Connaissances tacites

L’analyse évolutionniste de l’innovation introduit une distinction fondamentale entre connaissances codifiables et connaissances tacites.

 

Les premières, comme leur nom l’indique, peuvent être codifiées, inscrites sur un support, diffusée dans le temps et dans l’espace. Conformément à l’approche
standard de l’innovation, elles peuvent être asssimilées à un bien partiellement public, c’est à dire non rival (les connaissances codifiables ne sont pas détruites dans l’acte de consommation)
et partiellement exclusives (dès lors notamment que les entreprises s’en remettent au système de propriété intellectuelle (dépôt d’un brevet par exemple) pour empêcher que d’autres ne les
exploitent).

 

Les connaissances tacites, de leur côté, sont, précisément, non codifiables. Elles sont accumulées par les acteurs au fur et à mesure de leur activité, ceux-ci ne
peuvent parfaitement les exprimer. L’exemple que je prends généralement pour illustrer le propos est celui d’un enfant à qui on veut apprendre à faire du vélo : vous commencez par lui expliquer
ce qu’est un vélo, ce qu’il convient de faire pour avancer, ne pas tomber, etc., autrement dit vous lui faites passer un ensemble de connaissances codifiables, mais cela ne suffit pas. L’enfant
essaiera, tombera, remontera sur le vélo, etc… et, au bout d’un temps plus ou moins long, il saura faire du vélo. Ce temps d’apprentissage est fondamentalement un temps d’accumulation des
connaissances tacites. Et si vous demandez à l’enfant quelles connaissances supplémentaires lui permmettent maintenant de savoir faire du vélo, il sera dans l’impossibilité de vous l’expliquer,
car, comme dit plus haut, ces connaissances tacites ne peuvent être parfaitement exprimées. Elles sont dans les mains plus que dans la tête.

 

 Question angoissante, dès lors : si les connaissances tacites ne peuvent être exprimées, inscrites sur un support, où
sont-elles mémorisées? Dans les routines des entreprises, répondent les évolutionnistes : les actes répétés quotidiennement permettent à l’organisation de “transporter dans le temps” ces
connaissances.
D’où une deuxième question angoissante : que se passe-t-il quand un individu ayant accumulé des connaissances tacites individuelles part de
l’organisation ? Eh bien si l’entreprise n’a pas pensé la transmission de ces connaissances, elle peut y perdre beaucoup…

 

 C’est précisément pour cela que la DRIRE et la DRTEFP Poitou-Charentes viennent de
lancer un dispositif innovant, suite au constat d’une pénurie de main d’oeuvre et de départs massifs en retraite dans l’industrie. 
Ces départs, en effet,
sont synonymes de disparition de connaissances spécifiques accumulées par les salariés. Pour éviter cette perte, ces deux institutions on mis en oeuvre une action (assurée par Action RH
Opérationnel
), action baptisée Transéo, permettant “de faire prendre conscience aux employés de leurs capacités à transmettre et aux employeurs des risques en cas de non
partage”. Témoignage d’un responsable d’une des entreprises impliquées : “J’ai un salarié qui voulait partir à la retraite. Il était le seul à savoir monter des amortisseurs d’une manière bien
spécifique. L’équipe d’Action RH Opérationnel lui a fait prendre conscience de ses talents et il va rester un peu plus longtemps pour transmettre son savoir-faire” (Source : La Nouvelle
République du Centre Ouest, 30/11/2007).

8 commentaires sur “Connaissances tacites

  1. Bonjour Olivier, Oui, d’ailleurs il me semble que c’est Michael Polanyi (le frère de Karl) qui a l’un des premiers travaillé sur le sujet. Conclusion logique (me semble-t-il) de tout ce que tu viens de si bien rappeler, « le travail n’est pas une marchandise », comme essayait justement de le montrer… Karl Polanyi dans la « Grande transformation ». Le problème, c’est que toute l’histoire du capitalisme est de faire de la « force de travail » une marchandise comme une autre… comme disait justement… Karl (cette fois) Marx, sans « reconnaître » que le travail vivant seul (individuellement et collectivement) est véritablement créateur de valeur, car même devenu « explicite », voire « routinisé » (donc devenu travail mort), c’est bien lui (avec la « terre ») qui est à la source de tout création de richesse. Comme le rappelle d’ailleurs G. Charreaux dans son article de l’Encyclopédie Universalis de présentation des théories de la firme, dans la « théorie évolutionniste » de la firme, je cite : «  La firme paraît ainsi être une entité cohérente ayant une identité historique, et son développement dépendre de la trajectoire suivie. L’efficience n’est plus vue sous l’angle statique, de maximisation de la valeur à un instant donné, mais sur le mode dynamique. Pour être durable, la création de valeur doit être conçue, non plus au niveau de la gouvernance de chaque transaction, mais à celui de la firme, considérée comme un système cohérent d’activités dont l’association produit des effets de synergie, source de valeur. » Ce qui, soit dit en passant, mine considérablement la légitimité du capital « financier » à s’approprier la plus-value collectivement ainsi créée. Ainsi d’ailleurs que celle des « dirigeants » à se prétendre les seuls à pouvoir se goberger de sursalaires et autres stock-options, en raison de leur (soi-disant) efficacité personnelle ! Que le capital-argent soit rémunéré un minimum pour les « services » financiers qu’il rend, on n’a pas encore trouvé comment s’en passer ; que les dirigeants dirigent, on ne sait pas faire autrement, mais que le « capital et ses mandataires » se croient les seuls allocataires légitimes du surplus de richesse créée par le « collectif de travail » que constitue la firme, c’est vraiment le comble du fétichisme des rapports de production capitaliste. Voir, Aglietta et Rebérioux, pour un rappel salutaire, in Les dérives du capitalisme financier. Au fait, le patron de l’entreprise a décidé de donner une surprime au « salarié méritant » ?

  2. Voilà un salarié qui aura perdu une belle occasion de vendre son savoir au plus offrant. J’espère qu’il ne viendra pas après se plaindre de manquer de pouvoir d’achat.

  3. @ Libéroïdal: encore faut-il que les connaissances tacites dudit salarié soient exploitables par une autre entreprise. Quid de l’ouvrier de Pigeot qui entre chez Accor? Mais c’est un peu caricatural, disons quid de l’ouvrier de Pigeot qui entre chez Mitsibishi? Faire des voitures chez l’un, faire des voitures chez l’autre, du pareil au même? La connaissance intime de la chaîne est réutilisable sur une chaîne différente, ou sur une chaîne qui n’est pas conçue dans la même idée, pour la même utilisation du travail?Raison pour laquelle commence à pointer l’argument suivant: on considère souvent, côté libéral, que la gestion de l’entreprise par les actionnaires se justifie parce qu’ils font un investissement illiquide (ils ne peuvent pas récupérer leur argent). Dès lors que la possibilité de revendre leurs actions mitige cette illiquidité, et qu’inversement les travailleurs se sont investis dans la constitution de savoirs tacites qui sont peu réemployables en dehors de l’entreprise concernée, est-ceque ce ne serait pas plutôt aux salariés de gérer la boite?

  4. Merveilleux : pour une fois qu’un ouvrier possédait un moyen d’obtenir quelque chose de son patron, il faut qu’une administration se vante d’être parvenu à empêcher le méchant ouvrier d’user d’une position de force inéspérée.Et dire qu’il s’en trouve encore pour douter que la puissance publique est l’allié objectif du patronat. Patrons français, soyez heureux : vous êtes trop cons pour diriger vote boîte ? Comptez sur le service public pour suppléer efficacement à vos carences et bien vous enseigner comment pressurer vos gentils chtis n’ouvriers sans même avoir à vous salir les mains, et même prendre les décisions qui s’imposent à votre place ?Qui donc disait que la France est un pays hostile aux entrepreneurs ? Grâce au service public, inutile d’avoir des compétences pour diriger une entreprise : de l’argent suffit, le reste vous sera fourni par le service public, payé avec les impôts locaux de vos ouvriers.Jouissif…

  5. ……………..où un bon moyen de repousser l’âge de la retraite des gens indispensables…..Ceci dit, je partage l’analyse et la nécessité du transfert des compétences que les capitalistes traditionnels avaient compris depuis longtemps contrairement aux financiers actuels.

  6. D’une certaine manière, vous avez raison, Enzo : seuls les financiers qui rachètent les entreprises à ceux qui les ont créés commettent de telles erreurs.Remercions la région Poitou d’aider les capitalistes financiers à préserver leurs précieux investissements : Merci, Charentes-Poitou, pays ami de la finance internationale !

  7. Bonjourj’ai trouvé plaisir a lire votre blog conerant les savoirs tacites et leur transmission. J’ai crée une structure pour leur mise ne application dans les entreprises a structure familliale et je vous propsoe de lire mon site.Avec mon amical souvenir

Répondre à Tonio Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *