idée reçue #3 : la désindustrialisation de la France

Après la première selon laquelle un jeune sur quatre est au chômage, après celle selon laquelle le système éducatif ne répond pas aux besoins des entreprises, troisième idée souvent lue : la France est en cours de désindustrialisation

Une fois encore, les chiffres semblent imparables : de 1980 à 2004, l’industrie a perdu un tiers de ses effectifs, pendant que sa part dans la valeur ajoutée est passée de 28% à 19%. Et les explications sont toutes trouvées : coût du travail trop élevé qui fait fuir les entreprises en Asie ou dans les PECO, marché du travail trop rigide qui fait fuir les jeunes qualifiés vers Londres ou les Etats-Unis, fiscalité et lourdeurs administratives telles que plus personne ne souhaite investir en France, etc…

Sauf que….

* le recul de la valeur ajoutée industrielle en valeur est supérieur à celui observé en volume. Ce qui veut dire que ce sont plus les prix que le volume de production de l’industrie qui ont baissé. Pourquoi? Car l’industrie réalise des gains de productivité plus importants que les services… Et si le recul de l’industrie a été plus fort en France que dans d’autres pays, c’est, pour une part, en raison de gains de productivité plus forts : l’industrie y a été plus efficace qu’ailleurs !!!
* surtout, l’industrie s’organise de manière totalement différente : beaucoup d’entreprises externalisent des activités qu’elles réalisaient auparavant en interne, et des activités qui relèvent des services : elles se rencentrent sur leur coeur de métier.D’où la croissance très forte du poids des activités "Services aux entreprises". Dans le même sens, l’industrie fait largement appel à l’intérim, ce qui vient gonfler le poids des services, alors que ce sont des emplois qui alimentent les besoins de l’industrie.
En ajoutant les emplois de l’industrie et ceux du secteur "Services aux entreprises" (source Insee, Les Services en France, p.23), on voit bien la stabilité de l’ensemble :

Le poids de l’industrie
  1990 2000 2004
Industrie 19,8% 16,3% 15,1%
Services aux entreprises 11,7% 15,4% 16,4%
Total 31,5% 31,7% 31,5%

En tenant compte en plus de l’intérim, l’emploi dépendant de l’industrie représenterait entre 40 et 45% de l’emploi total. Bref, on n’assiste pas à une désindustrialisation de la France, mais à une transformation de l’industrie.

Transformation que l’ouvrage dirigé par Colletis et Lung  ("La France industrielle en question", la Documentation Française, 2006) permet de bien cerner, en adoptant une entrée sectorielle (textile-habillement, industrie automobile, industrie aéronautique et spatiale, industrie pharmaceutique, TIC, grande distribution) d’une part, et en s’interrogeant sur l’impact de la globalisation, de la financiarisation et du changement technologique sur chacun de ces secteurs, d’autre part. Lecture conseillée !

10 commentaires sur “idée reçue #3 : la désindustrialisation de la France

  1. Bjr,
    Le total que vous représentez de plus de 30 % concerne quel volume ? Celui de l’emploi ? Celui de la VA en volume ? etc …
    Merci de votre réponse.

  2. @ bridgetoun : le livre de Colletis et Lung fait 152 pages très exactement. Chaque chapitre explique l’organisation et les évolutions récentes du secteur. Je le trouve clair, il n’y a pas de propos choc, juste des analyses bien documentées… ce n’est pas si fréquent! @william : oui, désolé pour l’imprécision… Il s’agit de statistiques sur l’emploi par secteur. Ce qui est encore plus intéressant, car en ajoutant les VA on aurait une croissance de la part des deux secteurs (l’emploi industriel au sens strict diminue, pas la VA en volume).

  3. Il n’y a peut être pas de désindustrialisation, mais les emplois deversés dans les "services aux entreprises" sont souvent beaucoup plus précaires et flexibles que ceux qui existaient dans l’industrie auparavant. les industries externalisent un maximum de risques sur d’autres entreprises de services auquel elles feront appel. Même si la part de l’industrie associée à celle des services aux entreprises reste stable, que se soit en emplois ou en VA en volume, on ne peut pas parler de progrès ni même de stagnation  pour tout ce qui est d’ordre social. Après les chiffres, quelle est la qualité des nouveaux emplois créés dans les services aux entreprises? Cela touche peut être à un autre problème, mais il est quand même fondamental et beaucoup plus concret pour nombres de salariés.

  4. @ nat : je suis plutôt d’accord, l’objectif du billet était de dire, une fois de plus, qu’il faut cibler les bons problèmes. Quand on nous parle de désindustrialisation, on enchaîne derrière en disant que le problème est lié à une faible compétitivité des entreprises, ce qui s’explique, pour certains, par un manque de flexibilité du travail et/ou un coût du travail trop élevé. En montrant que l’on  n’a pas désindustrialisation, mais réorganisation de l’industrie, on met en évidence d’autres problèmes, qui incitent à prendre d’autres dispositions.Il est clair que l’externalisation dans l’industrie, d’une part, le recours à des CDD et à l’intérim, d’autre part, sont fortement croissants, et que cela pèse sur une certaine catégorie d’entreprises et surtout de salariés, ce qui appelle des réponses adaptées. Sur l’intérim, j’y reviendrai très prochainement dans un nouveau billet.

  5. Selon les chiffres de la comptabilité nationale (http://www.insee.fr/fr/indicateur/cnat_annu/base_2000/biens_services/va_emploi_prod.htm), la part de l’industrie dans la valeur ajoutée EN VOLUME est même la même aujourd’hui qu’en 1982 (17.3%). Alors qu’elle a effectivement diminué en valeur de par l’effet prix que vous mentionnez.
    Les phénomènes d’externalisation sont donc importants mais ne sont même pas nécessaires pour contrecarrer l’argument de la désindustrialisation (sans parler qu’additionner les services aux entreprises à l’industrie me semble quand même une vision un peu limitative du contenu des services aux entreprises)
    En réalité, la désindustrialisation du pays est uniquement et essentiellement une désindustrialisation des emplois pour des raisons essentiellement technologiques : c’est évidemment un bouleversement de société majeur, d’autant plus si on l’ajoute avec tous les autres phénomènes de changement d’organisation que vous avez mentionnés par ailleurs.
    Les hommes politiques et les journalistes utilisent très mal les statistiques en se contenant souvent des indicateurs bruts et des idées reçues : c’est là un des malheurs du débat politique national.

  6. Pourquoi penser que les services aux entreprises sont réservés à l’industrie ?Dans le Pdf de l’Insee cité, il est précisé:1 les 3/4 des services sont achetés par les entreprises toutes catégories et le reste donc par les ménages.2 les services aux entreprises comprenent bien l’interim donc vous ne pouvez pas faire grimper l’emploi industriel à 40%, ce qui est un peu abusif.

  7. Je crois en votre bonne foi concernant le 2. D\\\’autant que les nomenclature de l\\\’Insee, c\\\’est pas forcemment le top pour départager les activités.Ce qui m\\\’amène à une question, qu\\\’est ce qu\\\’un service ou une industrie. L\\\’industrie concerne les biens matériels, ce qui pose problème dans à l\\\’heure de la socièté de l\\\’information. Plus problématique: La libéralisation du marché de l\\\’énergie a conduit à l\\\’éclatement de la "production et distribution d\\\’électricité" en 3 activités différente au sein des nomenclatures de l\\\’Insee:-production d\\\’électricité-transport d\\\’électricité-distribution et commerce d\\\’électricité.Je n\\\’ai pas compris ou l\\\’Insee classait la production d\\\’électricité ( en fait j\\\’ai pratiquement rien compris). Dans le tertiaire pour l\\\’hydrolique puisque que l\\\’on ne transforme rien ou dans le secondaire pour le nucléaire puisque qu\\\’un bien primaire est transphormé ?Ce détail mis a part on voit bien dans cet exemple que l\\\’éclatement d\\\’une activité réduit mécaniquement la part industrielle de l\\\’économie. A terme, on peut imaginer une usine qui sous-traite le déplacement des ouvriers sur une chaine de production  etc …Voila c\\\’était pour apporter de l\\\’eau a votre moulin, la définition de l\\\’industrie est bien trop restrictive.

  8. Cet article date de 2006 : qu’en est-il en ce milieu d’année 2009 ? Après tout ce qui vient de survenir durant cette “crise” ! Je n’ai pas trouvé d’article éco intégrant des stats récentes. Peut être faudrait il parler un peu plus du type d’entreprises concernées : il semblerait que les industries “lourdes” soient plus touchées ? Illusions ? Si c’est la cas, que ce passerait il en cas de conflit mondial pour les nations ayant perdus leurs industries de base, telle que la sidérurgie ?Merci.FL

Répondre à Olivier Bouba-Olga Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *