Incertain Stanislas : François Jakobiak s’amuse

On connaît François Jakobiak comme l’un des grands professionnels de l’intelligence économique française, comme l’auteur d’ouvrages méthodologiques et de terrain que tous les étudiants ont lus, comme conférencier, comme consultant. Je le connais aussi pour avoir été l’un des membres de mon jury de thèse, un membre qui m’a fait du bien au moral par les propos très enthousiastes que lui avait suggérés ma thèse. Qu’un homme de terrain de son niveau trouve que le travail d’un doctorant ouvrait une nouvelle voie pour l’intelligence économique à côté des travaux des professionnels et des militaires, c’était un beau compliment dont, dix-sept ans plus tard, je me souviens encore.incertain stanislas

Avec son nouveau roman Incertain Stanislas, François Jakobiak nous présente encore une autre facette de ses talents. Il se fait plaisir à tricoter une histoire à la frontière entre intelligence économique et espionnage, entre pure fiction et mise en scène de lui-même, sans que jamais le lecteur sache bien s’il y a une part d’autobiographie ou pas dans l’histoire.

Stanislas, professionnel de l’intelligence économique retraité sans l’être, marié à l’une de ses anciennes étudiantes séduite par son charisme, joue un jeu complexe et dangereux dont il n’est pas sûr qu’il soit le maître, si talentueux soit-il. Veille, réseaux, collusion, éthique, coups tordus, policiers aux aguets, avocat malin : tous les ingrédients sont réunis. Et si François Jakobiak n’a pas la plume des romanciers de métier, son intrigue se suit avec curiosité et l’on s’attache à son personnage central.

Un ouvrage à lire au premier degré pour le plaisir et à reprendre pour une lecture au second degré afin d’en extraire les leçons d’un maître de l’intelligence économique.

On air marketing. Chronique d’un ouvrage pertinent

Couverture On air marketing

Mathieu Billon et Tony Jazz se sont fait connaitre à l’Icomtec grâce leur intervention lors de la première journée Icom’Together en mars 2013. Ils avaient littéralement soulevé l’enthousiasme du public étudiant en présentant leur expérience en matière de design sonore. L’annonce par Tony Jazz de la sortie d’un ouvrage consacré à ce thème, On air marketing, m’avait donc mis en appétit. J’ai mis sa lecture au menu de mes soirées. Et j’ai bien fait : l’ouvrage de Mathieu Billon, Tony Jazz, Kizitho Ilongo  dirigé par Frédéric Bousquet est excellent..

Une solide synthèse scientifique

L’ouvrage est excellent d’abord parce qu’il procède à un large tour d’horizon des résultats de recherche engrangés depuis plusieurs décennies sur l’influence du son et de la musique sur le comportement des individus, dans le domaine des sciences de l’information et la communication, ou des sciences de gestion par exemple. Il intéresse donc le chercheur qui n’a pas investi profondément le sujet en lui permettant une remise à niveau étoffée, accompagnée des références de publication en usage. Le premier point du chapitre 2, qui adopte l’angle de vue de la psychologie sociale et la sémiologie, est de ce point de vue significatif. Les auteurs citent par exemple les sept fonctions de la musique identifiées par Julien (1989) dont l’intéressante proximité avec les six fonctions du langage établies par Jakobson n’échappe pas au lecteur.

Fonctions du langage (Jakobson) Fonctions de la musique (Julien, 1989)
Référentielle Affective : la musique met en jeu l’affectif de l’individu par rapport à la musique elle-même
Expressive Démarcative : la musique permet de se démarquer du contexte situationnel global dans lequel se trouve l’individu
Poétique Poétique : la musique met en jeu un savoir-faire et un savoir communiquer centrés sur le produit
Conative Conative : la musique agit sur l’intention de comportement d’achat
Phatique Décorative : la musique embellit le message informationnel
Métalinguistique Métalinguistique. La musique permet de reformuler le message grâce au langage musical
Implicative : la musique facilite la mémorisation des messages

 Par ces références l’ouvrage intéresse aussi les étudiants qui, habituellement, sont formés au design uniquement dans sa dimension visuelle. Approches sémiologique, sociologique, psychologique, publicitaire : les éclairages apportés prennent l’allure de briques complémentaires des cours habituels. S’y ajoute une solide bibliographie  qui pourrait nourrir un mémoire de master par exemple.

Un ouvrage à mettre entre les mains des professionnels

Contrairement à ce que pourrait donner à penser le premier point de cette recension, l’ouvrage  intéresse également les professionnels parce qu’il n’en reste pas au stade de l’exercice de synthèse universitaire. Il s’appuie sur l’expérience de l’agence On Air qui fournit pour l’occasion une série d’exemples à l’appui d’une démarche qui consiste à signer par du son, qu’il prenne une allure musicale ou non,  l’identité d’un produit, d’une entreprise, d’un événement…  bref de tout ce qui va être proposé à un public. Le chapitre 4, Design sonore et applications stratégiques, prend l’allure d’un ouvrage de consultants, avec cas pratiques et schéma du sablier marketing illustré.

Certes, le marketing polysensoriel n’est pas né d’hier. On sait le soin que les producteurs apportent au son que produit la bouteille d’eau minérale qui craque lors que nous la prenons en main, au son de la portière de voiture que l’on ferme, aux sons associés aux fonctions de nos smartphones. Le silence n’est plus l’objectif ultime – même s’il peut être une signature.  L’idée de design sonore n’est donc pas neuve, mais l’ouvrage de Billon, Jazz, Ilongo et Bousquet éclaire habilement ce que beaucoup laissent encore dans l’ombre, par méconnaissance ou par malice afin de nous séduire sans avoir l’air d’y toucher.

Marshall McLuhan a bouleversé nos analyses en montrant que le médium est le message. L’ouvrage décortique le son en tant que medium et message en réussissant à ne jamais être ennuyeux, ni abscons, ni pédant. J’en recommande donc évidemment la lecture (et l’achat, cela fera plaisir aux auteurs).

Christian Marcon