Peurs et conséquences

Faites-vous partie de ces gens qui ne mangent que du bio par peur des pesticides et qui enchaînent les barbecues l’été? Êtes-vous parmi ces personnes qui préfèrent ne pas utiliser de micro-ondes tout en fumant clopes sur clopes pendant la journée? Faites-vous partie de ceux qui évitent de prendre l’avion et préfèrent voyager en voiture? Ou encore de ceux qui passent leur temps à bronzer et qui refusent de se faire vacciner?Et si vous ne vous reconnaissez dans aucun de ces cas, êtes-vous de ceux qui se moquent des gens qui ont des peurs que vous estimez irrationnelles? J’avoue que j’en faisais partie jusqu’à la lecture du livre de David Kopeik How Risky Is It, Really? qui a largement inspiré cet article (ainsi que les analyses de Gérald Bronner plus précisément). Car la force de ce livre, outre la simplicité de l’écriture et les nombreux exemples cités, est justement de rappeler que la moquerie ou l’ironie ne sont pas très productives dans les débats où la peur est un facteur incontournable (nucléaire, vaccins, OGM, ondes, pesticides, etc.).

Opposer raison et émotion est au fond stérile. Les gens ont peur, c’est un fait; il s’agit donc de comprendre cette peur, l’analyser et éventuellement y répondre. Les véritables questions pourraient être: cette peur est-elle justifiée? A-t-elle des conséquences inattendues? Bénéfiques ou non? Individuellement? Collectivement? Faut-il la renforcer ou bien au contraire la prévenir? Comprendre les mécanismes de la peur est aujourd’hui essentiel, il me semble, si l’on veut tenter de mener un débat raisonné sur les choix à venir dans notre société.

Un petit tour du côté du cerveau

“Je pense donc j’ai peur” pourrait assez bien caractériser la manière dont notre cerveau – et plus particulièrement l’amygdale[ref]La page wikipédia liste un certains nombres d’articles à ce sujet pour les plus curieux.[/ref] – semble fonctionner. Certains pensent que cette prédominance de l’amygdale provient de notre héritage évolutionniste. Il semble effectivement raisonnable de penser que, dans un monde truffé de dangers, réagir instinctivement puisse donner un certain avantage de survie. Des expériences amusantes mettent d’ailleurs en avant cette caractéristique. On sait par exemple que le cerveau humain reconnait bien plus vite un visage colérique parmi des visages souriants que l’inverse. De même, des personnes arachnophobes réagissent bien plus rapidement à la vue d’une araignée dans une série de fleurs qu’à celle d’un serpent et inversement si ces personnes sont ophiophobes, fascinant n’est-ce pas!?

Les éléments influençant la sensation de peur

Le cerveau est donc façonné de sorte que dans un premier temps nous ayons peur et que dans un second temps seulement nous laissions place à la réflexion. Mais ça n’est pas tout: la réflexion elle-même est passablement brouillée par un certain nombre d’éléments qu’il faut garder en tête si l’on veut ne pas laisser la peur l’emporter plus que de raison…

  • la personnalisation: grand classique et favoris des médias (story telling). Personnaliser un risque, c’est à coup sûr augmenter la peur (et l’audience…). Cela peut être parfois utilisé à des fins de préventions, par exemple, contre l’alcool au volant. La personnalisation d’un phénomène est d’autant plus efficace si la personne arrive à s’identifier avec le cas exposé ou s’il s’agit d’un problème touchant les enfants. Un parent qui vient d’avoir un bébé sera très sensible aux témoignages provenant de sites anti-vaccins concernant les enfants contrairement à un célibataire endurci.
  • le rapport risque/bénéfice et l’incertitude: on sait qu’il faut à peu près 2 fois plus de bénéfices pour compenser une perte, comme le rappelle régulièrement Gérald Bronner; il est donc très facile de jouer sur les peurs en insistant sur les risques sans parler des bénéfices. D’autant plus que le risque nul n’est pas démontrable scientifiquement; même l’eau peut être mortelle si l’on en boit trop. L’incertitude est donc une donnée intrinsèque à la science qui, je le rappelle est rarement: 1- une affaire close 2- des certitudes proclamées[ref]Cela ne veut pas dire qu’on ne peut jamais être catégorique en science[/ref] surtout quand on traite de problèmes multifactoriels, aux effets lents et souvent faibles (par exemple, l’exposition aux pesticides).
  • le contrôle et le choix: l’impression de contrôler et le fait de pouvoir choisir diminuent la perception du risque. L’exemple classique reste la voiture qui, on le sait, est bien plus dangereux que d’autres modes de déplacements pourtant ressentis comme moins sûr (avion). Quant au choix, la cigarette est un cas classique de ce biais de pensée. Pour prendre un autre exemple, imaginez qu’on impose près de chez vous la construction d’une nouvelle décharge pour les déchets radioactifs et comparez votre réaction à celle que vous auriez si on vous permettait d’avoir un droit de véto. C’est l’expérience faite en Finlande avec succès (un village a accepté d’accueillir la décharge[ref]Exemple cité dans le livre de Ropeik.[/ref]).
  • la nature vs l’industrie. Il faut savoir que tout ce qui est naturel n’est pas bon pour la santé. Par exemple, l’exposition au soleil semble bien moins dangereuse que de manger des pommes traitées avec plus d’une dizaine de pesticides. Pourtant l’exposition au soleil est la principale cause des cancers de la peau et son effet est largement mesurable. L’effet des petites doses dues aux pesticides est loin d’être aussi important malgré les nombreux documentaires alarmistes sur le sujet[ref]Attention, je ne cherche pas à dire que l’exposition aux pesticides est sans danger mais que l’ampleur du risque pris est sans commune mesure comparée aux séances de bronzages pendant l’été.[/ref], sans parler du fait que la plupart des pesticides sont d’origines naturelles[ref]99% selon cette étude mais fortement critiquée ici.[/ref].
  • la confiance: si la confiance est perdue, la peur n’en est que plus grande. Quand Tepco communique sur sa centrale à Fukushima, il ne convainc personne à part peut-être quelques actionnaires. Plus généralement, les informations provenant des autorités, des industries et plus récemment des institutions sanitaires gouvernementales (AFSSA, ANSES, EFSA, etc.) n’ont pas vraiment la côte auprès du grand public. Cette perte de confiance ne s’explique d’ailleurs pas seulement du fait des scandales sanitaires ou des bourdes gouvernementales (comme l’épisode de la grippe aviaire). Elle résulte aussi des lois garantissant le secret commercial (tout ce qui est inconnu fait peur), sans oublier le goût prononcé du public pour les théories conspirationnistes attisé par la désinformation régnante (comme par exemple le mythe du nuage radioactif s’arrêtant aux frontières).
  • les conséquences possibles: plus les conséquences sont catastrophiques, voire imaginaires[ref]Une centrale nucléaire ne peut pas exploser comme une bombe atomique.[/ref], plus la peur associée est grande et ne tient pas compte de la probabilité qu’elle se produise (nucléaire, avion).
  • la manière de rapporter des faits. C’est aussi une méthode très puissante pour manipuler nos émotions, comme par exemple jouer avec les probabilités – comparez une étiquette qui dirait 75% de viande maigre avec une autre disant 25% de viande grasse: l’information est strictement identique mais le cas proposant 75% de viande maigre est beaucoup plus attractif – le choix du vocabulaire, les adjectifs utilisés, les intonations, etc. Une grande vigilance est recommandée quand un risque relatif est donné sans préciser le risque absolu et inversement. Observez par exemple cette donnée (inventée pour le bien de la cause): le médicament X augmente le risque de faire la terrible maladie Y de 100% (risque relatif). Dramatique n’est-ce pas! Considérez la même info en risque absolu: 1 personne sur 100000 développe Y, si ces personnes prennent toutes le médicament X, 2 personnes sur 100000 auront Y. Beaucoup moins terrifiant. Il faut donc toujours tenter de connaître le risque relatif et le risque absolu.

I don't believe it

Avoir peur, où est le problème? 

Le problème n’est pas dans le fait d’avoir peur – si on néglige le cas des phobies. Le problème réside dans le décalage entre cette peur et la réalité du risque devient trop important. Des situations absurdes, mises en exergue par mes questions dans l’introduction de cet article, peuvent alors survenir. De plus, nous pouvons observer un dernier effet qu’on pourrait dénommer “effet boule de neige”, à cause des précautions de plus en plus importantes qui peuvent être prises pour répondre à certaines peurs non fondées. Par exemple, en ce qui concerne l’exposition aux ondes, les normes sont constamment révisées à la baisse sans que cette baisse soit fondée scientifiquement. Cette décision purement politique est alors considérée par le grand public comme une preuve d’un danger potentiel et on exigera alors des normes encore plus restrictives et ainsi de suite. Mais à trop tirer sur la corde, on arrive aussi à créer de véritables problèmes sans fondement réels, comme le cas des hyper sensibles aux ondes.

Application pratique: documentaire sur les jouets d’enfants

Je suis tombé par hasard sur un nouveau documentaire à charge contre les polluants “chimiques” se trouvant dans les jouets d’enfant. Il est passé sur Arte mais je n’arrive plus à remettre la main dessus. Ce n’est pas très important car le sujet de ce paragraphe n’est pas le doc en lui-même – je suis d’ailleurs le premier à penser que l’industrie du jouet devrait être pensée différemment – mais les techniques utilisées dans de nombreux documentaires de ce genre afin de faire peur. Les mêmes thèmes reviennent constamment, sans parler des méthodes propres à l’audiovisuel: musique anxiogène, position de la caméra, etc. Le constat reste néanmoins assez triste: les “lanceurs d’alertes” ne se soucient guère de la science et de l’humilité dont on parle depuis quelques temps sur ce blog. Dans ce documentaire, on retrouve donc la menace sur l’enfant associé à l’innocence, on parle de produits chimiques (non naturels donc forcément toxiques), on y fait intervenir des scientifiques de centre “indépendants” qui nous annoncent une multitude de substances se trouvant dans les jouets et connues pour être cancérigènes (ah le cancer, un best seller). On apprend en filigrane que les doses observées sont inférieures aux normes préconisées. On rappelle alors le principe de précaution (préparation de l’effet boule de neige). On revient une nouvelle fois sur le cancer pour affirmer qu’on observe une augmentation incroyable des cancers dans nos sociétés depuis….depuis quand d’ailleurs? On oublie de parler de tout rapport risque/bénéfice (s’il y en a). Pour finir, on joue la carte du méchant capitaliste contre les gentils consommateurs (gagnant à tous les coups parce que c’est vrai! mais tellement utilisée que les vrais problèmes sont occultés).

Cas particulier: des solutions pour les phobiques

Ce n’est pas le but de cet article mais je tenais à signaler rapidement qu’il existe des thérapies, dont l’efficacité est démontrée, qui permettent de soigner des phobies. Ce ne sont évidemment pas des pilules magiques mais ces thérapies sont courtes (quelques mois) et individualisées

 

 

PS: Bonne année à tous! Mes bonnes résolutions pour l’année prochaine, passer à deux articles…par mois, faut que je me consacre plus activement à mon thème de recherche, les collègues commencent à s’inquiéter 🙂

3 réflexions sur « Peurs et conséquences »

  1. Ping : Vaccination: conséquences funestes de la peur | Sham and Science

  2. Philippe

    Mon commentaire sera critique.
    Si j’ai bien compris, vous participez à la lutte contre le “principe de précaution”, cette notion inscrite dans une loi qui permet aux citoyens d’avoir un minimum de pouvoir contre les puissances financières et industrielles. Une lutte menée, selon vous, au nom du combat contre les peurs irrationnelles

    Dans cette lutte, vous dites vous inspirer notament de Gérard Bronner. J’y reviendrais peut-être dans un autre commentaire.

    Je ne peux pas reprendre tous vos exemples, mais en voici un. Je vous cite, à propos du <>.

    Concernant ce “mythe” (qui n’en est pas un) vous mettez en lien un article de Médiapart. Je me permets de dire que cet article a été écrit par quelqu’un qui visiblement n’a rien compris au film, car il cite principalement et presque uniquement le journal “Le figaro” de l’époque, comme si ce journal était lu par tous les Français et reflétait le sentiment de tous les Français sur cette affaire.

    En résumé ce qui c’est passé :

    1 – Accident annoncé à la TV.
    2 – Nuage de particules radioactives annoncé à la TV, et selon la météo il n’atteint pas la France et ne l’atteindra probablement pas.
    Les doutes toutefois sont immédiat dans les médias: comment peut-il par exemple y avoir des mesures de recommandations prises en allemagne et pas en France ?
    3 – Découverte que le nuage a effectivement recouvert la France et que les autorités ne l’on pas dit
    4 – Les Français gardent en souvenir un mensonge d’Etat par ommission.

    Evidemment, les autorités n’ont jamais dit (officiellement) que le nuage n’avait pas atteint la France: c’est l’argument de l’article de Médiapart. Mais le problème, c’est qu’elles n’ont jamais dit que le nuage avait survolé la France, elles sont restées silencieuses alors qu’elles savaient, puisqu’au moins dans les centrales nucléaires les détecteurs ont immédiatement signalé l’excès de radiocativité dès le 1er mai. Il y a d’ailleurs des preuves que les autorités savaient.

    Quelques liens pour se remettre dans l’ambiance:
    Bulletin météo INA (30 avril 86). Noter : pas de retombées sur la France soit-disant protégée par anticyclone.
    https://www.youtube.com/watch?v=s4q91IZGQcY

    Journal télévisé, météo au 1er mai. Pas encore de retombées sur la France (arrêtées en Italie et en Suisse) et une perturbation va ensuite nous protéger.
    https://www.youtube.com/watch?v=_DaBH7yWTA4 ((sauter à 7:04 pour la météo)

    Données IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) du 30 avril au 9 mai 1986. Contrairement aux données météo, la France est quasi recouverte de retombées du 1er au 2 mai. La sureté nucléaire ne pas l’ignorer. Alors, les gens ont-ils eu tort de penser qu’on leur cachait quelque chose ?
    https://www.youtube.com/watch?v=lwxNfy79gl4

    TF1 2011 mensonge avéré, au moins selon ces journalistes. Mais peut-être sont-ils mal informés eux-aussi.
    https://www.youtube.com/watch?v=CJP34C5zgYw

    Enfin, ce documentaire. D’accord, il est uniquement à charge, mais pour autant il apporte des éléments concrets. https://www.youtube.com/watch?v=Gft8NOXtcFg&list=RDGft8NOXtcFg#t=9.

    En résumé, il n’y a pas eu de mythe. Le nuage de particules a bien recouvert la France, et ce fait a bien été dissimulé par l’autorité de sureté nucléaire, et la météorologie nationale a donc inventé une protection anticyclonique qui n’avait pas eu lieu.

    L’article de Médiapart, peut-être involontairement, tente ici de ré-écrire l’histoire.

  3. Philippe

    Une phrase a sauté dans mon commentaire précédent. Je vous citait :
    “… goût prononcé du public pour les théories conspirationnistes attisé par la désinformation régnante (comme par exemple le mythe du nuage radioactif s’arrêtant aux frontières)”
    C’est à propos de cette phrase que je commentais.

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