
Mathieu Billon et Tony Jazz se sont fait connaitre à l’Icomtec grâce leur intervention lors de la première journée Icom’Together en mars 2013. Ils avaient littéralement soulevé l’enthousiasme du public étudiant en présentant leur expérience en matière de design sonore. L’annonce par Tony Jazz de la sortie d’un ouvrage consacré à ce thème, On air marketing, m’avait donc mis en appétit. J’ai mis sa lecture au menu de mes soirées. Et j’ai bien fait : l’ouvrage de Mathieu Billon, Tony Jazz, Kizitho Ilongo dirigé par Frédéric Bousquet est excellent..
Une solide synthèse scientifique
L’ouvrage est excellent d’abord parce qu’il procède à un large tour d’horizon des résultats de recherche engrangés depuis plusieurs décennies sur l’influence du son et de la musique sur le comportement des individus, dans le domaine des sciences de l’information et la communication, ou des sciences de gestion par exemple. Il intéresse donc le chercheur qui n’a pas investi profondément le sujet en lui permettant une remise à niveau étoffée, accompagnée des références de publication en usage. Le premier point du chapitre 2, qui adopte l’angle de vue de la psychologie sociale et la sémiologie, est de ce point de vue significatif. Les auteurs citent par exemple les sept fonctions de la musique identifiées par Julien (1989) dont l’intéressante proximité avec les six fonctions du langage établies par Jakobson n’échappe pas au lecteur.
Fonctions du langage (Jakobson) |
Fonctions de la musique (Julien, 1989) |
Référentielle |
Affective : la musique met en jeu l’affectif de l’individu par rapport à la musique elle-même |
Expressive |
Démarcative : la musique permet de se démarquer du contexte situationnel global dans lequel se trouve l’individu |
Poétique |
Poétique : la musique met en jeu un savoir-faire et un savoir communiquer centrés sur le produit |
Conative |
Conative : la musique agit sur l’intention de comportement d’achat |
Phatique |
Décorative : la musique embellit le message informationnel |
Métalinguistique |
Métalinguistique. La musique permet de reformuler le message grâce au langage musical |
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Implicative : la musique facilite la mémorisation des messages |
Par ces références l’ouvrage intéresse aussi les étudiants qui, habituellement, sont formés au design uniquement dans sa dimension visuelle. Approches sémiologique, sociologique, psychologique, publicitaire : les éclairages apportés prennent l’allure de briques complémentaires des cours habituels. S’y ajoute une solide bibliographie qui pourrait nourrir un mémoire de master par exemple.
Un ouvrage à mettre entre les mains des professionnels
Contrairement à ce que pourrait donner à penser le premier point de cette recension, l’ouvrage intéresse également les professionnels parce qu’il n’en reste pas au stade de l’exercice de synthèse universitaire. Il s’appuie sur l’expérience de l’agence On Air qui fournit pour l’occasion une série d’exemples à l’appui d’une démarche qui consiste à signer par du son, qu’il prenne une allure musicale ou non, l’identité d’un produit, d’une entreprise, d’un événement… bref de tout ce qui va être proposé à un public. Le chapitre 4, Design sonore et applications stratégiques, prend l’allure d’un ouvrage de consultants, avec cas pratiques et schéma du sablier marketing illustré.
Certes, le marketing polysensoriel n’est pas né d’hier. On sait le soin que les producteurs apportent au son que produit la bouteille d’eau minérale qui craque lors que nous la prenons en main, au son de la portière de voiture que l’on ferme, aux sons associés aux fonctions de nos smartphones. Le silence n’est plus l’objectif ultime – même s’il peut être une signature. L’idée de design sonore n’est donc pas neuve, mais l’ouvrage de Billon, Jazz, Ilongo et Bousquet éclaire habilement ce que beaucoup laissent encore dans l’ombre, par méconnaissance ou par malice afin de nous séduire sans avoir l’air d’y toucher.
Marshall McLuhan a bouleversé nos analyses en montrant que le médium est le message. L’ouvrage décortique le son en tant que medium et message en réussissant à ne jamais être ennuyeux, ni abscons, ni pédant. J’en recommande donc évidemment la lecture (et l’achat, cela fera plaisir aux auteurs).
Christian Marcon