Si l’origine de la vie nous était contée : les Gabonionta…

Article Réalisé à partir du dossier de presse du NHM – Naturhistorisches Museum Wien.

Gabonionta_(c)NHM

En 2010, un article dans la revue Nature a fait l’effet une bombe. Le géologue Abderrazak El Albani de l’Université de Poitiers, de l’institut de recherche (IC2MP) et du Centre National Français de la Recherche Scientifique (CNRS) a découvert près de Franceville au Gabon les plus anciens fossiles d’organismes complexes, dans des schistes datant de 2,1 milliards d’années. Ces extraordinaires fossiles ont été étudiés par une équipe internationale coordonnée par le Pr El Albani. Cette découverte sensationnelle a fondamentalement changé notre compréhension de l’évolution de la vie et a repoussé l’origine connue de la vie multicellulaire et macroscopique de plus de 1.5 milliards d’années.

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Inauguration de l’exposition Die Gabonionta.

De gauche à droite, Mathias HARZHAUSER, Directeur de la partie Géologie-Paléontologie du Musée NHM, M. Pacôme MOUBELET BOUBEYA Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche du Gabon, le Pr Franck Daniel IDIATA Président du GENAREST, Abderrazak EL ALBANI IC2MP Professeur des Universités, Christian KOEBERL, Directeur du Musée d’Histoires Naturelles NHM, M. Yves JEAN Président de l’Université de Poitiers.

Les Gabonionta et les origines de la vie – Dossier de presse du NHM
Les plus anciens fossiles de restes d’organismes, à savoir des fossiles de biofilms ont été conservés dans des roches de 3.48 milliards d’années. Les fossiles eucaryotes datent d’il y environ 1.8 milliard d’années et se distinguent des organismes procaryotes par la présence d’un noyau cellulaire et d’organites. Des analyses de pointe se basant sur l’hypothèse de l’horloge moléculaire ont confirmé l’origine Protérozoïque d’eucaryotes récents. Mais en fait, il est possible que les eucaryotes aient constitué un élément important de la biosphère déjà beaucoup plus tôt : en effet les scientifiques ont constaté des biomarqueurs typiques de ces organismes dans des hydrocarbures âgés de 2.7 milliards d’années identifiés dans le cratère de Pilbara en Australie. Sans doute la vie multicellulaire ’est développée plusieurs fois et dans des domaines variés. Néanmoins la communauté scientifique a considéré jusqu’ici que son apparition ainsi que l’origine de la vie macroscopique se situaient à l’aube de la faune d’Ediacara qui s’est développée beaucoup plus tard, c’est à dire il y a environ 580 millions d’années. Abderrazak El Albani et son équipe ont remis en cause ce point de vue : ils ont découverts dans des sédiments gabonais âgés de 2.1 milliards d’années des fossiles d’organismes macroscopiques et multicellulaires vivant en colonies, les fameux Gabonionta. Cette découverte est une véritable révolution scientifique.

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Légende de la photo : Inauguration de l’exposition Die Gabonionta.
Les étudiants de L3 de l’Université de Poitiers Romain BEUZEVAL, Christophe RONEZ, Yohan MILLIN, Jérémie AUBINEAU avec Yves JEAN le Président de l’Université de Poitiers, Michel DIAMENT Directeur de l’INSU du CNRS et le Pr Abderrazak EL ALBANI. Photos IC2MP.

L’oxygène un moteur de l’évolution
D’un point de vue géochimique, le moment de l’apparition le moment de l’apparition des Gabonionta n’est pas dû au hasard, mais à l’un des grands bouleversements de l’histoire de la Terre : le G.O.E ou Great Oxydation Event (la grande oxydation). Entre 2.4 et 2.3 milliards d’années, pendant la glaciation Huronienne, de l’oxygène libre s’est pour la première fois accumulé dans l’atmosphère. on pense que la vie elle-même est à l’origine de cet énorme changement : probablement il y a 3.1 milliards d’années, mais en tous cas au plus tard il y a 2.7 milliards d’années, la photosynthèse oxygénique des cyanobactéries en tant que modèle exemplaire d’un métabolisme efficace s’est largement répandue. L’oxygène libre s’est fixé dans les océans avec le Fe2+ et les molécules organiques. La jeune atmosphère à son tour était le théatre de réactions chimiques entre l’oxygène et les minéraux réduits de la lithosphère. C’est seulement suite à l’oxydation des océans et de la lithosphère que l’oxygène pouvait s’accumuler dans l’atmosphère, à l’époque encore riche en méthane. Sous l’influence des rayons UV, ce gaz à effet de serre produit par des bactéries s’oxyde rapidement en CO2 ainsi qu’en eau ; aussi représentait-il un obstacle à l’accumulation de l’oxygène moléculaire, mais au moment où toutes ces réactions consommatrices d’oxygène se sont arrêtées dans l’hydrosphère, la lithosphère et l’atmosphère, le Great Oxydation Event ou Grande Oxydation a pu changer le visage de notre planète. L’accroissement d’oxygène qui en résultait, était probablement la condition sine qua non pour l’évolution des Gabonionta et leur succès.

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Gabon fossils, 2.1 Ga years old…

Formes de vie complexes et structurées
Jusqu’à la découverte des Gabonionta, le monde scientifique ne connaissait que deux organismes qui auraient pu être les représentants de la vie multicellulaire macroscopique : Grypania spirales est un organisme en forme de rubans enroulés d’une longueur de plusieurs centimètres ; ses traces remontent à 2.1 milliards d’années et ont retrouvées en Inde, en Chine et Amérique du Nord. Horodyskia par contre présente une morphologie qui penser à un collier de perles et a été découvert dans des sédiments âgés de 1.5 milliard d’années au Montana et en Australie. Grypania spiralis est surtout considéré comme une algue eucaryote, tandis que Horodyskia pourrait être l’un des premiers organismes fongiques. Ces deux formes de vie présente une morphologie peu complexe et rappellent les communautés macroscopiques des archées. D’une morphologie plus complexe, les Gabonionta, par contre ne peuvent être considérés comme tels. Plus de 450 spécimens ont été récoltés à ce jour. D’une taille atteignant 17 cm, ces fossiles constituent des morphotypes différents. Certains spécimens présentent une morphologie plus ou moins circulaire, d’autres ont une forme plus allongée faisant penser à des vers aplatis. Jusqu’à aujourd’hui, il n’est pas possible d’affirmer si ces différentes formes de vie constituent des espèces distinctes ou illustrent la variabilité de forme au sein d’une même espèce. Néanmoins, en raison des différences évidentes entre les morphotypes, il est probable que de nombreuses espèces coexistaient. Pour comprendre la structure interne des Gabonionta, El Albani et son équipe ont analysé les spécimens à l’aide d’un micro-tomographe. Les données ainsi collectées ont permis de reconstruire des modèles virtuels en 3D qui révèlent l’organisation interne des Gabonionta : un élément central de forme ellipsoïde ou sphérique, typique de ces organismes. Cet élément présente souvent certains plissements, ce qui est probablement dû à une déformation post-mortem de l’élément central gélatineux. Celui-ci présente une fabrique radiale en bordure, plus ou moins courbée et étendue. El Albani estime que la morphologie complexe des Gabonionta est le plus ancien indice géologique d’une croissance structurée et d’une communication intercellulaire. Le site de découverte des fossiles se situe à quelques kilomètres de Franceville, dans le bassin francevillien. Les fossiles ont été trouvés dans des schistes argileux noirs issus d’un environnement marin côtier d’eau peu profonde. De nombreuses plaques présentent un grand nombre de fossiles : in-situ on y trouve parfois jusqu’à 40 spécimens par mètre carré. apparemment, les Gabonionta vivaient en grandes colonies sur les hauts-fonds marins plats. Les fossiles conservés sous forme d’empreinte et de contre-empreinte ont été transformé en pyrite et en oxyde de fer. Grâce à cette conservation, l’équipe d’El Albani a pu apporter la preuve géochimique qu’il s’agissait bel et bien de matière vivante fossilisée.

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Le professeur El Albani lors de l’installation de l’exposition de Vienne

La fin de l’évolution des Gabonionta
La période d’évolution des Gabonionta était alors fortement liée au G.O.E Grand Evènement d’Oxydation. Leur disparition aussi a probablement été influencée par le développement de l’atmosphère. 100 millions d’années seulement après l’épanouissement des Gabonionta, le taux d’oxygène dans l’atmosphère a brusquement chuté, et de nouveaux ce sont les sédiments marins protérozoïque du bassin francevillien qui nous livre les indices de cet évènement. Dans des séries sédimentaires âgées de 2.15 à 2.08 milliards d’années, donc beaucoup plus récentes que les couches fossilifères des Gabonionta, une équipe menée par Donald E. Canfield et Abderrazak El Albani a pu constater en 2013 une rapide transformation de l’eau profonde et riche en oxygène en un milieu euxinique (voir article PNAS, 110, 16736-16741). Cette crise d’oxygène a été précédée par une période globale où des grandes quantités de carbone organique ont été fixées dans les sédiments : d’un point de vue géochimique, ce moment clé nommé Evènement Lomagundi. Lorsque des activités tectoniques ont soumis les sédiments accumulés à l’altération, le carbone organique présent dans les sédiments est devenu un immense réservoir chimique absorbant l’oxygène atmosphérique. Pour les scientifiques , c’était le début d’une période stable appelé par le monde anglophone the boring billion, le milliard ennuyeux.

Voir les photos et les vidéos de l’Exposition au NHM de Vienne (Autriche).