« Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? » C’est sur cette vaste question que Robin Cousin s’est penché durant trois mois. Durant sa résidence à l’Université de Poitiers, le primé de l’excellent Profil de Jean Melville nous a accordé un riche entretien. Et s’il n’y avait qu’une chose à retenir au travers de cet échange, c’est qu’il amène naturellement à s’interroger sur ce que doivent être nos limites avec les progrès technologiques d’aujourd’hui. Du crayon jusqu’aux étoiles, la visite guidée dans les réflexions de ce brillant auteur s’avère passionnante.

Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? / Illustration Robin Cousin pour résidence à l’Université de Poitiers
Bonjour Robin. Tu arrives à la fin de ta résidence au sein de l’Université de Poitiers.* Trois mois de rencontres, d’ateliers, de conférences et de préparation d’un livre autour du thème qu’est « Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? » As-tu trouvé des éléments de réponse à une telle question ?
La question choisie était volontairement vaste et en même temps très simpliste. Je ne m’attendais pas à avoir réellement de réponses. En revanche, je me suis laissé surprendre par une chose. Jusqu’à présent, j’étais très concentré sur les sciences dures (physique, mathématiques, etc.) en me disant qu’on pouvait s’appuyer sur elles face aux problèmes que l’on rencontre actuellement. Mais, lors de cette résidence, je me suis aperçu que les sciences humaines avaient tout autant leur rôle à jouer. Cette découverte a provoqué un nouveau regard et m’a donné un déclic sur ce que j’allais raconter dans mon livre.
Tes récits antérieurs attestent l’intérêt que tu voues à ce sujet. En 2017, tu sortais Le profil de Jean Melville dont l’histoire mettait en avant ces progrès technologiques bouleversant considérablement le quotidien des utilisateurs. Avec cette sensation qu’ils ne sont pas toujours exploités à bon escient. Ne pointes-tu pas là un décalage entre ce que la science apporte et la façon dont l’homme s’en empare ?
Oui c’est ça. Souvent on confond science et technologie. Il n’est pas rare qu’on me demande si j’ai peur des prouesses scientifiques. Pas du tout. Bien au contraire. Pour moi la science c’est la connaissance et la recherche de cette connaissance. En quoi cela pourrait-il être dangereux ? Ensuite, vient la technologie. C’est à ce moment là que peuvent intervenir la politique et les problèmes de société parce que l’homme va l’orienter de telle ou telle manière. Ce point précis m’intéresse de plus en plus.
Est-ce invraisemblable d’imaginer que demain des lunettes connectées régissent nos vies et décident ainsi de ce que serait notre bonheur après avoir entré nos propres données ?
En fait, dans Le profil de Jean Melville, ces lunettes fonctionnent très bien. C’est le produit parfait. Dans la réalité, j’ai du mal à croire que cela puisse exister. Malgré cela, tout ce que tu vois dans la BD n’est pas tout à fait extrapolé. Tous ces détails décrits et gérés par les lunettes sont déjà pensés par des entreprises qui travaillent sur des applications dédiées. Je m’en suis rendu compte quand je faisais mes recherches. À chaque fois que je pensais inventer un nouveau concept, je m’apercevais qu’il était vraiment développé. Dans ma fiction, ces inventions sont assez révolutionnaires. J’illustre une intelligence hyper aboutie. Un logiciel qui comprend le monde autour de lui et qui arrive à le gérer, à le guider. Plusieurs start-ups comme celles de la Silicon Valley, s’emploient pour atteindre cette perfection. Pour l’instant, ces applications auxquelles je peux faire référence ne marchent pas si bien que cela, bien qu’on veuille prétendre le contraire. Je pense qu’il y a beaucoup de fantasmes là-dedans. Maintenant, vont-elles y arriver ? En tout cas, elles en ont envie. Mais je voulais pointer du doigt cette idéologie et montrer qu’elle pouvait être dangereuse et mortifère.
Te sens-tu comme quelqu’un d’hyper-connecté dans ton quotidien ?
Oui. Trop. J’aimerais l’être moins mais c’est difficile. J’arrive quand même à me refuser certaines choses. Par exemple, pas d’internet sur mon téléphone. Je suis suffisamment connecté sur mon ordinateur. J’ai aussi installé récemment un plugin assez intéressant sur mon navigateur. Lequel a pour but d’évincer toutes sollicitations visuelles issue de grands sites (Facebook, Google, Youtube…) et permettre ainsi l’expérience la plus épurée de la page consultée. Nous sommes tellement parasités par tout ce qui est proposé autour de l’outil qu’on en est à trouver un moyen pour les contourner. Alors qu’au départ, cela devrait être légiféré. Toutes ces manipulations au travers de ces logiciels ou ces publicités deviennent malsaines pour l’utilisateur. Je prends souvent l’exemple de ces recherches faites pour nous rendre accros aux machines à sous. C’est le même principe pour toutes ces applications. Ce sont des stimulations visuelles ou sonores qui incitent les gens à revenir intarissablement. Et le plus fou, c’est que tout ça est très réfléchi dans les entreprises. C’est de plus en plus intellectualisé par ces personnes qui veulent créer cette nouvelle notion qu’on appelle la pollution attentionnelle. Cette façon de guider notre cerveau vers des publicités bien ciblées, le maintenir constamment en « éveil ». Il y a tant d’exemples en ce sens dans notre quotidien et cela devient très nocif si on ne fait pas attention. Alors bien sûr, il ne faut pas éluder cet excellent outil qu’est internet avec un apport considérable pour développer sa créativité ou pour accéder à la culture. Tout ce que propose la technologie d’aujourd’hui est également formidable et je suis le premier à m’y intéresser. Mais je me suis aussi rendu compte au fil de mes recherches que toutes ces avancées se faisaient au détriment de l’écologie et participaient à la destruction de la planète. Avant, la seule raison qui ne me faisait pas acheter le dernier smartphone était le côté financier. Maintenant, c’est également parce que je vois toute la nocivité qui se cache derrière et cela ne me plaît pas du tout.
Et puis il y a Le Chercheur Fantôme, un album de 2013 qui vient d’être réédité en version augmentée. Au-delà de nombreux clins d’œil tel le prestigieux problème P = NP, ton histoire résonne comme un hommage à ces scientifiques qui se dévouent corps et âme à leurs recherches…
Au début des années 2010, j’étais tombé sur un documentaire passionnant. Après l’avoir vu, plein de choses m’ont parues évidentes pour cette BD (une scène en est d’ailleurs complètement extraite). Ce film a donc été très important pour raconter cette histoire, tout comme l’un de ses participants, le physicien Stéphane Douady. À l’époque, je lui avais envoyé un mail pour le rencontrer et il m’a invité dans son labo où j’ai pu passer une après-midi avec lui et ses élèves. Cela a été un riche moment d’échanges. Une fois Le Chercheur Fantôme terminé, je lui ai envoyé le livre qu’il a apprécié même s’il a été un peu gêné par certains passages où le personnage qui le représente met en exergue ses propres recherches, et s’approprie aussi celles de ses étudiants. Mais il avait aimé mon approche. À ce moment là, Stéphane était en train de monter un projet d’école et il m’avait affirmé que Le Chercheur Fantôme avait résonné sur ses réflexions concernant la méthode à appliquer pour créer une émulation parmi les chercheurs.
Estampiller Robin Cousin comme un auteur BD de thriller scientifique, cela te convient-il ?
Non ! (rires) Non, parce que j’essaie de ne pas m’enfermer là-dedans. Même si, lorsqu’un domaine te passionne, il est plus confortable d’y trouver ton inspiration pour tes projets. Donc il est vrai que ce sont mes premières bande dessinées et on aurait tendance à penser que je ne ferai que ça. Le profil de Jean Melville, à la base, était juste un polar. Pour Le Chercheur Fantôme, le côté « enquête » est aussi présent mais plutôt comme utilisation métaphorique de la recherche (même si on ne sait pas quoi, on recherche quelque chose…). Et dans Des milliards de miroirs, mon nouvel album, bien qu’il y ait un peu de suspens, ce n’est pas un thriller car j’avais envie de sortir de ce genre assez contraignant. Concernant les sciences, c’est un sujet qui est très présent en ce moment dans mes créations mais je suis quelqu’un qui me lasse très vite et je sais qu’à un moment donné, j’aurai fait le tour. Mais ce n’est pas encore le cas pour l’instant.
Est-ce que tu pourrais également changer ta partie graphique ou as-tu trouvé une certaine identité ?
Il faut savoir que le dessin est le côté du travail en bande dessinée qui est le plus difficile pour moi. Contrairement à certains de mes amis qui passent leur temps à dessiner, ce n’est pas mon cas. Ce n’est pas que je n’aime pas cet exercice mais j’ai un rapport un peu conflictuel avec lui. Souvent, je me retrouve dans des situations qui sont imposées par mon scénario et où je me dis : « Comment je vais pouvoir dessiner ça ? ». Aujourd’hui, je cherche de plus en plus un rendu qui soit proche de l’écriture. Celui où ton crayon n’a plus qu’à illustrer instinctivement ce que tu racontes. Je ne sais pas si j’arriverais un jour à cet aboutissement. Mais petit à petit, j’avance et cela s’affirme. Et bien que cela reste encore la partie où je suis le moins content à la fin de mes livres, j’arrive à ressentir peu à peu une certaine satisfaction graphique. En revanche, il y a quelque chose que j’aime bien réaliser dans mes différents projets. C’est que chacun d’entre eux offre son identité visuelle. Par exemple, dans Le Chercheur Fantôme, il y a cet univers assez géométrique. Grâce à un décor que j’avais préalablement conçu en 3D, je pouvais me « balader » dedans et c’était super intéressant. Pour Le profil de Jean Melville, les lunettes ramènent à la réalité au moyen de couleurs qui me permettaient d’inventer de nouvelles choses. J’étais assez content de trouver ce jeu visuel. Et dans Des milliards de miroirs, j’ai utilisé du lavis, qui est plus ou moins de l’encre diluée donnant la possibilité de réaliser différentes valeurs de dégradés. Avec cette technique j’ai pu intégrer des images provenant de l’espace et qui sont un peu floues. Tu pourras le constater notamment dans certaines doubles-pages avec des aspects un peu étranges. J’aime beaucoup apporter une petite idée comme celle-ci dans mes livres.
Dans tes ouvrages, il est aussi question de valeurs humaines comme l’amitié ou l’entraide. Un bon moyen de s’attacher à tes personnages. Est-ce important pour toi de leur donner une certaine sensibilité ?
Oui et c’est quelque chose que j’ai compris en travaillant avec Grégory Jarry (cofondateur des éditions FLBLB) qui me suit sur mes projets et qui est scénariste. Depuis que je travaille avec lui, il me répète souvent que ce qui fait une bonne histoire c’est un bon personnage. C’est avant tout ce que le lecteur va suivre. Quand je parle des sciences, ce qui m’intéresse c’est de montrer les impacts qu’elles peuvent avoir sur l’homme. Ainsi, le meilleur moyen est de détailler les relations entre les personnages qui sont influencés par la science ou la technologie. Dans Des milliards de miroirs, je mets en scène six protagonistes qui ne se connaissent pas tous et certains d’entre eux ne se verront d’ailleurs jamais. J’ai voulu montrer leurs différentes réactions face à la découverte d’une civilisation extraterrestre. Ce qui me permettait de faire ressortir la complexité d’une situation. Souvent, dans notre conscience, nos pensées s’avèrent contradictoires. Avec mes personnages, qui ne sont souvent pas d’accord, j’ai essayé de développer quelques réflexions que nous pourrions tous avoir. De sorte que le lecteur puisse à un moment donné s’identifier à l’un d’entre eux, mais aussi acquiescer l’idée que d’autres analyses sont possibles.
L’humour est également présent dans tes ouvrages ! Est-ce une manière d’alléger tes sujets parfois très pointilleux ?
C’est vrai que je mets quelques petites touches discrètes d’humour ici et là. Je fais partie d’une maison de micro-édition qui s’appelle Les Machines, où notre équipe produit beaucoup et ça tend très vite vers le gag ou l’absurde. Quand je suis sur mes propres projets qui sont plus longs, j’utilise l’humour pour mettre un peu de légèreté mais aussi un peu d’humanité. Cela me permet également de faire un petit contre-pied à une scène. En s’en servant en guise de transition avant une autre séquence, l’humour peut être aussi un bon moyen pour le lecteur de prendre sa respiration.
Tu aimes donner à tes intrigues des allures d’enquête. Es-tu toi même fan du genre policier en BD ou sur un autre support ?
Pas tant que ça en fait. Quand j’ai commencé Le profil de Jean Melville, je n’avais jamais réfléchi à la manière dont on fait un polar et je m’y suis pris complètement à l’envers. C’est vraiment un exercice de style difficile. Il faut savoir parsemer des indices et faire en sorte que le lecteur puisse les découvrir en même temps que le héros. Mais j’ai forcément des influences. J’ai lu quelques Sherlock Holmes et j’ai aussi regardé la série anglaise Sherlock créée par Steven Moffat. Et même si j’ai décroché après quelques épisodes, elle est assez impressionnante dans sa construction. J’aime quand les scénaristes te font des promesses et ne te déçoivent pas. Quand tu as l’impression qu’ils ont un temps d’avance sur toi et qu’ils te retournent la tête avec maîtrise, j’adore ça. Concernant les BD, à part le manga Death Note que je trouve impressionnant, je n’en lis pas beaucoup. Surtout celles de mes ami.e.s en fait. Je trouve mes inspirations plutôt au cinéma, dans les séries voire dans les jeux vidéos, et bien sûr en ce moment dans les articles scientifiques. En revanche, pour Le profil de Jean Melville, on peut y trouver un peu l’univers de Jérome K, Jérôme Bloche de Dodier que je dévorais quand j’étais ado. Je trouve d’ailleurs qu’on ne parle pas assez de cette série qui est géniale. Alain Dodier écrit vraiment bien et intègre des personnages hyper attachants, profonds et très crédibles. J’aime cet univers où tu as l’impression que le héros pourrait être ton voisin et qu’il se retrouve confronté à des histoires qui le dépassent complètement pour devenir de grandes fictions. Alors j’ai essayé de reprendre ça pour Le profil de Jean Melville, en mettant un scène un type qui est détective dans une agence lambda et qui se retrouve à gérer une sorte de complot.
Revenons à ta résidence. La thématique sur laquelle tu travailles t’a permis de t’entretenir avec différents chercheurs de l’université. Ces rencontres doivent te permettre d’écrire une nouvelle fiction que tu nous présenteras en avril. À quel stade est son avancée aujourd’hui ?
En retard ! (rires) J’ai fini le scénario et le découpage écrit. Ma manière de travailler se traduit en plusieurs étapes. Pour cette histoire, qui est est assez courte puisqu’elle se réalise sur une quarantaine de pages, je commence par une description écrite. Dans chaque case j’écris les dialogues et je détaille ce qui se passe. Cela me permet par la suite de construire les scènes et de savoir combien il me faudra de cases. Une fois que cela est terminé, je fais un crayonné sur ordinateur. J’ai ainsi le loisir de déplacer, recadrer mes personnages. Quand je suis satisfait, je n’ai plus qu’à imprimer et à encrer à la table lumineuse. C’est la partie la moins lourde de la conception. Donc aujourd’hui, je termine les crayonnés et l’encrage va suivre. Quand je suis arrivé à la Résidence avec le sujet « les sciences peuvent elles sauver le monde ? » j’avais trois mois pour me débrouiller avec ça. Le premier s’est rempli d’entretiens et de lecture de beaucoup d’articles. Le deuxième a été de trouver comment en faire une histoire. Et ainsi la mettre en forme dans le troisième mois. Pour avoir déjà expérimenté une Résidence BD à la Maison des auteurs à Angoulême, j’ai vécu ici quelque chose de complètement différent. Là-bas, tu arrives avec un projet sous le bras. Si tu es sélectionné, tu as toutes les conditions pour réaliser ton livre. C’est ainsi, qu’en un an et demi, est né Le Chercheur Fantôme. Ici, je suis arrivé avec ce thème et une manière de m’en accaparer. Et sur un temps très court, je dois faire ce livre. C’est clairement un défi pour moi de le réaliser en si peu de temps. Sachant qu’il me faut en moyenne deux à trois ans pour produire une publication. Alors tu cherches des solutions pour être le plus efficace et évidemment, il y a un stress bien présent. Quand tu as tous ces ateliers, ces rencontres, conférences ou entretiens, tu dois prendre le temps de les préparer. Et tu dois enchaîner sur l’écriture. C’est une organisation difficile mais une bonne façon d’apprendre à gérer tout ça.

Soirée Apocalypse : Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? / Robin Cousin pour résidence Université de Poitiers (couverture)
Parallèlement à ce projet, tu encadres des étudiants et lycéens qui doivent réfléchir sur le vaste sujet qu’est l’utopie. Au terme de ces ateliers aboutissent deux bandes dessinées d’une douzaine de pages où sont évoquées des propositions pour atteindre un monde meilleur. As-tu senti de l’implication, de l’optimisme autour de cette jeune génération imaginant le monde de demain ?
Oui, énormément ! Ce sujet est quand même assez lourd à traiter. Nous sommes dans une époque où on entend de plus en plus parler de collapsologie, terme qui théorise l’idée que notre civilisation thermo-industrielle va s’effondrer parce qu’elle arrive à un point de saturation. Cela implique de très gros enjeux qui font un peu peur. Notamment avec tous ces problèmes écologiques. Sachant que c’est de leur avenir dont on parle, ce n’était pas facile d’aborder cela avec ces jeunes. Mais j’ai été très impressionné car il y a eu un vrai investissement. Que ce soit les lycéens où les étudiants, même si il y a quelques variations, les propositions sont sensiblement les mêmes. Soit en mettant en évidence des choses toutes simples, où les lycéens du Bois d’Amour s’appuyaient sur le respect d’autrui ou de la nature. Pendant que les étudiants pensaient davantage à une utopie plus concrète avec des organisations précises et des prises de décisions collectives. Je t’avouerai que cela m’a vraiment fait du bien d’avoir face à moi des comportements aussi enthousiastes.
En fin de compte Robin, penser que les sciences peuvent sauver le monde est-il utopique ?
Il y a deux façons de répondre. Si l’on considère l’utopie de façon négative, elle se présente donc comme irréelle. Et ce ne sont pas les sciences qui vont sauver le monde. Elles sont un élément de savoir. Elles expliquent et nous apprennent à regarder les choses avec plus d’objectivité. Mais la clé est politique et émane d’une cohésion de la société. Penser que ce sont les scientifiques qui vont résoudre les problèmes écologiques par des solutions technologiques est une grande erreur. Cette manière de ne pas saisir l’origine du problème, c’est exactement là où en est notre civilisation aujourd’hui. J’entends par là qu’au lieu d’essayer de changer les choses pour éviter la destruction de cette civilisation thermo-industrielle, on se rassure à penser que les chercheurs vont trouver le moyen pour qu’on puisse vivre de la même façon. Voici comment se présente l’utopie sous son aspect négatif. Si, au contraire, on l’envisage positivement, on peut se permettre de croire que l’utopie serait une pièce maîtresse pour sortir de cette impasse. En s’en servant tel un élément moteur, elle nous amènera naturellement à nous poser les bonnes questions. Mieux, elle deviendra nécessaire car elle alimentera notre souhait de sauver le monde. C’est un peu la conclusion de ma BD pour la résidence. Si on la prend du bon côté, elle nous permet de tout remettre en question, de tout poser sur la table et l’utopie devient la solution.
C’est ce que tu mets en lumière dans ton nouveau livre qu’est Des milliards de miroirs. Un monde dystopique où les progrès scientifiques ne peuvent annihiler le désastre écologique. Mais il subsiste un espoir. Raconte-nous un peu ton histoire…
Ça se passe dans un futur proche. Un nouveau système de télescope vient d’être envoyé dans l’espace. Cet hypertélescope, qui permet de répandre une multitude de petits miroirs et qui vont se disposer de façon à former une sphère gigantesque de 100 000 kilomètres de diamètre, a été imaginé par Antoine Labeyrie que j’ai rencontré lors de mes recherches. Même s’il n’existe pas réellement, ce concept permettrait d’avoir des images très précises de planètes extrasolaires. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. On a juste des traces d’information qui déterminent l’emplacement d’une planète ici ou là mais on ne les voit pas. Je trouvais cette idée séduisante et c’est ainsi que commence mon histoire. Au bout de quelques années, les caméras placées au milieu de la sphère vont identifier des exoplanètes. L’une d’entre elles va attirer l’attention car on y distingue des points lumineux semblables à ceux qui représentent les villes de notre propre planète vue de l’espace. Cette découverte va être traitée de manière très réaliste. Avec la technologie actuelle, impossible de se rendre sur cette planète située à 45 années-lumière. Pour envoyer un message, il faut trouver le langage et, en admettant qu’il soit instantanément reçu et compris, attendre une réponse. Soit l’équivalent d’une vie humaine. Pour autant cette potentielle existence d’une autre civilisation va bouleverser les habitants de notre planète terre, mis à mal par des problèmes écologiques qui se sont aggravés. Est-elle un danger pour nous ? Ou au contraire un exemple à suivre ? Ce sont ces questions parmi d’autres qui vont faire réagir plusieurs profils de personnages. Avec en prime un doute supplémentaire initié par cette communauté un peu mystique qui voue un culte à un peuple appelé les céphéens. Ces derniers sont censées habiter pile à l’endroit où se trouve la planète. On va ainsi observer les comportements de chaque protagoniste devant cette annonce inattendue.
Le lien entre ce nouveau récit et ton intervention au planétarium de l’Espace Mendès France était ainsi tout fait. Profiter de ce dôme devait être un endroit rêvé pour y présenter ton livre ?
Ah oui ! C’était vraiment génial ! C’est un endroit vraiment fantastique. J’ai eu la chance de voir des images projetées de la BD sur le dôme, c’était super joli. Accompagné d’Eric Chapelle, le responsable d’astronomie de l’Espace Mendès France et de la paléoanthropologue Marine Cazenave, nous avons eu beaucoup d’échanges sur les aspects scientifiques de mon livre. En expliquant quelle partie était crédible et laquelle était plus fantasmée, ils faisaient beaucoup de vulgarisation et c’était hyper enrichissant. Il y a eu tellement de discussions entre nous et le public qu’on n’a pas eu le temps de montrer les étoiles dont Gamma Cephei, alors que c’était prévu à la fin de la conférence. Mais c’est un moment que j’ai adoré.
Quel est ton avis Robin ? L’univers abrite-t-il une espèce vivante ailleurs ?
Grosse question !.. (rires) Je pense qu’il en a abrité une et qu’une nouvelle apparaîtra après la nôtre. La question est de savoir si une civilisation existe là, quelque part, en même temps que nous ? Le Paradoxe de Fermi pose ce problème : si les extraterrestres existent, pourquoi ne les avons nous toujours pas rencontrés ? Une des hypothèses qui me convainc le plus est cette idée de temporalité. Lorsqu’une espèce vivante devient intelligente, n’est-elle pas fatalement vouée à détruire – comme ce que nous sommes en train d’initier – sa propre planète ? Pour qu’une autre voit le jour ailleurs ? Je ne sais pas si c’est dans l’ordre des choses mais pourquoi ne pas l’imaginer ainsi ? Maintenant, si nous nous centrons sur nous-mêmes, l’homme ne peut-il pas atteindre un haut degrés de compétences technologiques sans tout détruire sur son passage ? Je crois que c’est possible mais cela demande une vraie conscience collective de notre civilisation. Alors évidemment, tu vas me dire que le défi est de taille mais si tu enlèves le pessimisme pour laisser un peu de place à l’utopie, peut-être qu’elle nous aiderait à envisager les choses autrement.
Cela fait quelques temps maintenant que tu collabores avec la maison d’édition FLBLB (fondée par Grégory Jarry et Thomas Dupuis) qui offre un catalogue riche et atypique. Comment t’es-tu retrouvé à travailler avec elle ?
Tout est parti d’une rencontre. Lorsque j’étais étudiant en Master aux Beaux-Arts à Angoulême, Grégory est venu faire un atelier roman-photo dans ma classe. Et il y a instantanément eu une bonne connexion entre lui et nous. Je me souviens qu’il m’avait confié avoir aimé bosser avec cette promo et c’était réciproque. Il a vu qu’on avait du répondant sur les sujets qu’il proposait. C’est la première fois que j’ai ressenti une vraie exigence d’éditeur sur nos réalisations. Il nous a beaucoup poussé pour un résultat final de l’exercice qui était assez chouette. À cette époque, avec mes amis, on en était encore au stade de projet pour Les Machines, j’en avais alors profité pour lui demander si je pouvais faire un stage chez FLBLB dans le but d’apprendre un peu le métier. Dans le même temps, Grégory m’a proposé un sujet de bande dessinée qui traitait de l’armée française en Afghanistan et qui a donné par la suite un récit collectif. Cela s’était super bien passé. J’avais, là encore, beaucoup apprécié son regard acéré sur des techniques précises de scénario par exemple. Il voit souvent juste et comprenait ce que je voulais faire. Donc, après Afghanistan : récits de guerre, je suis allé à la Maison des Auteurs pour travailler sur Le Chercheur Fantôme, et il m’a proposé de le publier chez eux. C’est comme ça qu’a commencé l’aventure. Aujourd’hui encore, Grégory est très important pour moi. Lorsque je produis un livre, si je réalise un passage bien, il va me guider pour je m’appuie dessus et que le reste soit du même acabit. Cette relation de travail m’a beaucoup apporté et m’a construit. Je suis donc resté naturellement avec lui, Thomas, mais aussi les autres membres fondateurs qui font partie désormais du comité de lecture.
C’est donc durant ta période étudiante que tu fondes avec des amis auteurs Les Machines, une association de micro-édition. Comment est venue cette envie commune ? T’y investis-tu toujours autant aujourd’hui ?
Nous étions un petit groupe à vouloir faire des livres et on utilisait le matériel disponible des Beaux-Arts tels les imprimantes et scanners. Mais nous étions limités par nos impressions et plus le temps passait, plus nous avions des projets concrets. Nous nous sommes alors dits que le mieux serait de créer un collectif. Chacun d’entre nous a alors participé financièrement pour acheter une grosse imprimante et ainsi éviter de passer par l’école. On a d’ailleurs voulu appeler notre association L’imprimante mais c’était déjà pris. Le nom Les Machines est alors né du fait qu’on ait continué à investir dans d’autres matériels. Créer cette petite maison d’édition était aussi une manière de souder notre bande, de rester ensemble. Et depuis sa fondation en 2011 où nous étions onze, l’émulation recherchée a bien fonctionné. Notre structure connait des départs et des arrivées mais il y a toujours cette volonté de créer dans une totale liberté et surtout sans pression. Que ce soit la Baie des Machines notre revue, ou des parutions solos, notre économie est très simple et bien gérée pour faire perdurer nos envies. Alors c’est vrai qu’avec mes projets plus conséquents chez FLBLB, mon temps d’implication à baissé de fréquence là-bas. Et je le regrette car cette petite maison est très importante pour moi. Mais j’essaie toujours d’y accorder du temps notamment avec la revue où l’on réalise des récits courts. On a instauré ce qu’on a appelé les « 4h de la BD » où durant ce laps de temps on va tous s’appeler, puisqu’on est géographiquement éloignés, et s’imposer un thème sur lequel on va travailler pour qu’accouche une histoire. Cela peut-être des sujets complètement absurdes comme « Le monde à l’envers » où on s’impose de ne jamais voir le personnage principal… J’adore ces moments là. Cela me permet de produire des choses plus drôles et surtout sans pression. Et cela nourrit énormément mes projets personnels. Plein de mes idées y sont nées. Je me souviens de celle où on devait parler d’une secte et qui est devenue un élément important dans Des milliards de miroirs. Et puis tu t’enrichis aussi grâce à la technique graphique de tes copains. Et au-delà de la bande dessinée, il y a simplement le fait de se retrouver entre nous qui fait tellement du bien. Il ne faut pas oublier que produire un livre se révèle être un travail très solitaire et ça peut être vraiment pesant par moment. Pouvoir se ressourcer avec eux, c’est primordial.
Entre ta résidence, la sortie de Des milliards de miroirs et tes divers projets, ton actualité de ce début d’année est très chargée ! Te considères-tu comme un boulimique du travail ? Est-ce un moyen de toujours rester en éveil ?
Pour ne rien te cacher, il se trouve qu’en ce moment, je croule sous le travail. Il faut que je me calme un peu. Mais tu as raison, c’est vrai que j’aime bien toujours avoir des projets sous le coude. Je fais toujours en sorte d’entamer autre chose quand j’arrive à la fin d’une production. Car quand un livre s’achève, au delà d’une hypothétique sensation de « vide », c’est un moment assez compliqué. On passe son temps à faire des corrections de dernière minute jusqu’à saturation. Je me souviens ce que Grégory m’avait dit un jour lorsque je lui avais dit que j’en étais arrivé à un point où je détestais Le Chercheur Fantôme : « Ah ! C’est bon signe, cela veut dire que tu l’as bientôt fini ! » Et c’est exactement ça ! À partir du moment où tu le rejettes c’est que l’aboutissement est proche. Sinon tant qu’on l’aime, on a envie de continuer à le peaufiner. Mais ensuite, vient ce moment agréable où le livre est publié et où tu vas pouvoir entendre les avis des lecteurs, échanger avec eux. Et de nouveau tu te réappropries ta création, tout en étant déjà sur un autre projet. C’est comme ça que je fonctionne en tout cas.
Il me semble que ton nouveau projet parlera d’un chercheur voulant fabriquer un robot capable de penser. Il se trouve que durant ta résidence, l’Université de Poitiers a présenté un bel investissement que sont ces deux robots de téléprésence (EVE et Wall-E). Machines révolutionnaires puisqu’elles permettent aux étudiant.e.s en situation de handicap d’assister aux cours par leur intermédiaire. Pour faire le lien avec ton prochain récit, imaginer que les robots seraient un jour dotés d’une conscience, n’est-il qu’un fantasme ?
Une chose est sûre en tout cas, c’est qu’on en est très loin. Beaucoup d’articles de chercheurs en Intelligence Artificielle évoquent ce fantasme au vu de tous ces énormes progrès qui sont faits. Le problème de la conscience est une histoire de degrés. Si l’on considère qu’une simple limace possède un premier degré de conscience, je ne crois pas qu’un ordinateur en soit encore doté. Et ce, même si certains prétendent qu’à partir du moment où intervient un système complexe, il y a forcément naissance d’une forme de conscience. L’idée que j’aimerais développer dans mon prochain récit serait qu’un ordinateur pourrait s’approcher de ce premier degré mais il faudrait pour cela qu’il ait un rapport avec le monde qui l’entoure. Aujourd’hui, il sait identifier un chat grâce à des images mais il ne sait pas pour autant que cela en est un ! Un chien sait très bien ce que représente un chat. Il y a un rapport entre ces deux animaux. Un ordinateur n’a aucune émotion, pas de corps, ne se nourrit pas, ne connaît pas le danger… Donc mon personnage va tenter de créer ce robot en y intégrant certains de ces ressentis. Dans un probable huis-clos, on suivra ce chercheur dans son laboratoire en observant ses avancées, en étant dans sa tête. Dans cette histoire, je veux parler également de la conscience animale, donc il y aura un corbeau… Pourquoi ? Parce qu’à l’inverse des poulpes ou des dauphins, on oublie souvent l’intelligence de cet oiseau qui est capable de résoudre des problèmes complexes. Et puis il y a tout ce côté « étrange » autour de lui. Il sera certainement un lien avec le chercheur et une histoire d’amour avec une femme qui sera une sorcière ! Bon là, je te dis plein de choses mais je n’en suis qu’au stade de notes, il n’y a absolument rien d’écrit. C’est vraiment la genèse du projet et au final je changerai peut-être tout ! (rires)
Une dernière question Robin. Tu viens présenter à La Ruche Soirée Apocalypse : Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? ta bande dessinée réalisée lors de ta résidence. C’est également l’occasion d’exposer de nombreuses planches issues de tes récits. Pour ta venue, l’idée est de mettre en valeur ton Œuvre au moyen de nos différents outils numériques. Que penses-tu de cette évolution pour la communauté estudiantine ? Leur offrir cette possibilité d’utiliser cette culture numérique comme support complémentaire pour leurs études ?

Soirée Apocalypse : Les sciences peuvent-elles encore sauver le monde ? / Robin Cousin pour résidence Université de Poitiers (planche 09)
Je trouve qu’aujourd’hui cet apport d’outils supplémentaires est super important. Quand on parlait tout à l’heure du Profil de Jean Melville et des risques liés aux nouvelles technologies, en fait le danger est de se laisser diriger par elles. Ne pas savoir s’en servir à bon escient conduirait à en devenir fatalement esclaves. Et une bonne manière de ne pas arriver à cet extrême, c’est d’apprendre à les utiliser comme un moyen de création ou de documentation. Tu parles de support complémentaire et c’est vraiment comme ça que doivent être considérés ces matériels numériques. On ne pourra jamais se passer d’un livre qui est primordial dans le savoir. Personnellement, j’aime le support papier. C’est un objet que tu as plaisir à avoir dans les mains. Tu le cornes, tu annotes, tu l’emmènes avec toi. Il y a une relation avec un livre que n’offrira jamais un texte numérique. Mais en même temps tu ne peux nier ce que permettent les progrès de notre époque. Il faut savoir aussi les apprécier. Je pense sincèrement qu’opposer ces deux outils pédagogiques serait une erreur.
* Entretien réalisé le 05 février 2019 à l’Appart
BRAVO à ROBIN pour tout son travail et ses réalisations.Continue, mon neveu, je te sens heureux dans ce métier et je vais offrir ton dernier livre à chaque famille de mes enfants pour nourrir leurs soirées…. Bon vent !
Jacqueline