des salaires (d’une branche) est utilisé comme barrière à l’entrée.

  5. d’après ce que j’ai appris en cours de marketing les  discounteurs gagnent surtout sur la simplification des taches et la polyvalence des employés. Un directeur de magasin peut passer à la caisse ou garnir un rayon si besoin. La main d’oeuvre est aussi plus efficace grâce au mis en rayon simplifiée (gros pack carton présentoir plutot que multiple petite boite à placer soigneusement). Globalement la main d’oeuvre y est bien plus efficace en terme de CA/tête. Tant qu’au salaire les discounteurs sont plus petit (en surface de magasin) ce qui doit simplifier la hérarchie, mais pour la “piétaille” vu les salaires déja très faible dans les softdiscounts je vois pas trop où il pourrai faire leur marge. Tant qu’a l’épouvantail Wall Mart, créer ex nihilo une chaine est impossible, il pourrai uniquement rentrer via un rachat. Il y avait eu une tentative lors de la vente de Cora, mais les enseignes françaises se sont arrangés pour bloquer l’entrée de l’américain.

  6. L’hypothèse de l’ENTENTE SUR LES PRIX en France, qui est avancée par une grande partie de la population, entre les 4 ou 5 grands groupes de distribution, souvent deux dans les villes moyennes et un dans les petites villes, y compris les Leclerc, me semble beaucoup plus explicative que le coût de la main d’oeuvre. L’entente est aussi présente sur les autres marchés: de rue dans les villes (prix des fruits et légumes quasi uniforme en début de marché), artisanaux ou de services par les bulletins professionnels qui indiquent les tarifs conseillés…Quand analysera t’on un marché de consommateurs nombreux avec une offre oligopoliste comme un marché triplement hiérarchisé. L’offre est price maker: a t’on jamais vu un commissaire priseur dans 99% des marchés?; côté offre l’entente des grands groupes est price maker; côté demande les revenus et la consommation sont fortement hiérarchisés des hauts revenus qui achètent la meilleure qualité au SDF qui ramasse les miettes. Pour élargir le cadre théorique traditionnel et mieux comprendre la réalité, voir notamment l’article de R.Boyer sur P.Bourdieu, L’art du judoka, in Encrevé, Lagrave dir., Travailler avec Bourdieu, Champs, Flammarion

  7. Je pense qu’il serait intéressant d’appliquer l’analyse hiérarchique du marché ci-dessus au marché mondial des céréales et à l’aggravation de la disette famine pour les plus pauvres.Demande hiérarchisée: la demande des classes “moyennes” et riches pour les carburants à base de céréales et pour la viande augmente rapidement. Offre hiérarchisée: les lobbys des grands céréaliers du Nord négocient avec les gouvernements conservateurs pro-riches de droite (USA, France…) la raréfaction de la production céréalière et donc l’envol des prix. Offre financiarisée: cette offre est soumise à la spéculation financière selon les conseils de l’ultra-droite économiste à la M.Friedman (marchés à terme de Chicago etc. ) ce qui aggrave la disette et la famine par la hausse des prix. voir P.Krugman , Tempète sur les grainshttp://www.contreinfo.info/article.php3?id_article=1896

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