La stratégie du poisson rouge

Dans les nouvelles géographies du capitalisme, j’explique que pour favoriser l’adaptation des économies à l’approfondissement de la mondialisation, deux grandes stratégies dominent. J’ai qualifiée la première de stratégie du poisson rouge, la deuxième de stratégie du pingouin.

Je me concentre ici sur la première, que je décris ainsi :

Première stratégie possible : la stratégie libérale. Elle consiste à supposer que l?essentiel du problème [de l’adaptation de l’économie française] tient à la trop grande intervention des Etats et à la flexibilité insuffisante observée sur les marchés : pourquoi existe-t-il du chômage en France ? Car le marché du travail n’est pas assez flexible (…). Pourquoi la France n’est-elle pas attractive [idée reçue] ? Car les charges sociales et fiscales qui pèsent sur les entreprises où sur les « talents » que l’on veut attirer sont trop lourdes. Pourquoi les entreprises françaises ne sont-elles pas suffisamment efficaces (autre idée reçue). Car (…) les créateurs d’entreprises sont victimes de la lourdeur administrative (…). On pourrait multiplier les exemples : à chaque fois, on considère que, au niveau de chacune des institutions nécessaires au bon fonctionnement du capitalisme, on est trop éloigné de l’idéal du modèle libéral, et l’on propose donc logiquement de s’en rapprocher, par la mise en place de nouvelles règles mieux adaptées.
Stratégie libérale que nous qualifierions volontiers de stratégie du poisson rouge : Comme dans la publicité Ikéa, où le poisson redécouvre émerveillé, à chaque tour de bocal, l’étagère fraîchement installée, certains économistes redécouvrent béatement les vertus supposés du libéralisme, en oubliant un peu trop rapidement les dégâts économiques et sociaux qu’engendre nécessairement le modèle qu’ils défendent. (p. 200-201)

 Dans le genre, la Banque Mondiale vient de faire très fort : elle publie pour la quatrième fois un rapport intitulé Doing Business (la pratique des affaires). Ce rapport « identifie les pays qui ont le mieux réussi à réformer la réglementation des affaires, et décrit les pratiques les meilleures en matière de lancement et de conduite des réformes.  Le rapport propose des indicateurs quantitatifs mesurant les différents aspects de la réglementation des affaires, ce qui permet de comparer les réglementations et leur mise en application dans 175 économies, allant de l’Afghanistan au Zimbabwe, mais aussi dans le temps. »

Alors bien sûr, la Banque Mondiale commence par des exemples imparables :

Par exemple, le Rwanda a tout récemment éliminé une loi qui datait de l’époque coloniale et qui n’autorisait qu’un seul notaire pour l’ensemble du pays.  Aujourd’hui, grâce à la réforme, près de 36 notaires ont ouvert leur cabinet dans le pays, avec pour résultat de réduire considérablement le temps nécessaire pour démarrer une entreprise.

 Au Yémen, le gouvernement a éliminé un impôt sur la production de 10% que les entreprises devaient payer chaque fois qu’elles vendaient leurs produits à d’autres entreprises.  Au niveau du consommateur, le montant total de ces impôts, en fait une imposition sur le chiffre d’affaires déguisée, était de loin plus élevé que la marge bénéficiaire de l?entreprise sur ces produits.  En remplaçant l’impôt sur la production par un impôt de 5% sur les ventes aux consommateurs, le Yémen a pu diminuer le taux d’imposition total de 79% à 48%, ce qui a grandement aidé tant le monde des affaires que les consommateurs.


Ok, rien à redire, on comprend bien que travailler à la suppression de ce genre d’abérations et, plus généralement, à la simplification de certaines règles et procédures ne peut que reccueillir l’aval de tous.

Là où les choses sont moins évidentes, c’est lorsque l’on regarde les indicateurs retenus. Premier exemple, s’agissant de l’embauche des salariés : "Doing Business measures the regulation of employment, specifically as it affects the hiring and firing of workers and the rigidity of working hours. (…) ". Pour cela, ils construisent notamment un indicateur de rigidité de l’emploi.
Comment?
Explications :
The rigidity of employment index is the average of three subindices: a difficulty of hiring index, a rigidity of hours index and a difficulty of firing index. All the subindices have several components. And all take values between 0 and 100, with higher values indicating more rigid regulation.The difficulty of hiring index measures (i) whether term contracts can be used only for temporary tasks; (ii) the maximum cumulative duration of term contracts; and (iii) the ratio of the minimum wage for a trainee or first-time employee to the average value added per worker. A country is assigned a score of 1 if term contracts can be used only for temporary tasks and a score of 0 if they can be used for any task. A score of 1 is assigned if the maximum cumulative duration of term contracts is less than 3 years; 0.5 if it is between 3 and 5 years; and 0 if term contracts can last 5 years or more. Finally, a score of 1 is assigned if the ratio of the minimum wage to the average value added per worker is higher than 0.75; 0.67 for a ratio greater than 0.50 and less than or equal to 0.75; 0.33 for a ratio greater than 0.25 and less than or equal to 0.50; and 0 for a ratio less than or equal to 0.25.

En clair : si les entreprises peuvent embaucher en CDD pour n’importe quelle tâche, c’est bien, sinon, c’est mal. Si les CDD durent plus de 5 ans, c’est bien, sinon c’est mal. Si l’écart entre salaire minimum et productivité moyenne du travail est grand, c’est bien, sinon c’est mal… Inutile de vous dire qu’à ce petit jeu, la France est mal classée : 56 sur 175.

En oubliant que flexiblité des entreprises et flexibilité du travail ne riment pas nécessairement. Dans le cadre du modèle du toyotisme, par exemple, on assure aux salariés un contrat de long terme, on investit considérablement en formation, ce qui renforce la productivité et la polyvalence des salariés, et ce qui garantit une très bonne flexibilité à l’entreprise (cf. cet autre post pour des développements). Avec des performances pas vraiment mauvaises paraît-il.
Je ne dis pas, bien sûr, qu’il faut mettre en place pour tous et partout des contrats à vie. Je dis que la flexibilité et la compétitivité des entreprises peut être atteinte par différents moyens, présupposer une one best way est pour le moins contestable lorsque l’on voit la diversité des solutions mises en oeuvre par des pays capitalistes de niveau de développement comparable.

Autre exemple, sur le thème des impôts qui pèsent sur les entreprises :

Doing Business records the tax that a medium-size company must pay or withhold in a given year, as well as measures of the administrative burden in paying taxes. Taxes are measured at all levels of government and include the profit or corporate income tax, social security contributions and labor taxes paid by the employer, property taxes, property transfer taxes, the dividend tax, the capital gains tax, the financial transactions tax, waste collection taxes and vehicle and road taxes.


Et bien sûr, vous l’aurez deviné, si les impôts sont élevés, c’est mal, s’ils sont faibles, c’est bien. En oubliant que les impôts, il paraît que ca alimente le budget des gouvernements et qu’ils donnent lieu, ensuite, à des dépenses publiques, dépenses qui, paraît-il (c’est peut-être une rumeur), permettent de renforcer la compétitivité des entreprises (dépenses d’éducation, de formation, de recherche, d’infrastructure, etc…).

Oui, mais ca, le rapport n’en parle pas. D’ailleurs, ils le reconnaissent :

Un classement élevé sur la facilité de conduire les affaires signifie qu’un gouvernement a su créer un environnement réglementaire favorable à la conduite d’une entreprise.  Cependant, ces classements à eux seuls ne permettent pas de comprendre l’ensemble de la situation.  Ils ne prennent pas en compte d’autres facteurs, tels que la qualité des services d’infrastructure, la proximité de marchés importants ou l’ordre public.

Là encore, je ne dit pas qu’il faut augmenter les impôts qui pèsent sur les entreprises, mais affirmer a priori qu’un taux d’impôt élevé est une mauvaise chose est absurde, tout dépend de  ce que l’on fait de l’impôt collecté.
Bon, je n’insiste pas plus, tout est dans la même veine…

Deux remarques complémentaires :
Le Monde reprend les conclusions du rapport dans un article daté du 7 septembre 2006, en titrant "La France améliore son attractivité mais reste encore très mal placée". Titre particulièrement stupide, puisque le rapport de la Banque Mondiale ne parle absolument pas d’attractivité des entreprises… La journaliste s’est mélangée les pinceaux, entre les conclusions du rapport, d’une part, et la critique faite par le gouvernement français, d’autre part :   Pascal Clément, Ministre de la justice, a en effet critiqué le rapport Doing Business en ces termes :

Considérer uniquement dix critères pour évaluer l’environnement des affaires, c’est insuffisant. Faire l’impasse sur le régime politique d’un pays, sa taille, la stabilité économique et ses infrastructures est une erreur profonde. Est-il réellement sérieux de mettre sur le même plan en termes économiques les îles Fidji et la Chine, le Kiribati et la France ? Les faits contredisent l’analyse de la Banque mondiale. La Chine est un grand pays, où le monde entier va, aujourd’hui, investir. A écouter Doing business, il ne faudrait pas y investir. De même, la France est le quatrième pays vers lequel se dirigent les investissements internationaux."


Assez d’accord avec cette critique … mais avouez que c’est assez cocasse qu’un membre du gouvernement français, dont on ne peut pas dire qu’il vante l’attractivité française (tout fout le camp mon bon monsieur, les jeunes s’enfuient à Londres ou à New-York, les entreprises partent en Chine, etc…), et qui reprend à l’envie le thème de la lourdeur administrative, du manque de flexiblité du marché du travail (CNE, CPE, …), des freins mis aux entreprises, etc… en vienne à changer de discours lorsqu’il se sent attaqué par une organisation internationale…

Deuxième remarque : l’étude de la Banque Mondiale n’est pas une simple petite étude vouée à disparaître au fond de je ne sais quel tiroir. Comme le rappelle Le Monde :

En dépit des critiques dont il fait l’objet, le rapport de l’IFC est devenu une référence pour de nombreux petits pays, qui l’érigent en objectif économique. En effet, le rapport a des conséquences concrètes. Pour l’obtention de prêts à taux zéro de l’International Development Association (IDA), le bras financier de la Banque mondiale, les pays les plus pauvres doivent prouver qu’ils ont fait des efforts significatifs dans le domaine de la facilitation des affaires.

Bref, encore un bel exemple de Benchmarking stupide dont les organisations internationales et les gouvernements sont de plus en plus friands.

31 commentaires sur “La stratégie du poisson rouge

  1. Ce qu’il y a de bien dans la blogosphère c’est qu’il est toujours possible d’avoir "l’envers du décor".. On finit même par prendre goût à l’économie..Je doute par contre que les correcteurs de l’ENA ou de l’INET apprécient tant que ça le développement de ces idées qui contrarient régulièrement celles proféssées par une horde de politiciens (volontairement?) incompétents ou soucieux de verser dans l’oreille des grands de ce monde le miel sucré du libéralisme économique..Merci encore de faire travailler la masse blanchâtre qui tient chaud entre les deux oreilles..

  2. Le plus désopilant des points abordés dans cette note reste sans conteste l’intervention de Pascal Clément (par ailleurs parfaitement incompétent en matières économiques) qui claironne fièrement l’attractivité de l France alors même que le gouvernement auquel il appartient répète inlassablement, mois après mois, que la France n’attire pas les capitaux étrangers et que c’est la raison pour laquelle il faut introduire de la souplesse, toujours plus de souplesse…Ils sont impayables.

  3. Agréablement surpris par cette analyse qui ne sacrifie pas au gauchisme et sait prendre des positions objectives et montrer l’inadaptation des indicateurs de performance (un gros problème que nous connaissons aussi dans les entreprises !)Merci !

  4. Ces exemples me font un peu penser à ceux de la Grande Désillusion de Stiglitz… bouquin pas nécessairement très bon au niveau théorique, mais qui a le mérite de présenter l’envers du décor à des individus ordinaires, lui aussi…Sinon, au vu de vos exemples… on peut postuler à la Banque Mondiale même quand on a un niveau tel que le mien ? :oDFranchement, je suis tenté d’envoyer prochainement un CV et une Lettre de Motiv’… (Je pensais, déjà, après certaines déclarations de Sarko ou de Villepin, le fait pour le Ministère de l’Intérieur ou de l’Eco. Juste pour le fun.)Au sujet de Pascal Clément, on peut lui en vouloir. Il était en visite à Poitiers, là. Des flics partout. Et ceux qui bossaient comme des Sarkozystes à espionner, pour le compte de grosses compagnies, des employés saisonniers, avaient des difficultés pour prendre des photos. :o)AJC

  5. (Désolé pour le commentaire en deux posts…)Enfin, pour le Monde, faut pas s’inquiéter, au niveau économique.Le Cercle des Economistes en a marre de la pauvreté du débat économique en France et compte ouvrir proposer lui-même son programme éco de gauche et de droite.Sûr qu’avec ça, on avancera. :oD

  6. Le problème est plutôt qu’au discours si infiniment réducteur des petits libéraux de salons mondiaux où qu’on pense on ne peut guère opposer que le discours à peine moins réducteur de socio-démocrates tout aussi manipulateurs.dans leurs hypothèses ou leurs raisonnements.Une conclusion cruelle, mais pas forcément méchante : vous aviez raison de regretter qu’il se trouve plus d’étudiants pour envisager une filière arts du spectacle plutôt qu’une filière économie. Et ce d’autant plus que, parfois, le plus comédien des deux n’est pas forcément celui qu’on pense. Mais, honnêtement, un étudiant un tant soit peu brillant n’avait-il pas les moyens de s’en rendre compte par le simple biais de cours subis d’économie selon le programme officiel ? Mais j’admettrais bien volontiers qu’on ne soit pas de mon avis, bien que l’opinion que j’exprime ici soit, dans mon esprit du moins, sincère et informée.

  7. Rien à dire sur le simplisme et sur la rigidé (!) des jugements de valeur sous-jacents aux critères utilisés.Rien à dire non plus sur la remarque concernant la qualité des journalistes du Monde.Par contre, je suis toujours un peu géné par les auto-citations, qui ont tendance à représenter celui qui en use pour quelqu’un de certain de ses certitudes, et pas forcément enclin au doute scientifique 😉  Citer un copain, c’est plus discret et ça moins égocentrique.

  8. Dans Les Echos du 6 septembre, on trouve une analyse du rapport et assez longue intervention de Pascal Clément ; il est déjà intéressant de noter que “le quotidien de l’économie” ait jugé que ce travail relevait du domaine juridique plutôt qu’économique. Et Pascal Clément développe une argumentation technique qui, à mon regard incompétent, semble tout à fait intéressante : il oppose la méthode de la Banque Mondiale qu’il qualifie de “philosophie anglo-saxonne” d’un droit purement contractuel qui recherche l’encadrement juridique le plus léger et le moins cher, à un droit “romano-germanique” plus lourd. L’avantage du second, dit-il, plus complet et plus précis, est de limiter le recours au coûteux contentieux : si tous les cas de figures sont prévus, l’encadrement légal est plus envahissant, mais il impose moins souvent que le juge dise ce droit qui fait défaut dans la “common law”.

    C’est une hypothèse sociologiquement très intéressante, puisqu’elle voit l’affrontement de deux normes opposées et appuyées toutes deux sur de longues traditions propres chacune à un espace culturel défini. On a l’impression que, élevés dans la “common law”, les auteurs du rapport considèrent leur norme comme LA norme, à partir de laquelle ils jugent les autres, et l’écart que celles-ci ont a combler pour se rapprocher de la vérité qui est la leur.

    Pascal Clément a par ailleurs un développement intéressant sur la manière dont il compte assurer, notamment auprès des pays en développement, la promotion de ce droit “romano-germanique” ; évidemment, quand il parle de sa bataille contre les normes comptables IRFS, laquelle a exclusivement, et en vain, été menée par les institutions financières, banques et sociétés d’assurance, il est moins convainquant, d’autant qu’il arrive largement après la bataille.

  9. @ bah : "Mais, honnêtement, un étudiant un tant soit peu brillant n’avait-il pas les moyens de s’en rendre compte par le simple biais de cours subis d’économie selon le programme officiel ?" Réponse sans ambiguité : non. Deux "preuves" : 1/ j’ai échangé avec des étudiants de M1 (4ème année de fac d’éco) l’an passé sur le benchmarking et les critiques que l’on pouvait en faire, pas de réponse très convaincante. 2/ j’étais impliqué dans un séminaire Erasmus à la fac les 15 derniers jours. Ce séminaire rassemblait des étudiants d’économie d’un peu partout en Europe. En dehors des étudiants français (déformés par mes cours, il est vrai!), c’était plutôt apologie des discours genre Banque Mondiale…@ william : bof, j’me cite assez rarement je crois, c’était un moyen rapide de dire ce que j’entendais par stratégie du poisson rouge ; puis faut bien que  j’optimise mes ventes!  :o)  Plus sérieusement, je crois qu’il est parfois très confortable de se réfugier derrière  les références à des travaux d’autres chercheurs que  de s’exposer directement, non? @ enzo : merci pour le lien très intéressant!@ AJC : j’aime bien votre commentaire un brin excessif sur Stiglitz "bouquin pas nécessairement très bon au niveau théorique" ;o)

  10. @ denys : pour comprendre la réaction de Clément, il faut savoir que le rapport Banque Mondiale, sur l’aspect marché du travail notamment, dérive d’un article de Botero et al. qui insiste précisément sur les différences de systèmes juridiques.lien  : http://www.doingbusiness.org/documents/labor_June04.pdfles propos de Clément me semblent pertinents, tout comme votre remarque : "On a l’impression que, élevés dans la "common law", les auteurs du rapport considèrent leur norme comme LA norme, à partir de laquelle ils jugent les autres, et l’écart que celles-ci ont a combler pour se rapprocher de la vérité qui est la leur." De la difficulté de faire des études comparatives quand on baigne soi-même dans une des sociétés étudiées…

  11. Politiquement parlant, le PS serait bien inspiré de proposer quelques mesures libérales mettant fin à des pratiques obsolètes ou iniques découlant de règlementations inadaptées, ne serait-ce que pour donner des gages de bonne foi concernant son aptitude à savoir quand il le faut penser libéralPar exemple, permettre la libre installation de pharmacies et la VPC de médicaments, réfléchir à l’état du droit concernant les officines notariales ou d’huissiers. ou assouplir les règles pour permettre à plus de citoyens de construire leur habitat comme bon leur semble. Ou permettre le libre établissement d’établissement de formation professionnelle ou continue. Enfin, ce sont de simples exemples. Tout le monde sait bien qu’une mauvaise règlementation est plus défavorable au citoyen qu’une absence de règlementation. Accepter le principe d’un libre réexamen de toute règlementation existante à l’initiative des citoyens est-il donc si inenvisageable ?En ce qui me concerne, si le programme du PS est de construire une majorité par coalition d’intérêts corporatistes, ne comptez pas sur moi.

  12. OBO :"@ AJC : j’aime bien votre commentaire un brin excessif sur Stiglitz "bouquin pas nécessairement très bon au niveau théorique" ;o)"Ben… Stiglitz… là…C’est un truc d’histoire économique. Ou du "gonzo-économique" qu’il nous a fait. Enfin, c’est mon humble avis. Et c’est selon mes souvenirs. :oDCe que je voulais dire, c’est que c’était pas un bouquin de théorie économique. Surtout une sorte de "vis ma vie de vice-président de la Banque Mondiale et d’ancien conseiller de Bill Clinton !".Il montre plus la réalité qu’il ne la "théorise", dans ce livre.J’ai dis une connerie ? (Traduction pour les économistes, profs et docteurs passant : "aurais-je formulé une hypothèse scientifique ?".)AJCPS : en me relisant, je viens de voir que cela pouvait être compris dans plusieurs sens à la fois… ^_^”’

  13. obo: quand j’évoquais l’hypothèse d’étudiants brillants, je parlais d’étudiants ayant subi des cours d’économie (obligatoire dans de nombreuses filières) mais ayant pour la plupart choisi d’autres  filières dans le supérieur (d’où ma fine allusion à l’enseignement économique qui peut révéler chez celui qui le subit un goût prononcé pour les arts du spectacle). D’autre part, étant donné qu’en économie, les réponses à une question donnée dépendent de l’obédience de l’enseignant dont on dépend (cas unique dans les enseignements académiques au lycée général !), les étudiants en économie agissant en homo economicus ont intérêt à dire ce que leur enseignant a envie de les entendre dire quoi qu’ils puissent penser en leur for intérieur.

  14. Haaa je viens de comprendre là où ça devenait excessif… ^_^”’"Ces exemples me font un peu penser à ceux de la Grande Désillusion de Stiglitz… bouquin pas nécessairement très bon au niveau théorique, mais qui a le mérite de présenter l’envers du décor à des individus ordinaires, lui aussi…"Fallait comprendre ça comme le fait que Stiglitz présentait plus la réalité et l’envers du décor qu’il ne théorisait tout cela, dans son bouquin, qui fait très "témoignage d’époque", avec un fort recul.(Et de la théorie derrière, mais soutenant les expositions du réel qu’il fait. Sauf à la fin, où il se lance dans du 100% normatif, si je me rappelle bien. Bref, le truc, c’est pas un manuel d’éco ou quelque chose qui nous apprend énormément de choses au niveau théorique pur.)Et fallait pas non plus comprendre que je faisais le lien avec vos extraits voire votre livre, en disant que dans les deux cas c’était pauvre en théorie. ;o)(Vu que je ne signalais pas cela.)Toutes mes excuses, je m’étais mal exprimé. (Surtout que je conseille assez souvent le bouquin de Stiglitz à ceux n’y connaissant strictement rien, à l’éco… même si au final je suis moyennement d’accord avec certains passages me semblant un peu bizarre.)J’espère que c’est de cela que vous parliez. Ou alors je suis encore plus à côté de la plaque que je ne le croyais. :oDAJC

  15. moi ce que je trouve inquiétant c’est la fin indiquant implicitement qu’il faut investir dans les pays à faible réglementation, ce qui heureusement n’est pas suivi because infrastructures etc.. mais qui permets aux gouvernements de faire du chantage

  16. Tout ce que dit la Banque Mondiale est qu’investir dans des pays faiblement règlementé est plus rentable que d’investir dans des pays règlementés.Si on considère que l’une de ses missions est de trouver des investisseurs acceptant de financer des projets dans les pays en voie de developpement, il est bien logique qu’elle remarque que, ô fâcheuse coïncidence, les pays sous-developpés sont généralement faiblement règlementés et, ô miracle, que les investissements y sont rentables.En résumé, la Banque Mondiale fait ici son job : convaincre les investisseurs d’investir dans les pays en voie de developpement, fût-ce au détriment des pays développés : une objection ?C’est facile après coup de se donner bonne conscience en allant regarder "le cauchemar de Darwin" et en imaginant qu’il existe un complot capitaliste et libéral unissant les trafiquants d’armes de tanzanie et le patron de la PME qui vient de vous virer, mais bon : à part se créer des souffrances inutiles sans gêner qui que ce soit, ce n’est pas très constructig.

  17. @ Liberoidal : oui, une objection, et une importante : le lien pays faiblement réglementé – investissement rentable n’est pas démontré, c’est une hypothèse faite par la BM. Affirmer "les pays sous-developpés sont généralement faiblement règlementés et, ô miracle, les investissements y sont rentables." est donc contestable. Surtout si vous allez chercher des stats sur les IDE dans le Monde, vous verrez que les PVD attirent peu, l’essentiel est concentré dans les pays développés… Avec des exceptions, bien sûr, notamment la Chine et l’Inde, très mal classés par Doing Business, soit dit en passant…pour info, je ne passe pas mon temps à dénoncer le complot capitaliste et libéral, je passe mon temps à dire que le capitalisme se caractérise par sa diversité et qu’il faut arrêter de le réduire à l’une de ses formes. Je passe mon temps à dire également que la mondialisation est ambivalente : créatrice de richesses mais productrice aussi, et de manière indissociable, d’inégalités sociales et spatiales. @ AJC : pas d’affolement, c’est l’ambiguité qui m’amusait : effectivement peu de théorie dans le bouquin de Stiglitz, mais je ne crois pas qu’il est "pas très bon au niveau théorique" le p’tit gars!

  18. O.B-O: Objection acceptée !.Oui, il est possible de réaliser de fructueux investissements dans des pays où exigent des reglementations sociales sophitiquées. Et il est probable que le profit maximal qu’on puisse escompter dans un pays très règlementé est équivalent/comaprable à celui qu’on peut obtenir dans un pays totalement dérèglementMais la Banque Mondiale n’a pas vocation à s’occuper de ces pays, car s’ils possèdent des règlementations sociales adaptées, ils disposent aussi d’institutions adaptées, et donc, n’ont aucun besoin de la Banque Mondiale pour définir leurs stratégies politiques, industrielles, internationales, etc.La mission de la Banque Mondiale est d’aider au developpement de nations aux institutions inexistantes ou inadaptées. Il est loguique qu’elle observe que dès lors qu’il n’existe pas d’institutions dignes de ce nom, l’absence d’institutions, et ce qui en découle c’est à la l’absence de règlementations sociales ne rend pas pour autant les investissements non-rentables.Le reste, vous en conviendrez, je pense, est de la politique politicienne. On peut d’un côté se demander si une dette publique colossale est le signe d’institutions adaptées. On peut de l’autre s’interroger quand à savoir si la capitalisme sauvage promeut immanquablement démocratie et prospérité. Ces débats-là sont intéressants, et honnêtes : celui qui consiste à prétendre que sous prétexte que quelques idéologues, même journalistes ou universitaires, détournent les publications de la Banque Mondiale de leur contexte pour alimenter leur machine à boniments sont iniques, trompeurs, et font le lit de toutes les démagogies.

  19. @ liberoidal : je ne détourne pas les publications de la Banque Mondiale de leur contexte, je pointe du doigt le fait que l’analyse de la BM est biaisée, que les préconisations qui en découlent sont contestables, et que ceci peut pénaliser in fine les pays en voie de développement. Regardez ce qu’ont donné les politiques d’ajustement structurel dans les PVD. Regardez l’exemple de la transition russe. A contrario, voyez les stratégies mises en oeuvre par des pays comme la Corée du Sud. Doing Business, qui est utilisé pour allouer les financements de la BM, oriente l’évolution du système institutionnel des pays aidés, dans une direction particulière, sans prendre acte de l’histoire des pays ni du fait que le capitalisme est compatible avec différentes architectures institutionnelles.Soyez bien sûr que mon objectif n’est pas de développer une "machine à boniment" ou de sombrer dans la démagogie, mais d’identifier les voies les meilleures pour favoriser le développement des pays les plus pauvres. Quand la BM se fourvoie, il me semble possible d’émettre une critique.

  20. J’accepte bien volontiers vos observations.Vous conviendrez cependant, je pense, de l’importance de réussir un developpement à peu près harmonieux à l’échelle du globe pour donner aux générations futures l’espoir d’une vie heureuse. Et encore, bien d’autres enjeux plus terrifiants à mes yeux du moins subsistent (la soutenabilité à terme des modes de vie, par exemple).Les pays du Nord, parmi lesquels le nôtre, se complaisent à plus ou moins hypocritement refuser aux pays en voie de developpement leur chance : accords inter-gouvernementaux sur les matières premières avec des régimes totalitaires (gaz algérien, pétrole saoudien, uranium africain, p.e.), attitude protectiviste face aux exportations agricoles du Tiers-Monde, Promotion de logiques de propriété intellectuelle interdisant aux pays en voie de developpement de concurrencer par les coûts les secteurs chimiques, pharmaceutiques et high-tech, j’en passe, et des meilleures.Si nous autres citoyens des pays riches acceptions les conséquences des inégalités que nous créons en laissant nos frontières ouvertes, ce serait "presque raisonnable" (quoi que certainement horrible, cynique, et honteux à d’autres yeux). Mais comme tel n’est pas le cas, la Banque Mondiale accomplit sa mission comme elle le peut, mais ne demanderait certainement pas mieux que de voir les gouvernements des pays riches oeuvrer de sorte à ce que son existence même ne se justifie plus.Alors, si la propagande de la Banque Mondiale vous insupporte, faites tout simplement mieux. Si vous n’attendez plus rien des gouvernements; peut-être peut-on attendre quelque chose des économistes ?Mais effectivement, si c’est au milieu du néant de la pensée qu’il faut se positionner de sorte à donner un avenir aux vivants, faut-il pour autant renoncer ? Vous l’aurez compris, ma réponse est évidemment négative.

  21. OBO :Oui, j’avais compris. :o)C’est en me relisant que j’avais vu l’ambiguité de ma phrase…Un petit gars qui monte, Stiglitz, hum ? :oDFaudrait l’encourager. Les jeunes espoirs comme ça, faut les booster, les pousser un peu. Si ça se trouve, un jour ou l’autre il recevra une récompense ou obtiendra même un poste de prof, ou dans une administration. :o)Il a un blog ?AJC

  22. Le gros problème à la BM, outre que je ne sais pas jusqu’à quel point l’influence politique de Washington entre en ligne de compte pour allouer les fonds (ex: Géorgie, Afghanistan sont bien placés pour en avoir en priorité cette année), c’est cette manie de vouloir une formule miracle universelle et facile à utiliser pour sortir les pays du caca. Tantôt c’est libéral, tantôt c’est keynésien, mais il faut toujours que ce soit simple et standard.
    Je dis ça, je dis rien, mais à voir ça la BM ça doit être la bonne planque pour y bosser. On doit y être peinard.

  23. vulgos: il est clair que l’avis d’un pays qui donne beaucoup plus d’argent qu’un autre à la Banque Mondiale est pris un peu plus en compte à la BM. Mais rien n’oblige qui que ce soit à faire passer son aide par la BM. Le rôle de la BM, c’est aussi de convaincre les donateurs que ça vaut le coup de bosser avec elle, c’est à dire, que c’est plus rentable pour le donateur de passer par la BM plutôt que, comme Mr Bill, monter sa propre ONG à sa gloire.Je suppose que vous préférerez quand même que la BM distribue de l’argent plutôt que d’en priver les bénéficiaires ?

  24. Certes Liberoidal, mais si c’est pour rendre cet argent inutile en imposant des mesures délétères, ça ne présente pas d’intérêt. Lors de la crise de 97, les pays qui n’ont pas bénéficié des secours financiers du FMI et de la BM car refusant de suivre leurs préconisation s’en sont nettement mieux sortis que ceux qui ont été aidés. Il y’a quand même un problème?Personne ici ne dit qu’il faut supprimer le FMI et la BM, mais ils gagneraient peut être à complexifier un peu leurs analyses.

  25. Il serait intéressant de regarder effectivement, en détail, quelles mesures sont exactement proposées par la BM et quelles mesures sont prises par ceux auxquels la BM s\\\’adresse. Il y a souvent décalage.Par ailleurs, accepter de l\\\’argent de la BM, c\\\’est toujours d\\\’une certaine manière subir une colonisation, colonisation d\\\’autant plus intéressée que lancée par des intérêts particuliers.Soyons clairs : lorsqu\\\’un état choisit de se débrouiller sans la BM, il a *toujours* raison. Reste que tous n\\\’y parviennent pas. Certains choisissent d\\\’aller avec la BM alors que rien ne le leur impose : on peut honnêtement se demander pourquoi : au final, les populations trouvent toujours leur raison quand ceux charger de la trouver avant eux l\\\’ignorent.N\\\’oubliez cependant jamais ceci : si les gouvernements du nord étaient réellement généreux et sincèrement désintéressés, la BM n\\\’existerait même pas : mais qui veut tuer son chien l\\\’accuse de la rage… La BM ne peut pas complexifier ses analyses au delà du point de consensus entre économistes scientifiques à niveau mondial, car elle doit tenir un discours qui sera toujours contesté sur le fond au nom d\\\’intérêts particuliers : c\\\’est donc l\\\’incapacité de certaines théories économiques à établir leur existence en tant que consensus scientifique qui fait la relative pauvreté de la théorie maniuplée par les économistes de la BM.

  26. @libéroïdal: "La BM ne peut pas complexifier ses analyses au delà du point de consensus entre économistes scientifiques à niveau mondial"
    C’est précisément cela que je critiquais et qui me semble dangereux. Comment des théories tirées et applicables à une certaine situation économique (en gros, une société libérale et démocratique) pourraient-elles être valable dans des sociétés à l’économie et aux problèmes tout à fait différents?
    En économie, on oublie facilement l’environnement auquel la règle s’applique ou dans lequel une décision s’est révélée efficace. Faut pas s’étonner si les recettes économiques qui marchent aux USA provoquent des catastrophes en Ouganda. C’est comme si les physiciens appliquaient la mécanique newtonienne au niveau des quantas. J’attends de la BM qu’elle prenne plus en compte les problèmes locaux et invente des solutions ad-hoc plutôt que d’appliquer comme des robots une formule standard tirée de l’étude de l’économie US.

  27. Vulgos, je comprends tout à fait votre point de vue.Vous savez pourtant que ces officines de la pensée globale que sont l’OCDE, la BM et le FMI ne ménagent pas leurs efforts pour recruter des wagons et des wagons d’économistes. Pourquoi ? Parce que ces officines n’ont aucune légitimité en tant que telles, et notamment, rien de la légitimité des états auxquels, souvent, elles s’opposent (notamment les gouvernements peu démocratiques du tiers-monde).Retenons bien ce point : la BM n’a aucune légitimité. Alors, pour tenir un discours qui puisse atteindre quelque crédibilité à la table des états, il faut s’appuyer sur la seule source de légitimité transnationale à notre époque (religion, idéalisme et morale étant hors-jeu) : la science économique.La BM se sert donc de l’état de l’art économique tel qu’il est pour mener à bien ici et aujourd’hui sa mission telle qu’elle est, en manoeuvrant la théorie économique disponible pour servir les fins pour lesquelles elle existe, à savoir, convaincre les riches d’investir chez les pauvres sans pour autant exiger, comme le font si souvent les états au premier rang desquels la France, des pactes stratégiques sur l’approvisionnemnt en matières premières, dignes méthodes héritées de l’ère coloniale.Ce n’est donc pas le discours de la BM qui fait la crédibilité d’une thèse économique, mais l’inverse. La BM n’est pas une officine d’économie : c’est l’employeur de scientifiques payés à l’aider à bâtir des argumentaires partiaux.. La BM ne demanderait pas mieux que de disposer de thèses économiques consensuelles à manoeuvrer, par exemple, pour trouver d’autres bailleurs de fond que les aventuriers.

  28. On notera en complément du message précédent que, prenant acte de la légitimité innattendue donnée à la BM par la (légitime, mais que j’apprécierais de voir un peu plus pacifique et festive) contestation alter-mondialiste (et anti-mondialiste), le très néoconservateur Wolfowitz, théoricien de l’interventionnisme au nom du pouvoi détenu indépendamment de sa légitimité, décline logiquement ses thèses :http://lefigaro.fr/eco/20060919.FIG000000202_le_president_de_la_banque_mondiale_impose_sa_charte_anticorruption.htmlQuand on connait le positionnement de la France et de ses alliés exta-européens traditionnels dans les classements mondiaux relatifs au taux de corruption, on rigole bien.En conclusion, à force de dire que la BM a un pouvoir d’influence du à l’argent qu’elle donne, vous finirez par rendre l’affirmation réelle :-), ce qui rendra la composition des cénacles d’experts économistes de la BM plus sensible

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