Recrutement des enseignants-chercheurs : l’endorecrutement, c’est mal

Quand un docteur d’une Université est recruté par cette même Université, on parle de localisme ou bien, de plus en plus, d’endorecrutement. Le Ministère vient de publier les résultats de la campagne 2012 de recrutement : 21% d’endorecrutement pour les Maître de Conférences (p. 37). Proportion assez stable dans le temps depuis 2008. Un docteur sur cinq, en gros.

Pour nombre de commentateurs, l’endorecrutement, c’est mal. Pour preuve, le petit jeu auquel s’est livré Sophie Roux : tapez “localisme universitaire” sur Google, vous trouverez “fléau”, “plaie”, “tare”, “mal endémique”, “clientélisme”, “népotisme pervers”. Cependant, comme elle l’indique dans son (excellent) article, le débat sur le sujet manque sérieusement de preuves empiriques. 20-25% d’endorecrutement, c’est beaucoup? C’est peu? Quelle(s) incidence(s) en termes de performance du système de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche?

Je ne vais pas répondre à toutes ces questions, mais simplement avancer un ou deux chiffres pas inintéressants. J’avais déjà parlé du premier, tiré  d’un article que j’ai co-écrit sur le sujet, qui exploite les données issues des enquêtes Générations du Cereq : la mobilité géographique (changement de Région) des docteurs de la génération 1998 est de 41% pour les docteurs travaillant trois ans après dans l’ESR, contre 27,9% pour les docteurs travaillant hors ESR. Dans ce billet posté récemment, vous pourrez vérifier (voir le graphique du billet) que c’est toujours le cas pour les générations diplômées en 2001, 2004 et 2007.

Pour aller un cran plus loin dans la recherche d’éléments empiriques, j’ai analysé les résultats d’une enquête faite auprès des doctorants ayant bénéficié d’un financement CIFRE. Ce type de contrat lie un doctorant, un laboratoire de recherche et une entreprise (ou une institution). L’ANRT a enquêté les docteurs CIFRE de la période 2000-2011 en s’interrogeant sur leur insertion professionnelle. 1973 personnes ont répondu. Dans le graphique en bas de la page 14, vous découvrirez que 35% des répondants, suite à l’obtention de leur doctorat, ont été recrutés dans l’entreprise partenaire de la CIFRE ; 11% dans le laboratoire partenaire et 54% dans une autre entité.

En clair, le taux d’endorecrutement de 20-25% observé France entière dans l’Enseignement Supérieur est sensiblement inférieur à celui observé dans les entreprises partenaires d’une CIFRE, de 10 à 15 points au-dessus.

Petit exercice intellectuel à destination des collègues, pour finir : imaginez que vous croisez lors d’un colloque un jeune docteur, qui vous annonce que, suite à sa thèse (financement classique), il vient d’être recruté par son Université d’origine. Je pense que vous ne serez pas loin d’avoir tous un sentiment plutôt, voire très, négatif. Imaginez maintenant qu’il s’agisse d’un docteur ayant bénéficié d’une CIFRE et ayant travaillé dans un grand groupe, disons chez EADS. Il vous annonce qu’EADS l’a embauché. Je parie que votre sentiment sera d’emblée très positif…

NB : comme dit à de nombreuses reprises, il ne s’agit pas pour moi de défendre le recrutement local, je ne suis ni pour, ni contre. Je plaide pour qu’on puisse recruter la bonne personne au bon moment et au bon endroit. Que l’on donne donc les moyens aux Universités de mettre en place des processus de recrutement dignes de ce nom, qui vont au-delà de l’examen d’une dizaine de minutes des dossiers et d’auditions d’une vingtaine de minutes pour recruter à vie une personne…

5 commentaires sur “Recrutement des enseignants-chercheurs : l’endorecrutement, c’est mal

  1. Ping : Histoires d'universités » Blog Archive » CNU : supprimer la qualification ?

  2. En, soi, l’idée que si on recrute une personne c’est par définition à vie n’est elle pas aberrante? (je précise que je réagis à la phrase, je méconnais presque totalement le fonctionnement universitaire)
    Je ne parle pas ici du fait d’être en CDI, mais au fait qu’il semble normal d’être au même endroit pendant des décennies!
    Une boite comme Total, dont l’effectif permet des évolutions de carrière bien plus importantes que peut l’offrir une petite institution, Total donc vise des taux importants de mobilité entre ses différentes structures
    Pourquoi? Parce que seul ce mouvement permet de ne pas s’encrouter…

  3. Le localisme, c’est bien: tu es recruté par les gens que tu connais depuis 10 ans maintenant, des gens qui sont souvent devenus tes amis, et qui vont bien sûr t’arranger un petit comité de sélection très favorable (les amis de mes amis étant par définition mes amis), c’est chouette !!! Que les candidats extérieurs se tiennent bien !!! Il leur faudra un CV 40 fois meilleur pour avoir une digne chance d’être recrutés à ta place!! D’ailleurs ils le savent bien et tentent en général de se renseigner à l’avance pour savoir si cela vaut la peine qu’ils se déplacent ou si “tout est joué d’avance”! Et s’ils y arrivent, je t’explique pas l’ambiance avec les collègues qui ont raté le recrutement qu’ils voulaient faire !!! non vraiment c’est chouette le localisme …

  4. “Parmi les centaines d’exemples que j’ai à disposition, en voici un seul : ayant exposé, dans ma lettre à l’intention d’un rapporteuse du CNU, les raisons pour lesquelles j’étais venu en France en 1991, à savoir y chercher l’asile politique à cause des persécutions antisémites que je subissais en URSS, je vois cette rapporteuse du CNU (issue de cette université qui est à l’origine des problèmes artificiels de mon dossier), qui s’est auto-désignée ma rapporteuse, déclarer à des collègues censés se prononcer sur ma qualification ce mensonge ignoble : « […] la recherche d’informations sur l’appartenance ethnique, religieuse […] est manifestement une préoccupation constante de M. Livry » (!?!?!). …”

    http://fr.novopress.info/174406/lettre-virtuelle-a-la-ministre-de-leducation-nationale-par-anatoly-livry/

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