La compétitivité française

Dans les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique que pour se prononcer sur l’avantage concurrentiel des nations, on ne peut se limiter à une comparaison des coûts du travail : différentes logiques sont à l’oeuvre (logique de coût, de compétences, financière, impératif de flexibilité, rôle de la proximité vis-à-vis de la demande, vis-à-vis des fournisseurs, etc…). Et même s’agissant des logiques de coût, il convient de comparer non seulement le coût du travail, mais aussi l’efficacité de l’heure travaillée (la productivité), ainsi que, à côté des coûts de production, les coûts de coordination entre acteurs.

Dans cette perspective, KPMG vient de publier une étude particulièrement intéressante permettant de comparer, pour 9 pays développés (le Canada, la France, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, Singapour, le Royaume-Uni et les États-Unis) les coûts supportés par les entreprises. Cette étude s’appuie sur 27 éléments de coûts (notamment la main-d’oeuvre, les avantages sociaux, les installations, les impôts et les services publics) associés à plusieurs types d’activités. Elle comprend  également une analyse détaillée des coûts observés dans 128 villes des neuf pays.

Résultats pour les pays (indice 100 = Etats-Unis) :

La France est sur le podium, derrière Singapour (on peut s’interroger sur la présence de ce pays dans l’échantillon…) et le Canada. Et devant les Pays-Bas, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon et l’Allemagne. Preuve s’il en était besoin que le prétendu désavantage de coût de la France (parce que les impôts de l’Etat, parce que les avantages acquis des salariés, parce que etc…) vis-à-vis des pays de niveau de développement comparable est à relativiser.

Les résultats par secteur permettent d’affiner le diagnostic : la France arrive en deuxième position (la première place est toujours occupée par Singapour) dans l’Automobile, les composants en métal et le plastique.  Elle occupe la troisième place dans 9 secteurs, et la quatrième dans les 6 autres.

S’agissant des villes, différents classements sont proposés (Paris est 6ème des grandes métropoles, Lyon est 2ème des grandes agglomérations, etc.). Si on se concentre sur les villes d’Europe continentale (comparaison des villes de France, d’Allemagne, d’Iltalie et des Pays-Bas), les villes francaises arrivent en tête : la ville la plus attractive est Montpellier (indice de 92,6) suivie par … Poitiers ! (indice de 92,9).

Bien sûr, il convient de rester prudent dans l’interprétation des résultats : je suis plutôt critique vis-à-vis de ces exercices de comparaisons internationales (exercices de benchmarking comme on dit de manière plus "savante"), tant les résultats que l’on obtient dépendent des pays de l’échantillon (je le redis, inclure Singapour me semble un peu étrange…) et des variables retenues (je précise la critique dans les nouvelles géographies du capitalisme en montrant que se livrer à des exercices de benchmarking c’est en quelque sorte se comporter comme des pingouins…). De plus, il est clair que la situation de pays comme l’Allemagne et le Japon, bons derniers du classement, s’explique en partie par un positionnement différent dans de nombreux secteurs : l’avantage concurrentiel de ces pays repose sur des logiques hors coût, autour desquelles il convient de travailler en France aussi…

13 commentaires sur “La compétitivité française

  1. pour répondre aux pingouins, citer les pingouins pour en tirer des conclusions n’est pas un sacrilège dans ce cas.
    La conclusion et les rappels utiles sont à retenir! attention aux explications toutes faites à travers les compraraisons, qui plus est lorsqu’un seul chiffre est comparé.
    voir à ce sujet: http://www.etiennefillol.org/blog/index.php?2006/05/16/101-taux-de-chomage-est-ce-encore-credible
    où je me suis permis de vous citer et où vous êtes appelé dans les commentaires à réagir…o;)
    Merci.

  2. voyez-vous un intérêt à comparer des villes dont la majeure partie des décisions économiques ne dépendent pas d’elles en terme de coût ou selon des situation incitatives très diverses?

  3. "Preuve s’il en était besoin que le prétendu désavantage de coût de la France (parce que les impôts de l’Etat, parce que les avantages acquis des salariés, parce que etc…) vis-à-vis des pays de niveau de développement comparable est à relativiser."A ce détail près que la France n’a pas de problème de coût salarial moyen, mais de coût salarial minimum, comme l’illustrent ces deux graphiques :http://gribeco.free.fr/images/CIN630.gifhttp://gribeco.free.fr/images/salaire_minimum.png

  4. "A ce détail près que la France n’a pas de problème de coût salarial moyen, mais de coût salarial minimum"Le probleme du cout salarial minimun, il est relatif. A priori, dans la mesure ou nos couts salariaux sont plus faible, c’est plutot nos cadres qui sont pas assez payés, non ?

  5. Eric Lauriac : Je ne sais pas, je ne dispose pas des données pertinentes, qui sont celle de la productivité des travailleurs non qualifiés, et de leur coût salarial minimum. Il ne suffit d\\\’ailleurs pas de savoir ce qu\\\’elle est maintenant, mais ce qu\\\’elle serait si, ceteris paribus, il y avait 250\\\’000, 500\\\’000, 1\\\’000\\\’000 de travailleurs non qualifiés en plus dans l\\\’emploi. Schématiquement, le problème est le suivant, si on se consacre au côté "demande" du marché du travail : une embauche est effectuée si le coût de cette embauche semble inférieur à ce qu\\\’elle rapporte. Parmis les coûts, il y a – le salaire net, dont un plancher est fixé par la loi (en fait la loi fixe le salaire net + Charges dites \\\’salariales\\\’ mais ne chipotons pas)- les charges associées- des facteurs institutionnels (risque juridique, rigidité, etc…)Si la demande de travail non qualifié paraît insuffisante, c\\\’est que les coûts sont trop forts par rapport aux gains. Le remède le plus angélique consiste à vouloir augmenter les gains en question. Ca se traduit par des stages pouris qui ne servent à rien, sinon à entretenir l\\\’espèce de course aux armements qu\\\’est devenue la formation supérieure pour le travail peu qualifié. A part ça, comme solution, il reste :  – la baisse du salaire net, politiquement explosive => ps jouable- la baisse des coûts institutionnels : cf CNE, CPE, projet de contrat unique, etc. Ce n\\\’est pas stupide, mais pas évident à chiffrer. Peut-on vraiment savoir quelle est la prime de risque associées au risque de procés en cas de licenciement actuellement, et de combien elle serait réduite en cas de généralisation du CNE ? en dépit de cette difficulté à chiffrer, les solutions institutionnelles sont sur-exposées médiatiquement, au moins depuis le CNE.- Reste la baisse des charges. Là, on sait. Si vous baissez de 400 euros les charges sur le smic, dans le cadre d\\\’une réforme permanante et sans conditions, même en ignorant le rapport coût/avantage exact, vous ne pouvez pas ne pas l\\\’allèger. Jack Lang n\\\’a donc surement pas tort de s\\\’intéresser à la question. Le problème, c\\\’est que ça impliquerait des changements radicaux dans le mode de financement des dépenses sociales, et personne ne veut s\\\’attaquer à ce dossier, c\\\’est pourquoi personne n\\\’en parle.

  6. "Je ne sais pas, je ne dispose pas des données pertinentes"Ben vous étiez rudement affirmatif pourtant :)"Le remède le plus angélique consiste à vouloir augmenter les gains en question"C\\\’est sur ce point que je ne suis pas d\\\’accord.1 On sait que aux USA, la productivité augmente dans les services et particulièrement dans le commerce. On est à la bourre en France (hors tres grande surface), on pourrait tres bien liberaliser le commerce (couteux politiquement 🙂 qui embauche quand meme peu de doctorants.L\\\’étude ici présentée nous révele que les USA sont plus chers, sauf pour les services aux entreprises. KPMG précise que les SAE qu\\\’elle à étudié (je ne sais pas s\\\’ils sont tres représentatifs d\\\’un secteur non hommogène) sont particulièrement gourments en m-o non qualifiée. Je n\\\’ai aucune raison de croire qu\\\’un salarié US est moins bien payé qu\\\’un européen. C\\\’est forcement un problème de productivité et des gens comme O. B.-O. devrait nous en apprendre beaucoup :)Ce sont ces deux secteurs qui ont cumulés aux USA embauches massives et gains de productivité.2 la productivité repose sur la formation et réformer l\\\’éducation nationale, c\\\’est pas de l\\\’angélisme, mais c\\\’est encore plus difficile que de baisser les salaires réels.O. B.-O. : Singapour est présent dans l\\\’étude parcequ\\\’ils ont payé 🙂

  7. EL : "Ben vous étiez rudement affirmatif pourtant :)"C’est vrai, mais le problème n’est pas tellement là. Il y a de multiples raisons pour lesquelles le rapport coût/avantage de l’embauche est supérieur à 1 pour de nombreux travailleurs non qualifiés potentiels. Ce que je dis, c’est que quelles que soient ces raisons, il existe un moyen forcément efficace pour faire baisser significativement ce rapport : c’est de faire basculer les charges sur l’IRPP, en tout cas pour les bas salaires.Pour le reste, ne mésinterprétez pas mes propos. Je suis d’accord avec votre 1 et votre 2. En particulier, si je devais citer 4 ou 5 mesures favorbales à l’emploi sur le long terme, une réforme vigoureuse de l’EN en fairait partie, et pas dans le sens d’une diminution des moyens (encore que le problème soit plus qualitatif que quantitatif). Seulement, il y a deux problèmes :1) Ce qui est angélique, c’est de décréter, comme le fait DSK, qu’il suffit de mettre le paquet sur l’EN et les stages et hop ! toutes les cités dortoirs françaises seront brutalement peuplées de gens instruits, polyglottes, informaticiens, s’exprimant dans un français irréprochables, etc. Même si quelqu’un arrivait à mettre en place une vraie réforme efficace de l’EN (je le souhaite), il resterait de toute façon le problème des gens qui ne sont déjà plus à l’école et qui sont très mal formés.2) Le second problème, c’est que l’augmentation de la productivité, pour avoir un effet favorable sur l’emploi des non qualifiés, ne doit pas s’accompagner d’une augmentation équivalente du coût du travail. Pour ça, il faut donc soit geler le SMIC soit… baisser les charges. On y revient.

  8. @ antoine : je veux bien croire que le problème économique français tient à un coût salarial minimum plus élevé qu’ailleurs mais enfin…* ca fait longtemps que des dispositifs existent pour que les entreprises puissent embaucher en dessous de ce coût (temps partiel subi, contrats aidés, etc…)* ca doit faire aussi quinze ans que des baisses de charges sur les entreprises ont été décidé, sans effet significatif sur la baisse du chômage des non qualifiésPourquoi? j’avancerai deux raisons :* comme dit dans d’autres billets, dans beaucoup de secteurs, on n’a pas besoin de travail non qualifié : le chômage ne résulte pas d’un problème de coût, mais de technologie* les économistes oublient souvent que les désajustements offre/demande peuvent provenir de déterminants spatiaux : certains territoires proposent des emplois peu qualifiés, mais ne trouvent pas de demande en face. D’autant plus quand les emplois proposés sont des CDD ou emplois saisonniers. Cf par exemple l’hotellerie restauration. Il faudrait aussi que certains employeurs s’interrogent sur les conditions de travail proposées, parfois calamiteuses…Et puis, pour finir, il y a sans doute un lien logique entre cette évolution, en France, salaire minimum/salaire médian et la courbe présentée dans un précédent billet, montrant la non aggravation des inégalités en France, comparativement aux autres pays…

  9. entièrement d’accord avec le dernier commentaire d’OBO.
    j’ajouterai aux discours économiques juste mathématiquement que les notions de confiance, d’anticipation ou de comportement ne figurent pas sur des courbes.
    un tout petit exemple: c’est bien de plaquer sur une courbe l’offre et la demande d’emploi liée à la suppression des charges pour les smics. mais quel est l’objectif? avoir un emploi de pauvre ou crée une société humaine? supprimer les charges sur le smic aboutira invariablement à coller tous les emplois non qualifés sur des smic rapprochant tous les autres emplois de ce seuil si précaire. Si lla demande de travail était très supérieure à l’offre on pourrait avoir un effet positif, mais c’est loin d’être le cas partout non?

  10. Je ne suis pas sûr que ça ait un sens de dire « LE problème de la France, c’est … ». Il y a des secteurs pour lesquels il y a un problème d’offre de travail, en particulier la maçonnerie et l’hôtellerie. Dans certains secteurs moins manuels, il y a plutôt un problème de demande. Dans tous les cas, un chômeur accepte un emploi si le rapport coût/avantage d’accepter cet emploi est inférieur à 1 (y.c. coût d’opportunité), un employeur accepte d’embaucher quelqu’un si le rapport coût/avantage de cette embauche est inférieur à 1. Tant qu’on est en présence de chômage de masse, en tout cas pour ce qui est des non qualifiés, tout ce qui peut être fait pour faire diminuer ces deux rapports doit être envisagé. Il n’y a pas une solution unique, je ne dis pas qu’il faut uniquement faire baisser le numérateur et ne pas chercher à faire augmenter le dénominateur, mais, pour ce qui est du « demand side », un transfert des charges sur les bas salaires vers l’IRPP aurait un effet clair, net et immédiat sur le ratio considéré. D’ailleurs, contrairement à ce que vous dites, les précédentes baisses de charges ont eu un effet, semble-t-il, assez net (c’était sous Jospin).
    Ensuite, le problème n’est pas tant de savoir s’il y a des secteurs qui n’ont pas besoin de travail non qualifié, puisque certains secteurs en ont besoin. Il ne faut pas voir des « Léontieff » partout. Ne perdez pas de vue que quoi que vous fassiez pour améliorer la formation des hommes, il y a aujourd’hui des tas de jeunes de vingt ans qui sont très mal formés et qui seront à peu près dans le même état dans 30 ans.

  11. @ antoine : ok, il y a plusieurs problèmes donc plusieurs leviers d’action possible. MAIS : autant commencer par hiérarchiser les problèmes, et traiter les plus importants… Sinon (je provouqe à dessein) : certains vont nous dire qu’il y a du chômage parce que les indemnités sont trop élevées, donc qu’il faut les baisser (discours Fillon quand il était au ministère du travail). D’autres qu’il y a des fraudeurs qui cherchent à bénéficier des allocations sans y avoir droit (de mémoire, on estime ces fraudes à moins de 0,5% des cas), etc… tout à fait \’accord pour dire qu’il y a des besoins en main d’oeuvre peu qualifiée, la dernière enquête de l\\\’Unedic le montre bien (http://info.assedic.fr/unistatis/travail/documents/BMO2006_statis.pdf), et que les entreprises ont du mal à recruter cette main d’oeuvre. Quelle est l’origine du problème? Le coût du travail? Non, pas pour l’essentiel, mais plutôt (cf. notamment l’étude ANPE : http://www.anpe.fr/observatoire/IMG/pdf/dd-diff.pdf) : * difficulté d’anticipation des besoins côté entreprise * impossibilité de faire coller en temps réel les formations et les besoins * des secteurs peu attractifs, soit en raison d\\\’un déficit d\\\’image, de conditions de travail difficiles, de rémunérations peu attractives, …* des freins géographiques à la mobilité des personnes (territoires peu attractifs pour le salarié et/ou sa famille)En groupant les deux derniers éléments et pour illustrer : je sais qu’il fut un temps où des offres d’emploi étaient non pourvues dans le Nord Deux Sèvres : il s’agissait d’aller découper du poulet en chambre froide à 5h du matin…* des besoins mal définis ou des critères de sélection trop restrictif. Il n’est pas rare par exemple que des chefs d’entreprise refusent de recruter des chomeurs longue durée, ou des plus de 50 ans, sans raison objective (on pourrait théoriser cela, les recrutements se font dans un contexte d’info imparfaite, on redoute de la sélection adverse ou de l’aléa moral, etc…)encore une fois, je ne dis pas qu’il ne faut pas s’intéresser au coût du travail, ni que rien ne doit être fait à ce sujet, mais réduire le problème du chômage à cela, comme c’est trop souvent le cas dans le débat public, c’est rater la cible essentielle.

  12. Olivier, merci pour ce trackback intéressant !Les données détaillées de l’enquête BMO sont-elles disponibles ? La limite principale (elle est mentionnée d’ailleurs), surtout pour identifier les refus de recrutement , est qu’il n’y a pas l’air d’y avoir de suivi de la traduction intention en embauche effective et le classement des formations des chercheurs d’emplois identifiés sur la même grille de métier et géographique.Un point supplémentaire, au dela des indemnisations ASSEDIC, il y a toutes les trappes à RMIstes et les aides mal foutues qui font que reprendre un travail est au final une perte de revenu (sans compter le temps libre…). Ça c’est simple a corriger à cout constant, mais cela n’a pas l’air d’être faitEt bon courage pour convaincre Antoine que le problème français perçu peut peut-être eventuellement se situer ailleurs que dans le SMIC trop elevé ou des charges trop fortes :).

  13. Je suis parfaitement convaincu que le douloureux (et bien réel) problème français de l’emploi ne passe pas uniquement par une baisse des coûts du travail : ce n’est qu’un élément. On ne va pas, ici, en commentaires, faire un tour exhaustif du problème. Cela dit, j’ajoute quand même une chose : parmi tous les facteurs qu’on peut identifier, il faut non seulement appréhender le poids de chacun dans le problème, mais également les marges de manœuvre politique pour influer sur ces facteurs. Exemple : pour jouer sur l’incitation à accepter un emploi, les scandinaves et la Hollande (si ma mémoire est bonne, il est tard 🙂 )  ont trouvé des solutions efficaces (sanctions en cas de refus plus progressives, mais du coup, plus effectives). Comme dit quelqu’un que j’aime bien "c’est simple à corriger à coût constant, mais ça n’a pas l’air d’être fait". En revanche, jouer sur l’asymétrie informationnelle, sur l’irrationalité des entrepreneurs ou sur le peu d’enthousiasme des travailleur vis-à-vis des déménagements, c’est beaucoup plus difficile. Je ne dis pas impossible, je dis juste très difficile.

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