L’Insee Ile-de-France vient de publier une note intitulée « Un rayonnement économique de l’agglomération parisienne plus intense vers l’ouest ». Note très intéressante, qui s’intéresse aux liens entre Paris, l’Ile-de-France et les territoires alentours, et qui montre notamment que les interdépendances sont plus fortes à l’Ouest qu’à l’Est de la région capitale.
Note intéressante, j’insiste, car l’enjeu, en termes d’analyse de la géographie économique, consiste à se focaliser sur les interdépendances territoriales, plutôt que de continuer à comparer des portions d’espaces géographiques considérées comme des entités en concurrence les unes avec les autres. Toute étude qui s’intéresse aux liens plutôt qu’aux lieux est donc bienvenue.
Le vocabulaire employé, cependant, m’a fait tiquer (d’où ce billet).
- Le titre, d’abord, où l’on parle de « rayonnement », j’y reviens plus loin,
- L’idée selon laquelle l’Ile-de-France « dégage plus de 40% de la richesse nationale » : on ne sait pas calculer la richesse générée par un territoire, dès lors qu’on dispose de données sur la valeur ajoutée à l’échelle de l’entreprise, pas des établissements. L’Insee s’en remet donc, pour approcher la richesse créée, aux salaires versés dans les établissements pour ventiler la valeur ajoutée. D’après les données disponibles, l’Ile-de-France concentre un peu moins d’1/3 des salaires versés, non pas 40%. Pas trop d’informations dans la note pour comprendre le calcul, j’espère qu’il ne s’agit pas de l’addition des valeurs ajoutées des sièges sociaux d’Ile-de-France,
- L’emploi du terme de « redistribution », ensuite, dans cette phrase : « Les territoires de ce bassin sont interconnectés et reliés entre eux par des flux économiques, qui redistribuent les richesses via les flux salariaux et commerciaux ». Verser des salaires, ce n’est pas faire de la redistribution géographique des revenus, c’est faire de la distribution des revenus. Payer les gens qui ont bossé, quoi.
J’en reviens au point principal : l’idée de rayonnement. La même idée était défendue par Gérard Collomb, suite à une étude commandée à Laurent Davezies, indiquant que Lyon « redistribuait » 9 milliards d’euros aux territoires environnants. Paris et Lyon sont généreuses : elles versent des salaires aux gens qui y travaillent, mais qui n’y résident pas.
Petite histoire pour faire passer le message : Emmanuel et Jeanne se sont rencontrés sur les bancs de la fac de Bordeaux (vous pouvez modifier avec la grande ville de votre choix), ont décidé d’emménager ensemble dans le studio (un peu plus grand) de Jeanne, le temps de finir leurs études. Ils ont l’un et l’autre trouvé un emploi à la fin de leur master (comme la très grande majorité des diplômés de Master des universités françaises, soit dit en passant).
Chemin faisant, ils ont eu envie d’avoir un enfant : logement trop petit, il faut trouver un nouveau toit. Loyer prohibitifs sur Bordeaux, ils décident donc de s’éloigner et de prendre un logement sur Libourne.
Supposons que cette histoire soit représentative. Agrégeons ces histoires individuelles. On constatera que les personnes qui viennent travailler sur Paris, Lyon, Bordeaux, …, viennent de plus en plus loin. Non pas parce que ces villes « attirent », mais bien parce qu’elles « repoussent ». Avec une montée des processus de gentrification, au centre, qui interroge.
Mon sentiment est que l’évolution de la géographie de l’emploi est un produit des deux logiques : attraction de certaines catégories de personnes, éviction d’autres catégories. Il convient de mieux documenter ces processus, en faisant attention au vocabulaire employé, qui n’est pas neutre. Pour mieux cerner, ensuite, les enjeux en termes d’action publique.