Le TAP nous accueille pour « Shakespeare et la nouvelle scène »

Jeudi 16 mars 2012. Le TAP nous accueille pour la journée d’études consacrée à « Shakespeare et la nouvelle scène », conjointement organisée par les branches B1 et B2 du Laboratoire de Recherche FORELL (FOrmes et REprésentations en Littérature et Linguistique). Quelques mots et bribes synthétiques sur cette journée conviviale et riche d’échange entre enseignants-chercheurs, étudiants et metteurs en scène.

Accueil chaleureux de Corinne Delaval qui nous conduit au Plateau B où va se dérouler notre journée. A ma demande, Corinne Delaval est heureuse de préciser:

« Le plateau B est ainsi nommé en hommage à Jean-Marc Bordier, ancien adjoint à la culture sous l’ère Jacques Santrot, à qui la culture poitevine doit beaucoup. C’est l’une des 3 salles de répétition du TAP, c’est la plus grande  avec ses 220 m2. Elle ouvre sur un patio et est entourée de loges. Elle est la seule équipée d’un gradin, et peut accueillir un public de 100 personnes pour des spectacles nécessitant une certaine intimité donc. Son traitement acoustique rappelle celui de l’auditorium en simplifié. Ici peuvent se répéter toutes les formes artistiques grâce aux panneaux muraux en bois qui s’orientent selon le son voulu. Cette année, le TAP y a programmé différents spectacles : magie, concerts, danse et performance et, tout dernièrement, le Chantier Macbeth, création théâtrale en partenariat avec l’Université (master dramaturgie et mise en scène) et le Conservatoire (département art dramatique). Cet espace permet également d’y accueillir des ateliers de pratiques artistiques (atelier « jeu et écriture de plateau » avec la Cie « Les chiens de Navarre »), des rencontres artistique (la leçon Shakespeare avec Matthieu Roy et David Bobee) ou encore des journées d’études de l’Université ».

En introduction, Leila Adham (maître de conférences à l’Université de Poitiers) pose les questions essentielles auxquelles nous allons tous tenter d’apporter une réponse, du moins une partie de réponse, aujourd’hui. Extraits:

« Quel Shakespeare hante la scène contemporaine ? En quoi Shakespeare nous regarde-t-il encore ? Comment expliquer sa survivance ? N’est-ce pas son œuvre déformée que nous contemplons et n’est-ce pas cette déformation, cette forme de transgression, que nous venons voir? Il nous appartient de redécouvrir Shakespeare depuis la nouvelle scène ».

Puis, Florence March (maître de conférence HDR à l’Université d’Avignon) nous parle de la présence de Shakespeare en Avignon de 2004 à 2011 (le Festival d’Avignon s’est ouvert en 1947 avec le Richard II de Shakespeare). Extraits:

« Pourquoi l’omniprésence de Shakespeare sur la scène contemporaine ? Depuis 25 ans, on constate une explosion des adaptations de pièces de Shakespeare sur la scène européenne. Au Festival d’Avignon, Shakespeare est une donnée récurrente de la programmation (il est monté par Colas, Ostermeier, Macaigne…). Le lecteur du 20ème a tellement l’habitude de considérer Shakespeare comme un classique qu’il n’a plus conscience que son théâtre est ancré dans la culture populaire. On assiste à une appropriation collective de son théâtre, car on trouve chez lui des échos de nos peurs et la force de les dépasser. Notre période de crise a engagé le renouveau du théâtre humaniste. Et les textes de Shakespeare offrent une très grande plasticité, une « adaptogénie » à des contextes différentes. Shakespeare est très présent, mais pas de la même manière: il y a, aujourd’hui, une désacralisation, ou du moins une renégociation, du mythe shakespearien. Revisiter les textes de Shakespeare revient à les exhumer. Les artistes contemporains jouent de Shakespeare plutôt que du Shakespeare. On n’est plus dans la dialectique de la fidélité et de la trahison, mais dans un rapport de proximité, de dialogue, de démarche dialogique. La culture de l’emprunt existait déjà à la Renaissance anglaise. Il y avait plusieurs versions d’un même texte, un dynamisme intertextuel, pas de forme de fixité. Les textes étaient pluriels et en perpétuel devenir. Aujourd’hui, la traduction d’un texte est comme une recréation: il y a un rapport de dialogue avec l’œuvre source. Dans l’adaptation que David Bobee fait de la traduction de Pascal Colin, il donne à voir la traduction à l’œuvre, il joue sur l’effet d’étrangeté. On monte du Shakespeare pour parler à travers lui: il est un vecteur, pas une fin en soi. Que fait on de l’héritage culturel du 16ème. Le théâtre de Shakespeare n’est pas muséal, c’est un théâtre du questionnement. Comme le disait Peter Brook, il faudrait oublier Shakespeare pour mieux le trouver. Il faut résister à la tentative de la commémoration et inventer des stratégies obliques de négociation ».

Jitka Pelechova (docteur à l’Université de Paris Ouest Nanterre) nous présente, avec extraits filmiques à l’appui, le Hamlet d’Ostermeier monté à Avignon en 2008. Extraits.

« Ostermeier s’inscrit dans une logique de réalisme. Il étudie des comportements sociaux et nous donne à voir un théâtre sociologique. Il fait constamment le lien entre le texte et ce que ce texte peut vouloir dire aujourd’hui. Sa marque de fabrique, quasi systématique, c’est l’actualisation. Il utilise le découpage cinématographique; il parodie l’esthétique de certaines séries télévisées, de la télé réalité, des clips vidéo. Il utilise aussi des projections. Il recourt à l’élément musical qui gère le spectacle dans son ensemble. Lui-même est musicien. Dans son Hamlet, par exemple, on entend une parodie de la chanson de Carla Bruni par Gertrude, « Ma cam ». Sa cam, c’est Claudius. Ostermeir tient à réactiver le cordon ombilical entre le théâtre et la réalité actuelle. D’où le terme d’actualisation. »

Françoise Dubor (maître de conférences à l’Université de Poitiers) étudie, quant à elle, l’influence d’Artaud sur la mise en scène de Macaigne dans son adaptation d’Hamlet: Au moins j’aurai laissé un beau cadavre (Avignon 2011). Extraits.

« Au moins j’aurai laissé un beau cadavre est aussi une adaptation libre de Shakespeare. En annonçant qu’il s’est librement inspiré de Shakespeare, Macaigne s’affranchit de la dette contractée envers ses prédécesseurs. Il retravaille la notion de héros. On peut se poser la question de savoir si Macaigne est un héritier d’Artaud. Artaud, on le sait, est pour un théâtre qui nous réveille, qui ravive l’action immédiate et violente, qui ravive l’instabilité du temps. Il s’agit, pour lui, de rompre l’assujettissement au texte. Pour Artaud, le théâtre, c’est la vie, et cette vie il veut la rendre au théâtre. Or les idées d’Artaud entrent en résonance avec ce que fait Macaigne. Macaigne accepte les improvisations et les partitions verbales hautement instables. Son public assiste à un état du travail et non à une forme close. Il s’agit d’éviter la répétition sclérosante et de mettre tout le monde sur le qui vive. Macaigne se demande et nous demande : qu’est ce que la victimisation? qu’est que la culpabilité ? Quand il met en scène, il travaille sur son propre chaos, comme Artaud. Il recourt à des débordements qui se traduisent par une licence verbale et physique (beaucoup de violence et de corps nus dans ses mises en scène). Il s’agit bien pour lui aussi de ‘briser le langage pour toucher la vie’ ».

Pour ma part, je fais le lien entre mise en scène et dramaturgie poétique et tente d’analyser la persistance d’Hamlet dans les poèmes récents d’Yves Bonnefoy, notamment dans Bête effrayée, Première ébauche d’une mise en scène d’Hamlet, Hamlet en montagne et L’heure présente (2011). Je me penche sur la mise en scène d’Hamlet en montagne telle que la conçoit Yves Bonnefoy, avec ce double vœu qui est alors le sien de « se conformer aux exigences du texte » et de « comprendre le texte », et je m’interroge sur le choix de ces lieux peu hospitaliers, sur le rôle actif du spectateur, sur la démultiplication des acteurs et sur la présence obsédante d’Ophélie. Je tâche ensuite de faire entrer cette mise en scène en résonance avec l’ensemble du recueil, L’heure présente, pour montrer qu’Hamlet, son père et Ophélie acquièrent alors un relief particulier qui nourrit la dramaturgie poétique d’Yves Bonnefoy et vont à la rencontre de sujets qui lui sont chers : le refus de l’assujettissement, la main qui se tend (ou pas), la compréhension profonde par l’effleurement, par la caresse. Je finis avec le dernier paragraphe d’Hamlet en montagne, avec l’évocation de « cette écharpe vaguement rouge » que porte étonnamment le spectre du vieil Hamlet, et j’aborde la question de la filiation qui traverse à la fois la tragédie d’Hamlet et les poèmes d’Yves Bonnefoy.

L’après-midi laisse place à une table ronde à laquelle sont conviés les metteurs en scène Matthieu Roy et David Bobee. La retranscription de cette table ronde fait l’objet d’un autre « billet ».