Made in Quality

Idée reçue souvent abordée sur mon blog : la désindustrialisation des pays développés, au profit des PECO ou des pays d’Asie, notamment la Chine.

L’enquête annuelle d’IBM sur les investissements industriels permet une fois de plus de balayer cette idée : en 2005, l’Europe a attiré 39% des investissements directs d’entreprises multinationales, contre 31% pour l’Asie. Ces projets d’investissements concernent trois types d’activité : la Recherche et Développement, les services aux entreprises (centres d’appels, centres de services partagés) et la production industrielle (usines, infrastructures, bâtiments et matériel). (informations vu ici).

L’Usine Nouvelle n°3023 du 21 septembre 2006 précise les résultats sur l’Europe : la France arrive en tête avec 21% de l’ensemble (253 implantations), suivie de la Pologne avec 12%, le Royaume-Uni 11%, la République Tchèque 7% et la Russie 6%. 

Bref, rien de nouveau sous le soleil (voir ici ) : la France reste très attractive. 

Soulignons cependant le commentaire du journaliste de l’Usine Nouvelle : « Malgré un coût du travail élevé, la France reste le pays européen préféré des investisseurs étrangers dans l’industrie ». Manifestement, la rationalité des décisions d’implantation lui échappe…à moins que ce ne soit du second degré, et qu’il souligne avec cette formule que le coût du travail n’est pas le déterminant premier. J’en doute.

Pourtant, pour mieux comprendre la rationalité des décisions des entreprises, il lui suffisait de lire le dossier publié dans… l’Usine Nouvelle, même numéro, même date, sur la « qualité sacrifiée ».

Explications :

 En 2001, 76 produits non alimentaires ont été rappelés dans l’UE, en 2005 : 701. Dernier exemple en date : les batteries d’ordinateurs Dell et Apple fabriquées par Sony, d’où un rappatriement respectivement de 4,1 millions (Dell) et de 1,8 millions d’ordinateurs (Apple). Pour les produits alimentaires, 133 rappels en 2000, 956 en 2005.

Pourquoi cette explosion des chiffres ?

Une partie de l’explication tient à l’accroissement des contrôles, au durcissement de la règlementation, à la pression des populations, etc. Mais ce n’est qu’une partie de l’explication.

Une autre partie tient aux choix productifs des entreprises : dans les industries d’assemblage, les entreprises peuvent décomposer la fabrication du bien en différents composants, les faire fabriquer par des sous-traitants, puis les assembler à l’étape finale. Afin de disposer de composants au moindre coût, certaines entreprises ont opté pour un « sourcing » lointain, notamment en Chine, bien sûr. Plusieurs avantages : i) le faible coût de la main d’œuvre, certes ; ii) les possibilités d’économies d’échelle : les sous-traitants agrègent les différentes demandes du marché et bénéficient de rendements croissants, le coût de production unitaire diminue donc ; iii) le report de l’incertitude sur les sous-traitants : en cas de mauvaise anticipation de la demande, le donneur d’ordre réduit les commandes aux sous-traitants, à charge pour ce dernier de s’adapter.

Sauf que, dans leurs petits calculs, les entreprises oublient de comptabiliser l’ensemble des coûts, notamment des coûts liés à la baisse de qualité :

« en 2005, près de 50% des produits qui présentaient un risque sérieux pour les consommateurs étaient importés de pays situés hors de l’Union Européenne » (Markos Kyprianou, commissaire européen, propos repris dans l’Usine Nouvelle, p. 14).

Or, la Chine concentre 44% des produits défectueux…Le responsable d’une entreprise basée à Hong-Kong ajoute :

« Dans la téléphonie mobile, les Européens réalisent des audits dans leurs usines sous-traitantes chinoises. Après leur départ, la qualité s’effondre. Dans ce pays, les salaires augmentent, le turn-over est immense, la main d’œuvre n’est pas qualifiée et son efficacité minimum si elle n’est pas encadrée » (idem, p. 14).

Bon, je ne prend pas pour argent comptant les propos de ce responsable de PME ; où plutôt je ne généraliserais pas comme il le fait (« dans ce pays »), mais il est clair qu’à côté des coûts de production, les entreprises oublient souvent de comptabiliser ce que l’on appelle des coûts de coordination/de transaction. Cet oubli explique les problèmes qualité évoqués. Il explique aussi en partie le fait qu’une part non négligeable des IDE effectués en Chine (ce n’est pas le seul pays concerné) se soldent par un échec (j’ai vu traîner un chiffre de 1/3 dans une étude Ernst & Young (je crois), je n’arrive plus à mettre la main dessus, si quelqu’un a ça sous le coude…).

Et, à l’inverse, lorsqu’elles intègrent l’ensemble des coûts (coûts de production + coûts de transaction), elles aboutissent parfois à la conclusion qu’une localisation dans les pays développés est préférable à une localisation dans les pays en voie de développement … malgré un coût du travail élevé…

Dernier point, tout à fait essentiel, les positions des différents pays évoluent : les différentiels de salaires ont tendance à se réduire, car les gains de productivité dans les pays en développement se traduisent par des augmentations de salaires conséquentes (variables selon les pays, en fonction notamment des rapports de force entre les collectifs d’acteurs). Leur avantage initial a donc tendance à se réduire. A l’inverse, ces pays améliorent la qualité des biens fabriqués, cherchent à monter en gamme, s’engagent aussi dans des logiques d’innovation, etc (voir à ce sujet cet article sur le cas Japon/Asie). Toujours est-il que pour comprendre les choix effectifs de localisation, c’est l’ensemble de ces facteurs (et leur dynamique) qu’il faut prendre en compte, non pas seulement l’un d’entre eux. En se demandant à chaque fois comment on peut améliorer le positionnement des entreprises sur l’une ou l’autre de ces dimensions.

19 commentaires sur “Made in Quality

  1. Markos Kyprianou a-t’il donné parmi tous les produits  qui pourraient présenter un risque (avec la possibilité de rappel) quelle est la proportion de ceux fabriqués en Europe ?En effet si 90% des produits de ce périmètre sont fabriqués hors Europe et qu’ils ne constituent que 50% des rappels, alors les produits fabriqués hors Europe sont plus fiable que ceux fabriqués en Europe …

  2. @ Laurent Guerby:  non, rien de tel… Bon, difficile d’identifier une catégorie "produits à risque", car tous les produits le sont, lorsqu’on voit les exemples récents de produits alimentaires/non alimentaires défectueux. Les propos de Kyprianou sont repris dans l’Usine Nouvelle, sans autres explications. Si on en reste à ces propos, j’aurais tendance à dire que les produits hors Europe sont beaucoup moins fiables. Pourquoi? Car le taux d’ouverture de l’Europe dans son ensemble est plutôt faible, donc on n’a sûrement pas 90% des produits à risque fabriqués hors Europe, mais plutôt une part très inférieure à 50%.

  3. On peut au moins prendre l’union des catégories de produits qui ont eu au moins un rappel (made in Europe ou non), c’est biaisé mais ça donnerai un ordre de grandeur.Dans certains domaines (les batteries, les jouets electriques) ou sous-domaines je ne serai pas surpris que 90% ou plus soient fabriqués à l’étranger…Ceci dit je ne pense pas que la conclusion donnée par le commissaire soit fausse, c’est juste que c’est encore un très mauvais usage des statistiques dans un discours public.

  4. petit tour sur Eurostat, à vue de nez, le taux d’ouverture de l’UE à 25 est de 15% en 2003. Malgré tout, c’est vrai qu’on pourrait creuser pour avoir une idée plus précise de la qualité des produits par pays. Un peu excessif de dire "un  très mauvais usage des statistiques dans un discours public", non? Disons un peu imprécis dans l’Usine Nouvelle, j’ai un peu cherché l’interview de base, pas trouvé, le commissaire européen avait peut-être été très précis. sait-on jamais…

  5. je suis dans l’informatique et dans mon domaine il est vrai qu’un des buzz word à la mode est l’outsourcing.
    Jusqu’à il y  1 an j’étais très inquiet pour mon avenir. Depuis ja’i bossé sur des projets initalement outsourcés en Asie et j’ai vu la catastrophe que c’est.
    Franchement je suis moins inquiet maintenant
    Finalement c’est normal. Contrairement à ce que croient les consultants en management, l’informatique est un vrai métier, cela nécessite de la compétence et de l’expérience. Ni l’un ni l’autre ne s’apprend en 8 jours de formation comme me l’a dit un jour un de ces brillants crâne d’oeuf…
     
    L’Asie vit le même phénomène que l’Europe autour des années 2000: une très forte demande, peu d’offre, pas assez. résultat on embauche n’importe qui et pas que du cadord forcément.
    Qu’est-ce qui peut faire penser à certains qu’en Asie les choses sont différentes pour les même raisons, cela sera toujours un mystère pour moi.
    Une bonne source d’économie pour une entreprise serai de se passer des services des entreprises de consulting en management!
     

  6. Je crois profondément qu’il ne faut pas, en France, avoir trop peur de la concurrence internationale.Certes, l’âge d’or de la colonisation n’est plus. Certes, les contradictions et les archaïsmes de nos institutions (je parle ici des professions protégées archaïques, des résidus de l’ère de la plannification économique, de la gouvernance bonapartiste, des institutions bureaucratiques issues du compromis de la résistance) continueront à coûter sur le travail et peser sur les performances des entreprises et travailleurs en France.Je suis par contre plus ennuyé de voir qu’il faille désormais aller à l’étranger pour recevoir une formation de pointe en électronique ou informatique appliquée. Rien de bien gênant, mais la faiblesse de la formation supérieure technique francophone me semble être une des rares questions que l’état pourrait éventuellement adresser

  7. comme d’habitude, sujet très interessant.
    pour revenir sur "Malgré un coût du travail élevé, la France reste le pays européen préféré des investisseurs",
    une étude KPMG que vous aviez vous-même citée tord le cou à cette idée reçue et prouve aussi que la France est également attractive parce que son coût du travail est faible parmi les pays développés:
    ftp://ftp.competitivealternatives.com/2006_compalt_execsum_fr.pdf

  8. @ enzo : oui, tout à fait, elle est en lien dans le billet quand je dis "Bref, rien de nouveau sous le soleil (voir ici )" (soit ici, soit là!). Mais attention : cette étude montre la bonne place de la France quand on intègre dans le calcul l’ensemble des coûts. Si on en reste au coût du travail, celui est logiquement beaucoup plus élevé en France que dans les PVD, et plutôt plus élevé que dans les autres pays développés… étant entendu que cet indicateur ne veut rien dire! Et c’est bien là le pb, de nous redonner sans cesse les écarts de coût du travail, comme si c’était l’alpha et l’omega des choix de localisation… il faut a minima raisonner sur le coût salarial unitaire (salaires divisés par productivité), puis intégrer tous les autres composants des coûts,etc.

  9. Obouba: Mon analyse se base sur les données relative la formation des personnels techniques français employés par les acteurs du secteur (Nokia, Motorola, Intel, etc.), données figurant parfois dans les documents à l’attention des actionnaires.

  10. oups désolé, pas fait attention au lien.
    oui, il me semblait me souvenir d’une bonne position essentiellement en raison de coût salariaux plus faibles que dans les pays développés! de cela, je ne sais s’il faut s’en réjouir finalement….

  11. Pour info, il existe une source alternative sur les couts du travail comparés :http://www.imfmetal.org/main/index.cfmAvec les statistiques qui vont bien :http://www.imfmetal.org/main/files/PP2004-English.pdfC'est un point de vue qu’on peut considérer biaisé, bien entendu, mais qui a l’avantage de donner une approche du pouvoir d’achat par produit qui donne un peu plus de contenu à la notion de niveau de vie – ce qui n’intéresse guère les entreprises, toutefois.

  12. Libéroïdal, je suis très surpris par vos affirmations sur la relative faiblesse de la formation en informatique et électronique, mes amis ingénieurs dans ce domaine avec leur diplome français n’ont aucun problème à l’étranger quand ils veulent y aller pour travailler (et vraiment partout dans le monde). Des données ou anecdotes ? (Bien sur on peut avoir le diplome et être une buse …)Du temps de mon diplome (délivré en 1996), mon école imposait déja une expérience professionnelle d’au moins trois mois à l’étranger et la maitrise de deux langues étrangères pour qu’un élève ait le diplome. Je suppose que cela c’est généralisé depuis.

  13. Laurent Guerby: Comme souligné un peu plus haut, les données sont connues des employeurs du secteur de l’innovation électronique grand public, et des sociétés que ces entreprises contactualisent pour les études relatives.Par ailleurs, votre constat n’est nullement incompatible avec celui que je fais.On peut aussi éventuellement éplucher les bases de données de l’OEB pour y trouver des noms de citoyens français innovateurs du secteur et s’intéresser ensuite à leur cursus.

  14. Ah, alors le secteur est celui tres precis de "l’innovation electronique grand public".Il y a tres peu de francais qui brevettent en masse le clic de souris et la molette pour le volume ? Oui c’est tres tres mal en effet :).La freebox c’est aussi tres mal et pas innovant car fait en France et pas imité.

  15. Ici en particulier, je considère les brevets comme des sources de données, pas des biens, hein… vous savez, pour un libéral, un brevet, tel qu’on le conçoit aujourd’hui, c’est un monopole organisé par l’état

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