J’avais évoqué dans un article précédent la question des coûts cachés : une entreprise s’interrogeant sur la meilleure solution entre délocaliser ou rester en France doit comparer non seulement le différentiel de coût du travail, mais aussi les différentiels de productivité, ainsi que les coûts de coordination sur les deux territoires :
* les coûts de la coordination à distance avec le sous-traitant étranger (problèmes éventuels de délai, de qualité, de fiabilité, de coût de transport, d’assurance, etc.). La non prise en compte de ces coûts par les entreprises explique largement les échecs rencontrés par certaines entreprises suite à leur engagement à l’international,
* les économies sur les coûts de la coordination que l’on peut réaliser en réorganisant localement le processus productif via, notamment, l’engagement dans la lean production (cf. l’article déjà cité).
Or, il semble que, sur ce dernier point, des progrès puissent être faits en France : l’Usine Nouvelle n°3032 du 23 au 29 novembre 2006 indique par exemple que dans l’automobile, 70% des problèmes de qualité constatés sur les véhicules sont localisés chez les sous-traitants.
Dans le même article, l’Usine Nouvelle développe un exemple intéressant de réorganisation locale. Il concerne l’entreprise Tokheim, fabricant de pompes à essence de Grentheville (Calvados) et son sous-traitant MPI, fournisseur de pièces en fonte. L’objectif : « réduire de 35% le prix de revient des 110 pièces produites par jour pour mettre le sous-traitant de Vire (Calvados) au niveau des concurrents chinois », ceci grâce au lean manufacturing
La méthode : formation des salariés afin d’accroître leur polyvalence, réaménagement de l’espace de travail, redéfinition du rôle des opérateurs, etc…
Le résultat : en juillet (l’opération a débuté en mars), l’objectif est atteint à 80%, le prix de revient par pièce ayant baissé de 20%.
D’autres cas sont évoqués dans l’article, notamment celui de l’équipementier de l’aéronautique DCN qui, en trois mois, a fait reculé la non-qualité chez ses sous-traitants de 15%, et parvient à gagner 400 000 euros par frégate construite. L’entreprise Delphi, autre exemple, est parvenu à faire « chuter les temps de changement d’outils chez l’un de ses sous-traitants de 5h à 1h20 ».
Solution efficace, donc, mais qui n’est pas sans soulever d’autres questions ou problèmes : on peut d’abord se demander qui récupère les gains de la réorganisation. L’article de l’Usine Nouvelle parle de « partage des gains ». Le responsable de Delphi affirme également « nous partageons les bénéfices ». On peut douter de la généralité de ce partage, compte tenu des rapports de force asymétriques entre donneurs d’ordre et sous-traitants. On remarque ensuite que les sous-traitants n’ont pas le choix (ce qui est à relier au point précédent), l’Usine Nouvelle citant le cas d’une entreprise ayant perdu son marché pour avoir refusé les services du consultant de son donneur d’ordre. On peut s’interroger enfin sur les conséquences en termes de condition de travail sur les salariés des différents sites.
Bref, la réorganisation sur place n’est pas la solution universelle à tous les problèmes, mais c’est sans conteste une piste à développer, d’autant plus quand le responsable de MPI affirme « nous nous sommes remis en question sur d’autres postes (…) et certains clients, déçus par les pays Low Cost, reviennent vers nous avec une philosophie proche de celle de Tokheim ».
Ceci n’est pas sans conséquence en termes d’action publique : nombre de PME pourraient sans doute bénéficier d’une réorganisation, mais la plupart n’ont ni les moyens, ni le temps de réfléchir à cette réorganisation. On peut dès lors se demander si un travail d’interfaçage ne pourrait pas être initié par certains acteurs locaux afin de les accompagner dans cette direction. Il s’agirait en quelque sorte de réfléchir non seulement à la question de la sécurisation des parcours professionnels des salariés, mais aussi à ce que j’appellerai la sécurisation des parcours organisationnels des entreprises, notamment des PME indépendantes.
Juste deux remarques: – Dans un marché concurrentiel, il est tres probable que rapidement les benefices soient passés aux consommateurs; – D’une facon génerale de nombreuses (si ce n’est la totalité)entreprises sont tres mal gérées. La principale raison en est plus une organisation routiniere et confortable du travail qu’autre chose (et l’incompetence ou la paresse du management). Elle ne se remettent en cause que lorsque leur survie est en question. Une fois l’épisode passé, en géneral elles retombent dans le confort et tout est a refaire. Les PME Francaises, notamment, sont malthusiennes avec des process et un equipement souvent obsoletes et de plus rechignent a payer un consultant qui pourraient leur permettre d’ameliorer drastiquement leur résultat — elles ont egalement du mal a accepter le NIH. Mon frere me dit que sa seule presence, immobile, dans un atelier augmente la productivite de 30% et que souvent les entreprises qui rechignent a employer ses services sont rachetées, notamment par des PME allemandes. Vos articles sont excellents. Le cout salarial n’est qu’une composante des couts de production et souvent pas tres importante. De plus le cout du travail ne consiste pas uniquement en cout salarial comme l’anecdote sur H. Ford le demontre. Je crains malheureusement que la mise en avant du cout salarial ne soit qu’un argument politique soit pour proner une politique masochiste de serrage de ceinture, soit pour proner une politique protectionniste (on sera toujours plus cher que les Chinois!).
Sauf votre respect, le recours aux méthodes de réorganisation des postes de travail telles que celle préconisées par les Gemba Kaizen et Poka Yoke n’ont rien de bien neuf.Je doute qu’une réorganisation interne de la part d’une entreprise "encore vivante " en 2006 doive beaucoup au seul recours à ces méthodes japonaises très en vogue (et à fort juste titre) de 1983 à 1988.(Toute malice mise à part, je note quand même ne pas avoir vu la moindre trace d’étude ou d’application de la méthode dans le secteur public, et trouver cela très regrettable, mais bon… je suppose que parler de productivité dans le secteur public est hors-sujet, celui-ci étant difficilement délocalisable)
@ Liberoidal : ces méthodes ne sont en effet pas neuves, elles dérivent de ce qu’on appelle le toyotisme, mais l’ensemble des entreprises potentiellement concernées ne les ont pas mises en oeuvre, loin de là.
Je vous concède bien volontiers que les entreprises en situation de concurrence imparfaites peuvent se permettre une organisation peu productive (le plus frappant exemple étant AMHA : http://moishelettvin.blogspot.com/2006/11/windows-shutdown-crapfest.html ). Je vous concède par ailleurs tout aussi volontiers que délocaliser peut être une solution permettant à une entreprise en concurrence imparfaite de survivre quelque temps bien qu’exposée à la concurrence.Mais peut-on éventuellement envisager que les entreprises pilotées de sorte à être vingt ans en retard sur l’état de l’art de l’organisation industrielle de leur branche ne servent ni leurs salariés, ni "leur pays" ? Ne pourrait-on dès lors envisager de laisser la concurrence écarter du marché ces mauvais employeurs et laisser la place à de meilleurs gérants d’entreprises, lesquels, seront, fatalement, plus concernés par l’intérêt de leurs employés par simple souci de leur propre intérêt ?En un mot, n’est-ce pas réduire à néant toutes chances de création d’emploi pour les jeunes que de plaider au maintien sous perfusion d’entreprises insouciantes quand à leur productivité ?
Puis je faire remarquer que la plupart des entreprises sont en etat de concurrence imparfaite. Il y a en France 2.6 millions d’entreprises dont seulemet 28000 de plus de 50 employés. Je doute qu’il y ait plus que 3 ou 4000 entreprises en etat de réelle concurence en France. La mentalité de l’ensemble, a l’exception de quelques entreprises qui a leur grand regret n’ont pas le choix, est completement corporatiste et prefererait des petits arrangements tripartites Etat/Patrons/Salaries a la concurrence. De toute facon une gestion optimale est beaucoup trop fatigante pour pouvoir etre soutenu tres longtemps sans aiguillon.
@ Liberoidal : disons qu’il doit exister des cas intermédiaires entre l’entreprise située à la frontière technologique et "les entreprises pilotées de sorte à être vingt ans en retard sur l’état de l’art de l’organisation industrielle"…. Le travail d’interfacage dont je parle n’est rien d’autre qu’un moyen de favoriser la diffusion des externalités positives de technologie.
Dans ce cas, je crois utile de préciser que le réseau des CCI pour ne citer que lui parmi les innombrables organisations s’adressant aux même publics (les employeurs et syndicats de salariés) font une promotion active dans tous les registres de langage imaginable de ce que les économistes nomment l’organisation industrielle.Donc, que s’il se trouve encore en France des entreprises viables aux processus de production étanches au toyotisme, c’est qu’il existe un problème externe : il peut être administratifs (barrières règlementaires à franchir), financier (manque d’investisseurs), il peut se situer dans le dialogue social, il peut être environnemental, il peut aussi poser des questions de qualification, il peut aussi être tout à fait politique (attente de la politique-cadre à la subvention), mais permettez-ùoi de vous assurer que les industriels qui découvrent réellement le toyotisme en 2007 ne méritent généralement pas qu’on gpache de l’argent public sur eux.Même sous la forme d’heures de travail de fonctionnaires.
très interessant post qui m’a été indiqué par le blog "soumission sociale" , il m’a laissé ce lien sur ces commentaires suite à un billet sur la délocalisation AUBADEhttp://lesyeuxouverts.over-blog.net/article-4703838-6.html#anchorCommentcomme quoi, pas de fatalisme…..
Puis je suggérer au maître du Blog de faire un post sur la théorie des avantages comparatifs, afin de rassurer les bons Français que les méchants Chinois ne vont pas a la fois leur vendre des chaussettes en nylon, des cafetières bas de gamme ET des Airbus.
Peut être qu’ils nous vendront des Airbus, mais alors nous leur vendrons des chaussettes en nylon ou des strings.
Je suis tout à fait en accord avec Adam sur l’étendue réelle de la concurrence. Ceci dit, tout cela pose de véritables problèmes sur la nature exacte des réseaux d’entreprise et de la sous-traitance intégrée. Dans votre livre Olivier, vous évoquez les sous-traitant qui suivent géographiquement leurs donneurs d’ordres. On voit maintenant qu’il serait souhaitable que les donneurs d’ordres dirigent le process technique du sous-traitant. Est-ce qu’on ne s’approche pas d’une séparation plus ou moins fictive, au niveau industriel ? (le niveau financier n’est pas clair non plus, avec les modalités de financement qui peuvent exister).Sinon une remarque sur les PME-qui-n’évoluent-pas. Faut voir aussi le patron de PME "moyen". C’est pas un crétin, mais on ne peut pas leur demander de savoir tout faire, ni d’être à la fois indépendant pour se lancer et capable de solliciter facilement des avis extérieurs. Quelque part, ça appelle un peu aussi une évolution des mentalités. Je traîne une idée depuis longtemps: la première cause de mortalité des PME n’est pas la mauvaise exploitation, mais la mauvaise gestion financière et l’absence de prêts. Les experts-comptables n’aident pas nécessairement des masses, quand ils interviennent. Donc j’avais pensé à une sorte de service public d’analyse financière, que l’on pourrait confier à des réseaux déjà en place (experts-comptables, banques, chambres de commerces, ect… ). Et une incitation publique à reprêter aux PME. Qu’est ce qui coince? Manque de rentabilité ? (subventionner le prêt) Risque de défaillance centralisé sur l’agence prêteuse ? (ah les charmes des grilles d’évaluation… créer un fond de mutualisation bancaire pour éviter les coups durs, mais pas trop pour que les prêts ne soient pas filés à tort et à travers) Coût de l’analyse du dossier industriel de la PME pour le bénéfice du prêt? (confier un service public d’évaluation, par exemple aux chambres de commerces, auquel les banques puissent se référer)
Je crains malheureusement que ce ne soit le conservatisme des patrons et leur manque de dynamisme ainsi que l’obsolescence de leur compétence techniques qui ne soit en cause. Ils sont reticents a prendre avis, meme lorsque le donneur d’ordre le recommande (a moins qu’il ne paye). Ils se laissent trop souvent enfermer dans une relation malsaine avec un donneur d’ordre quasi unique qui les tient financierement (y compris en les payant quand il y pense) sans chercher a compenser par une expertise technique unique ou une diversification de leur risque client.
Ce qui est frappant c’est que nombreux sont ceux qui considerent que le conseil doit etre gratuit et qui ne cherchent meme pas a beneficier des aides disponibles. Je pense qu’il y a la un probleme sociologique, culturel.
Oui, c’est pour ça que je parle d’évolution des mentalités. Mais ça ne se fait pas tout seul, sinon valeurs actuelles y serait arrivé depuis un certain temps. D’où l’idée de structures qui poussent au cul…
Voilà une note ciblée excellente ; merci pour ces mises au point toujours passionnantes !Passionnante d\\\’abord car elle dessine ce que devrait être le vrai patriotisme économique tant décrié en France (alors que les partenaires économiques de la Francele mettent en pratique). Passionnante ensuite car elle montre en creux que c\\\’est par le détour de la délocalisation qu\\\’on prend mieux conscience des gains réalisables localement.Effectivement Liberoidal a raison de souligner que ce n\\\’est pas nouveau et de pointer les limites sociologiques à la conduite du changement.La question posée par les blogueurs est si je la résume : quelle incitation peut-il y avoir à faire basculer les entreprises vers cette recherche des gains de productivité dans leur management organisationnel interne et externe ?Les propositions de Tonio me semblent intéressantes (notamment les analyses financières – pour les prêts le système développé il y a pas mal d\\\’année et réformé avec le rapprochement BDPME et ANVAR et la création d\\\’Oséo paraît assez bien câlé même s\\\’il pourrait certainement être amélioré dans sa coordination avec les partenaires locaux – collectivités et réseau consulaire ; il vient d\\\’ailleurs d\\\’être complété par le Gouvernement en lançant certes tardivement l\\\’agence France Investissement, exemple me semble-t-il de partenariat public privé prometteur) même si elles existent d\\\’ores et déjà du côté Etat et sécurité sociale pour des tissus économiques à enjeu en terme d\\\’emploi et, c\\\’est plus dommage, pour des situations économiques déjà déteriorées (comité de détection des entreprises en difficulté réuni autour du préfet qui peut procéder aux analyses financières ad hoc même si elles sont rares).L\\\’eujeu qui me semble essentiel et qui rejoins les propos de Tonio et Liberoidal est de renforcer la connaissances des cycles d\\\’entreprises au niveau local ;ceci recouvre plusieurs éléments : – communication à destination des entreprises (surtout les PME qui en sont naturellement exclues) pour mieux faire prendre la mesure des gains en terme de charges, car l\\\’idée paraît assez répandue que les gains à escompter ne sont pas aussi importants qu\\\’une délocalisation dans les pays à bas coût. C\\\’est en ce sens que les réseaux locaux (Etat, CCI et régions, chargées du développement éconmique territorial, tissu bancaire ) ont certainement à jouer un plus grand rôle aussi bien du côté des entrepreuneurs que du côté de la représentation salariale. Les séminaires et autres salons de l\\\’innovation devraient être placés sous l\\\’égide de cette communication ; – appréhension continue des évolutions entreprises (au delà des situations difficiles) en améliorant la coordination des divers services locaux dont chacun dispose de connaissances du tissu économique, connaissances trop souvent éparses et non mutualisé.Les plus à même de prendre en charge ces fonctions sont les chambres consulaires qui peuvent agir de manière plus souple entre public (Etat et collectivité) et privé (entreprises et banques).
En bon libéral, il me semble logique de considérer que les grandes imperfections de concurrence sont la cause principale du fait que nombre d’entreprises françaises sont mal dirigées.Reste à savoir si l’on souhaite financer la redistribution en donnant des béquilles à de mauvais employeurs ou laisser les interactions de la concurrence créer l’espace dans lequel s’épanouiront de bons entrepreneurs.
Merci pour ce billet intéressant!
Malgrès l’annonce de MPI, ils n’ont malheuresment pas réussi à garder le marché plus d’un an.