Effet placebo, quelques précisions

Plusieurs commentaires intéressants me poussent à formuler des précisions sur mon précédent article. Je reviens en particulier sur celui de “Remi Gau”.

Bonjour,
Je ne sais pas trop comment comprendre une telle phrase :
« les effets placebos n’affectent aucunement un aspect physiologique 
qui pourrait influencer le cours de la maladie de l’individu traité 
mais principalement son ressenti », quand on sait que le 
conditionnement (qui est, avec les effets d’attente, un des principaux
mécanismes sous tendant les effets placebos et nocebo) peut induire 
une immunosuppression (http://www.fasebj.org/content/16/14/1869.short), une 
dépression respiratoire (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9583767), 
que la naloxone permet d’abolir ou de largement diminuer l’analgésie 
placebo (ce résultat est tellement vieux et répliqué que l’on pourrait
facilement lister une dizaine d’études), que le type de substance 
utilisée pour le conditionnement affecte le type d’effet que 
la naloxone va avoir (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/9870976)…

J’admets que le terme “ressenti” ici est certainement mal choisi, mea culpa; ça ne se passe pas que dans l’imaginaire des gens comme ma phrase le laisse entendre. Reprenons les choses pour tenter de clarifier le problème.

Retour sur les études cliniques

Dans le contexte d’une étude clinique, où on cherche à mettre en évidence l’efficacité d’un traitement, on additionne tout ce qui se produit après la prise d’un placebo sous le terme “effet placebo” (groupe contrôle). Généralement, on y trouve, le cours naturel d’un traitement, la régression à la moyenne (phénomène statistique), les biais liés à l’affectif (faire plaisir à son thérapeute et l’espoir du thérapeute de trouver un traitement efficace), etc.; cf. l’article précédent.

Recherche sur les effets placebos: les travaux de Benedetti

Pour Benedetti (articles cités par le commentateur) et comme le soulignait Pierre dans un autre commentaire, les composantes citées précédemment devraient être éliminées si on veut étudier les effets placebos (toujours au pluriel). Il s’agit alors d’analyser ce qui se passe au niveau du cerveau après la prise d’un placebo. Pour cela les chercheurs ont mis en place des protocoles spécifiques pour étudier ces effets. Par exemple des études croisées, Placebo-, Placebo+,Actif+,Actif-. “+” ici signifiant “je dis au patient que c’est un médicament actif” et inversement pour “-“. On peut aussi utiliser des techniques propres aux neurosciences, par exemple observer le cerveau après la prise d’un placebo.

Les mécanismes d’actions possibles

Benedetti a mis en évidence principalement trois mécanismes d’actions: 1. l’apprentissage, 2. la réduction de l’anxiété, 3. la récompense.

1. L’apprentissage, c’est le conditionnement dont parle le commentateur. Si on dit à un patient, “je vous donne un placebo qui va diminuer telle hormone de votre corps”, il ne se passera rien. Par contre, si on donne un médicament qui véritablement diminue cette hormone et ce, pendant plusieurs jours d’affilés et qu’ensuite on permute avec un placebo, l’effet perdure! Le corps a appris à réagir. C’est l’exemple célèbre du chien de Pavlov. C’est aussi un exemple qui pourrait montrer un réel effet physiologique du placebo, mais personnellement je ne le vois pas comme tel. Le conditionnement implique d’abord l’apprentissage au contact d’une vraie thérapie.

2. La réduction d’anxiété est assez explicite. C’est ce que l’on observe parfois quand on dit à un patient “je vais vous donner un médicament très puissant, votre douleur va diminuer”. Effet bien connu des jeunes mamans et papas!

3. Enfin le phénomène de récompense, exactement ce qui se produit quand on vous félicite d’avoir fait un bon travail (idem pour argent, sexe, nourriture, etc.). On observe alors une libération de dopamine et l’activation de régions particulières du cerveau. Ce phénomène explique par exemple pourquoi les gens vont mieux tout de suite après une piqûre alors que le produit n’a pas encore eu le temps d’agir.

Benedetti souligne que ces effets/mécanismes ne sont pas liés seulement au placebo mais peuvent se produire dans n’importe quel contexte. Le placebo est pour lui un outil qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau. C’est un point qui me semble important.

Quelles sont les implications cliniques?

Benedetti est très mesuré dans ces propos sur d’éventuelles implications cliniques. On pourrait profiter du phénomène d’apprentissage pour diminuer les doses de médicaments chez certains patients: par exemple alterner plusieurs doses de morphines puis un placebo. Mais cela pose de nombreux problèmes éthiques. De plus, ces effets placebos ne sont pas non plus garantis et varient suivant les personnes. Il souligne par contre l’importance de la relation thérapeute/patient. L’effet contextuel doit être pris en compte et faire partie intégrante de la thérapie (mais ne peut pas se limiter qu’à cela).

Défendre une médecine basée sur les preuves

Comme je le soulevais dans ma dernière contribution, il n’est pas rare aujourd’hui de voir des partisans des médecines alternatives au sens large[ref]C’est-à-dire tout ceux qui prétendent avoir un pouvoir thérapeutique sans que ce pouvoir n’ait pu être mis en évidence par la science. J’y inclus donc chamans, guérisseurs, rebouteux, etc.[/ref] s’appuyer sur ces nouvelles recherches pour crier victoire. Leur argument tourne autour du discours suivant: “oui nos thérapies ne sont que des placebos mais vous voyez, les placebos peuvent être très efficaces”. Benedetti, à nouveau, a proposé trois solutions à ce problème:  arrêter les travaux sur ce thème, ne rien faire et laisser même des charlatans opérer librement, communiquer différemment sur le placebo. Les deux premières solutions sont radicales. La dernière implique, à mon sens, d’insister sur le fait le fait qu’on ne peut parler de l’effet placebo au singulier mais seulement au pluriel, que cet effet est principalement observé sur des variables subjectives (comme la douleur), qu’il peut être obtenu simplement par l’empathie du thérapeute, qu’il n’a pas d’impact sur des paramètres biologiques (comme par exemple une tumeur, les capacités respiratoires, etc.) et qu’il n’a rien à voir avec un quelconque pouvoir de l’esprit sur la matière.

Cette réponse s’appuie largement sur une interview de Benedetti que vous pouvez écouter ici.

11 réflexions sur « Effet placebo, quelques précisions »

  1. Pierre de Lasteyrie

    Cher Sham,

    Regarde le dernier Derren Brown et tu seras fixé .

    Si tu ne peux pas reconnaitre que :
    -le stress peut sur le long terme porter préjudice à ta santé,
    -et qu’un placebo en modifiant ta perception du stimulus stressant, puisses te rendre moins stressé et donc prévenir de pathologies ‘psychosomatiques” ou à composante psycho-soma (gastrite, ulcère, asthme, eczéma…) sur le long terme
    C’est renié l’existence des pathologies psycho-somatiques,
    C’est renié l’existence du réflexe de Pavlov qui est la base de l’effet placebo
    C’est clairement faire preuve de mauvaise foi.

  2. sham Auteur de l’article

    1) le stress peut porter préjudice à la santé, je n’ai jamais dit l’inverse.
    2). beaucoup d’autres paramètres influencent le stress, il n’y a pas que le placebo. le monde du travail pour ne prendre qu’un exemple. pour l’asthme que tu cites, une étude montre justement que le placebo n’affecte en rien les paramètres physiques mais seulement le ressenti des patients (terme cette fois justifié). Sans parler des problèmes éthiques que cela posent de baser une thérapie sur les effets placebos.
    3) j’ai discuté du conditionnement de pavlov et son fonctionnement, cela présuppose un apprentissage. c’est aussi un phénomène étudié et utilisé en psychologie scientifique (approches comportementalistes et cognitives)
    4) je ne suis pas de mauvaise foi 😉
    plus sérieusement, beaucoup d’auteurs bien plus calés que moi partagent mon avis: Benedetti, expert dans ce domaine, mais bien d’autres à coloration sceptique (mais qu’est ce qu’un sceptique sinon quelqu’un qui défend l’approche scientifique?) comme Brissonnet, ou l’équipe de Science Based Medicine.

  3. Remi Gau

    Bonjour Sham,
    Merci de ces précisions et notamment de faire référence aux travaux de Benedetti : un peu incontournable sur le sujet et son livre est passionnant.
    Quelques précisions cependant :
    – “Le conditionnement implique d’abord l’apprentissage au contact d’une vraie thérapie.” Pas nécessairement : il existe plusieurs études dans le domaine de la douleur, qui montrent que l’on peut conditionner les gens avec un placebo simplement en réduisant (à leur insu) l’intensité de la stimulation douloureuse pendant le “traitement” (Je mets deux références pour illustration mais il y en a d’autres http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2743811/, http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2277714).
    – Ensuite je continue à penser que la libération d’endorphines dans le cas de l’analgésie placebo reste un assez bon exemple de l’effet de “l’esprit sur la matière”…
    – Et en fait j’éviterai autant que possible d’utiliser la terminologie esprit/matière ou corps/esprit dans ce sujet. Tout d’abord parce que cela pose le débat dans un cadre dualiste et que je ne connais pas beaucoup de gens qui s’y connaissent un peu en neurosciences qui soient de vrais dualistes. Et que dès que j’entends ces mots là j’ai généralement une alerte “new age” qui s’allume quelque part dans mon cerveau. ;-p
    – Une autre raison pour laquelle ces termes me dérangent, ainsi que le fait de dire que l’effet placebo est un effet de l’esprit sur l’esprit, est que face à quelqu’un avec un problème fonctionnel/psychosomatique (bref pour lequel on a du mal à identifier une cause organique) il n’est pas rare que ce genre de discours ou de terminologie soit comprise comme un “Vos douleurs de dos ? Vos examens sont négatifs ! C’est dans votre tête, mon bon monsieur !”. Je sais qu’il est assez cliché de parler d’être à l’écoute du patient, mais pour le coup je suis assez d’accord avec les auteurs de “tempêtes sur l’homéopathie” qui, après avoir taillé un costard en règle à cette pseudo-médecine, suggère qu’une des raisons du succès des homéopathes est justement cette relation patient-soignant qui booste l’effet placebo et que la médecine moderne a peut être un peu trop délaissé.

  4. sham Auteur de l’article

    merci rémi pour les précisions et les liens sur les articles que je ne connaissais pas. peut-être je tombe dans le même travers que ceux qui parlent du pouvoir de l’esprit sur la matière, je cède rarement à la tentation de chercher des titres un peu choc/provoc… bien sûr, il faut prendre en charge les personnes souffrant de maladies fonctionnels et oui pour insister sur la relation patient-soignant. non par contre au mumbo jumbo 🙂

  5. Remi Gau

    “bien sûr, il faut prendre en charge les personnes souffrant de maladies fonctionnels et oui pour insister sur la relation patient-soignant. non par contre au mumbo jumbo :)” : il est ou le bouton “like”

  6. Lilie

    Super blog. Ajouté à mon bookmarks folder savamment intitulé “interesting things” !

    Concernant ton article sur la vaccination, je l’ai trouvé très juste. Enfin, je veux surtout dire que j’ai trouvé qu’il faisait honneur à la démarche scientifique, si dure à appréhender pour certaines personnes “en dehors du domaine”*.
    Lire les commentaires m’a rappelé de vieux souvenirs de dialogues de sourds qui me frustraient tant auparavant.
    Bref, c’est très agréable.

    Bonne continuation

    *ceci n’est absolument pas un jugement de valeur

  7. Ping : Homéopathie, quelques préliminaires | Faisons Avancer Le Schmilblick

  8. Ping : Y’a-t-il un hypnotiseur dans la salle?! | Sham and ScienceSham and Science

  9. Sari-K

    Bonjour Sham et merci pour la qualité de tes articles. Cela fait quelques temps que je m’intéresse à la pensée critique et que je parcours les sites décrivant et dénonçant les pratiques frisant le charlatanisme et l’escroquerie.

    En particulier je me régale sur http://attrape-nigauds.charlatans.info/index.shtml qui recense les produits très connus du grand public dont l’inefficacité a été prouvée scientifiquement.
    Je me flattais de n’avoir jamais cru à la majorité des produits listés, mais j’ai été surprise pour quelques autres.

    De retour à la maison, j’ai fait part à mon compagnon de toutes ces habitudes familiales, qui ne servent à rien à part coûter de l’argent, dont j’ai enfin la preuve de l’inefficacité et dont j’allais m’empresser de mettre aux oubliettes. Il m’a dit de manière désabusée : “Tu devrais arrêter d’être aussi critique, sinon tu feras quoi le jour où tu auras besoin d’un bon placebo?” L’argument a fait mouche de la part de quelqu’un qui a le placebo facile, surtout avec le cookie-qui-résout-tout ou le bisou-qui-guérit.

    Serai-je condamnée en tant qu’apprentie sceptique à ne jamais profiter des bienfaits du miel-qui-lave-le-rhume-de-cerveau ou du doudou-qui-dissout-les-courbatures?

  10. sham Auteur de l’article

    @Sari merci pour le lien! je connaissais charlatans.info mais pas cette page. pour l’effet placebo, on n’a pas besoin de pilule placebo pour qu’il agisse. l’écoute, l’attention, l’empathie, tout ça peut déclencher l’effet placebo (parmi les multiples effets qui se cachent derrière ce mot). donc pas de panique, il y a un peu de placebo même pour les sceptiques endurcis 😉

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