Vive les grandes écoles !

En France, la voie royale pour accéder à un emploi de qualité consiste à s’orienter dans des prépas, puis à décrocher son entrée dans la meilleure école possible. Mais bien sûr, cela ne dépend pas que des mérites individuels : la reproduction sociale joue à plein, comme en témoigne ce petit tableau, trouvé sur le site de l’observatoire des inégalités :

Composition sociale des classes
Unité : %
  6ème
1995
Terminale S
2001
Classes prépa
2002
Agriculteurs 2 2 2
Artisans, commerçants 8 7 7
Cadres supérieures 12 29 42
Enseignants 3 8 12
Professions intermédiaires 15 19 14
Employés 16 13 9
Ouvriers 32 15 6
Retraités et 12 7 8
Inactifs
Source données : Christian Baudelot – 2003, Mai 2003 Colloque de l’Ecole normale supérieure Démocratie, classes préparatoires et grandes écoles

Là où ca fait mal, c’est lorsque l’on rapproche ces chiffres de l’effort financier entrepris par la collectivité pour les étudiants des différentes filières : 13170 € par étudiant de classe prépa, 6 820€ par étudiant de l’Université (hors IUT)… (Cf. le graphique repris dans un article précédent)….

Ce sur-investissement renforce à l’évidence la reproduction sociale. Quelle solution? Il en existe deux :

i) faire de la discrimination positive afin d’ouvrir les portes des grandes écoles à ceux qui n’y avaient pas, jusqu’à présent, accès. C’est ce que fait Sciences Po Paris, en intégrant des élèves issus de Zep. Plus radicalement, on pourrait suggérer que, dans chaque lycée, un certain pourcentage des élèves aient un accès automatique aux classes prépa, ce qui aurait l’avantage  d’éviter la concentration des meilleurs élèves dans les meilleurs établissements (étant entendu que ces établissements ne sont pas intrinsèquement meilleurs : ils obtiennent de meilleurs résultats seulement parce que les élèves des catégories sociales élevées y sont concentrés…), 

ii) supprimer les grandes écoles. Ce qui n’a rien d’aberrant, si l’on observe que le système des grandes écoles est une spécificité française, nombre d’autres pays développés s’en sortent très bien sans. Cette deuxième solution n’a cependant que peu de chances d’être mise en oeuvre,  pour une raison très simple : les politiques sont quasiment tous issus de ces écoles, et souhaitent que leur progéniture en profite également… Elle aurait pourtant l’avantage d’empêcher, précisément, que les élites du pays soient tous coulés dans le même moule : même si le moule est de grande qualité, il conduit forcément a une certaine uniformisation des visions du monde.

Je ne dis pas que tous les politiques pensent la même chose, mais que tous regardent le monde avec les mêmes lunettes. S’agissant de l’économie, avec, pour l’essentiel, leurs lunettes de macro-économiste. On gagnerait sans doute à ce que d’autres personnes, issues d’autres milieux et d’autres formations, munies d’autres lunettes, puissent participer aux débats et surtout, bien sûr, aux prises de décision…

14 commentaires sur “Vive les grandes écoles !

  1. Pour ma part je serais plutot pour la seconde solution utopiste. Je suis par contre opposé à la discrimination positive car on sait ou elle commence mais on ne sait pas où elle s’arrête. Il y a de la discrimination au sein même de la discrimination positive. quand on réserve quelquechose à une frange, on en exclut une autre!
    Je vois une solution courageuse qui implique une forte volonté politique, c’est de rééquilibrer les efforts budgétaires consentis en faveur des études universitaires en l’accompagnant d’un plus grand controle de l’utilité de nombre de formation, non pas au regard du % de travail trouvé à la sortie mais au regard de l’apport de ces formations dans la recherche en particulier.

  2. A budget constant, il est aussi possible d’intégrer les classes prépas aux premiers cycles universitaires, ce qui permettrait de 1) augmenter mécaniquement les moyens financiers per capita,  2) d’avoir une politique égalitaire post bac 3) "renflouer" les effectifs à l’université. Les Grandes Ecoles ne seraient alors accessibles qu’aprés un niveau L au cours duquel il serait obligatoire de passer une année compléte à l’étranger et principalement en Europe (extension du système Erasmus).

  3. Le thread est un peu vieux, mais je lance tout de même un commentaire.

    Vous proposez de supprimer les grandes écoles. Je propose de supprimer l’enseignement à la faculté. La généralisation du systèmes des écoles (qui marchent), est bien préférable à la généralisation du système des facultés (qui – désolé – ne marchent pas très bien).

    Bien-sûr, il y aurait des partenariats. Mais chaque école aurait son autonomie, et serait jugée au succès de ses étudiants…

  4. Pour mettre un petit grain de sel, cet article provenant également de l’Observatoire des Inégalités (Adresse à péter et répéter à toutes et à tous, tant les informations que l’on y trouve sont précieuses.) :http://www.inegalites.fr/article.php3?id_article=54Constatons-nous énormément de différence entre l’accès à la faculté et aux grandes écoles ?…Les études supérieurs sont le bastion des classes sociales supérieures et "moyennes supérieures", à première vue.Cette reproduction sociale ne s’effectue pas qu’au niveau des études supérieures, mais bel et bien au niveau du lycée et de la vision des études que fournissent les parents à leurs enfants.D’où par exemple la différence "intégration à une Term S"/"intégration à une grande école" présente au niveau des enfants de membres de l’Education Nationale.Peut-être votre vision d’économiste privilégie avant tout le "crédit économique".Mais les crédits symbolique, social, et culturel sont peut-être tout aussi importants… en raison nottamment de la haute spécialisation actuelle des individus dans notre société.(Les deux derniers graphiques sont donc à relier avec cet article également : http://www.inegalites.fr/article.php3?id_article=19)Au final, un fils d’enseignant aura plus de chance d’atteindre la prépa qu’un fils d’employé… même si les enfants de cadres sups sont encore et toujours favorisés.On pourrait également relier tout ça avec un tableau présentant le taux de chômage pour les étudiants… selon leurs origines sociales… et selon la spécialité qu’ils prendront et leur niveau d’étude au moment de leur arrivée sur le marché du travail.Evidemment que des bac +5 finissent sans emploi… lorsqu’ils choisissent des fillières bouchées. Tandis que d’autres avec un BEP ou CAP arriveront sur le marché de l’emploi et trouveront un job sans aucune difficulté.

  5. Si vous me le permettez, Olivier, d’apporter mon rémoignage de quadra frolant la cinquantaine, intervenant en économie dans un mastere et par ailleurs cadre supérieur … ayant par ailleurs poussé ses enfants vers une prépa, pour toutes les raisons que vous évoquez.
    1) sorti, il y a qq années d’une université avec un DEA, il m’a fallu du temps pour trouver un travail de "qualité"; (c’est à dire de faire le boulot que je révais de faire) autant parce que j’ignorais le fonctionnement d’une entreprise que parce que les entreprises se méfiaient des universitaires (question d’image de marque et peut être, faut il le dire, de dédain  affiché par qq universitaires pour le monde de la production)
    2) des que j’ai pu accéder à un poste de responsabilité, j’ai pu vérifier que je n’avais rien à envier à mes collègues de Grandes Ecoles. Un de mes responsables m’a même avoué un jour qu’il avait découvert que les universitaires étaient moins préparés à l’entreprise que les Grandes ecoles mais, sur la durée, s’adaptaient mieux car leurs connaissances étaient plus profondes.
    3) les étudiants de mastere ont un niveau qui n’a rien à envier aux Grandes Ecoles ; en revanche, l’université souffre toujours d’un déficit d’image et des entreprises continuent de leur proposer des postes qu’elles ne songeraient pas à proposer à des GE. Il y a encore un gros travail de "public relations" et de lobbying à conduire.
    4) Je suis surement moins certain aujourd’hui de la nécessité de supprimer les GE. Je pense que les prépa assurent une bomme transition entre le lycée et le supérieur; elles développent aussi le sens du travail. Elles assurent un bon aiguillon concurrentiel et je ne suis pas trés sur que les Universités se seraient adaptées aussi bien sans cette "compétition"  au sens anglo saxon du terme.
    5) Donc pourquoi pas des places réservées par lycée ? encore qu’aujourd’hui les prépas (au moins les scientifiques) ont du mal à se remplir. De toute façon, un diplome d’ingenieur aujourd’hui est pleinement valorisé par un mastere professionnel ou de recherche.
     

  6. J’aimerais apporter quelques précisions sur la spécificité des grandes écoles de commerce.

    Contrairement aux étudiants en école d’ingénieur, les étudiants des écoles de commerce doivent payer leur scolarité. S’ils bénéficient certes des largesses de l’éducation nationale lorsqu’ils se trouvent en prépa, l’équilibre se trouve très vite inversé avec le paiement des frais de scolarité.

    Avec tout ce que cela implique en terme de reproduction sociale…

  7. Pour abonder dans le sens de ce billet, j’encourage les personnes intéressées par ces questions à lire ou relire deux livres de Pierre Bourdieu : "La reproduction" et  "La noblesse d’Etat. Grandes écoles et esprit de corps".

  8. Pourquoi tant de haine envers les grandes ecoles en France? Oui c’est une filiaire selective, mais dois-je rappeller qu’il est possible d’acceder a une ecole d’ingenieur publique par un cursus publique? Pour ma part, je suis a l’ENSEA, accessible sur concours central-supelec, et c’est une ecole publique… donc aucune selection sociale (le concours est a 20€ pour les boursiers je crois).
    La discrimination positive est inapplicable pour les classes prepas. C’est une filiaire selective, si on lui enleve ce parametre, alors elle s’effondre. Il existe des classes prepas dans le 93 (désolé pour cet exemple mais votre article est tellement plein de cliché que…)
    Puis quand vous vous permettez (dans les commentaires) de comparer université et grandes ecoles, je ne vois pas sur quel critere on peut se baser pour etre objectif. En effet, les 2 voies donnent une formation qui ouvre pas mal de portes. La question des offres d’emploi a la sortie des etudes est plutot lié au fait que de nombreuses ecoles d’ingenieurs ont des partenariats avec des entreprises qui facilitent l’insertion professionelle (sans parler du reseau des anciens). Et les etudes d’ingenieur se finissent souvent par un stage de 6mois en entreprise, avec a la clef un CDI…

  9. Howinboe :Je répète le conseil lancé juste au-dessus de toi, rédigé par Stefbac… le mieux est de lire ou relire Bourdieu si l’on croit VRAIMENT qu’il n’existe aucune "sélection sociale" parce que cela n’est pas cher de tenter le concours.Il n’y a pas que les capitaux économiques, dans la vie. Mais également symboliques, culturels et relationnels. Et tout cela ne participe pas à une forme d’égalité des chances, lorsqu’on soumet tout le monde au même traitement…Et sans ces inégalités de capitaux, comment expliquer le grand nombre d’échecs de la part des fils d’ouvriers ou l’in-accessibilité de ces filières à ces derniers ? Ils sont plus bêtes, ou comme je l’ai déjà lu dans un article rédigé par un abruti de diplômé d’école de commerce, il y a un problème de génétique là-dessous ?…Amicalement,AJC

  10. AJC
    je n’ai jamais lu Bourdieu et c’est pas dans mes priorités de lectures. Je veux seulement soulever un point : on vit dans un monde perdu dans les statistiques. Et on tente de le confronter avec un milieu de type elitiste. Je pense (ca n’engage que moi) que c’est un paradoxe.
    Si on poursuit ton raisonement, on devrait aboutir a une reduction du nombre d’eleves en ecole d’ingé (en effet tout les fils de gens "favorisés" veulent pas faire ingenieur ou commerciaux)….
    Il faut ouvrir les yeux. Je pars de mon experience personnelle. Oui il y a des fils d’agriculteurs dans ma promo, des fils de comptables ou d’ouvriers. Au-dela de ca, je suis d’accord avec toi, les echecs sont plus nombreux. Mais ca serait ridiculisé ceux qui y sont arrivés, et eux existent bien (et ce n’est pas quelques personnes isolées). Heureusement qu’en France l’ascenseur social n’est pas cassé.
    Mon commentaire commence a etre long. Tans pis. Moi je n’appelle pas ca de la selection sociale, mais plutot une predetermination : les fils de medecins sont plus attirés par les etudes de medecine que les autres. Mais on ne selectionne personnne par son origine. On interdit rien. Les portes sont ouvertes, parfois un peu lourdes a poussées, mais cela reste faisable. Tout le probleme des filiaires prepa, c’est que les gens voient ca comme une epreuve, et quand ils echouent, ils regardent le contexte pour s’expliquer.
    J’espere ne pas avoir ete trop barbant et trop borné dans mes idées (je pense que si mais bon…). Merci pour le conseil de lecture en tout ca 😉
    Amicalement,
    Howimboe

  11. Je suis un peu dans les vappes, donc désolé si j’écris un peu de manière chaotique… (Gros rhume ou grippe à Varsovie, qui me fait rester au lit depuis deux jours… :oS)"on vit dans un monde perdu dans les statistiques. Et on tente de le confronter avec un milieu de type elitiste. Je pense (ca n’engage que moi) que c’est un paradoxe."En quoi est-ce un paradoxe ?"Si on poursuit ton raisonement, on devrait aboutir a une reduction du nombre d’eleves en ecole d’ingé (en effet tout les fils de gens "favorisés" veulent pas faire ingenieur ou commerciaux)…."Pas nécessairement.Ce n’est pas parce qu’il y a reproduction sociale assez intense qu’il n’y a pas d’ascenseur social pour d’autres… (Genre le fils d’ouvrier qui fini cadre sup’, etc.)Bourdieu n’est aucunement dans cette optique, et s’il est reconnu internationalement comme un très grans sociologue, c’est justement parce qu’il évite ce type de "facilité" dans ses raisonnements et qu’il s’appuie avant tout sur le réel."Il faut ouvrir les yeux. Je pars de mon experience personnelle."Et évidemment, cela est purement représentatif de l’intégralité de la nation Française ?Je n’ai également pas dit que l’on sélectionnait par rapport  à son origine. Mais qu’il y avait, en raison de crédit culturel, économique, symbolique, des facilités pour de nombreuses personnes, amenant à une certaine reproduction sociale.Déjà, demande toi si le gosse qui est né dans un ménage où il n’y a pas de bibliothèque dans l’appartement/la maison familiale a réellement ses chances d’atteindre un stade supérieur d’étude ?Compare maintenant avec un fils de prof ou de cadre supérieur.Et tu ne penses VRAIMENT pas qu’entre ces deux gamins, l’un va être favorisé par rapport à l’autre dans son parcours scolaire, universitaire, etc ?Bien entendu, il n’y a pas de déterminisme total : cela ne décide pas à 100% de ton "destin". Mais cela influe. Enormément.Pour débuter Bourdieu sans se paumer, le mieux est de commencer par :Contre-feux 1 & 2La TélévisionÇa met en bouche.Puis tu peux enchaîner sur quelques articles de La misère du Monde, et si tu prépares un peu, Questions de Sociologie. J’en suis là, et j’ai aussi les Héritiers à lire…Amicalement,AJC

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