J’ai posté sur Débat 2007 un billet intitulé "Qu’est-ce qu’une bonne entreprise?". Je reprends des éléments déjà évoqués dans de précédents billets, j’en développe d’autres.
Je le reprends ci-dessous, n’hésitez pas à réagir ici ou là-bas.
L’entreprise Mittal Steel est une mauvaise entreprise. Pourquoi ? Parce qu’il s’agit d’une entreprise familiale. C’est pour cette raison que Guy Dollé, président de la direction générale d’Arcelor, ironise : "je vais vous présenter les dirigeants présents, mais mon fils n’est pas là !". C’est aussi ce qu’affirme Elie Cohen quand il s’interroge en ces termes "Si l’OPA de Mittal sur Arcelor venait à réussir, M. Mittal continuerait à contrôler à titre personnel la majorité du nouvel ensemble. Qui peut croire que la gouvernance du nouvel ensemble s’en trouverait améliorée ? Qui ne voit ce qui est perdu avec le passage d’Arcelor, entreprise transparente, sous la surveillance permanente des marchés et des Etats, sous la coupe de Mittal, entreprise familiale ?" (Le Monde, 14 février 2006).
En clair, il existerait de bonnes entreprises, contrôlées par les marchés financiers, qui se conforment aux canons de la gouvernance actionnariale, et de mauvaises entreprises, qui échappent à ce contrôle et se complaisent dans les formes archaïques d’une gouvernance familiale, managériale, coopérative ou mutualiste…
Sauf que…
Côté entreprises familiales, d’abord :
- l’OCDE estime que 70% des entreprises des pays industrialisés sont des entreprises familiales, et qu’elles emploient 50% des salariés. En France, près de la moitié des entreprises du CAC40 sont familiales (L’Oréal, Peugeot, Michelin, …) ;
- le cabinet Oddo-Pinatton a construit un indice pour comparer les performances des entreprises familiales aux entreprises non familiales : les premières dégagent une rentabilité financière (ROE) de 16,5% par an, contre 12,5% par an pour les dernières ;
- tout un ensemble d’études convergent pour dire que ces entreprises investissent plus en formation, mettent en oeuvre un rapport salarial plus stable, pratiquent des politiques de rémunération moins inégalitaires, etc… (voir notamment les études et synthèses de Allouche et Amann, par exemple celle-ci). Bref, on a vu modèle plus désatreux…
Côté surveillance des marchés, ensuite, se pose un problème évident d’efficacité du processus de sélection : l’enjeu, pour un acteur souhaitant acquérir des actions, est de repérer les bonnes entreprises, celles qui ont les bons fondamentaux. Dans un monde d’information parfaite, ceci est possible. Mais quand l’incertitude est radicale, c’est impossible. Il ne s’agit donc plus de repérer les bonnes entreprises (on ne sait pas faire), mais de repérer les entreprises que la majorité des acteurs, à tort ou à raison, considèrent comme bonnes. Comment procéder ? En repérant ce que Schelling (prix Nobel d’économie 2005) appelait des points saillants, ce que l’on appelle aujourd’hui des conventions partagées par les acteurs sur les marchés.
Exemple de convention qui s’est imposée il y a quelque temps : une bonne entreprise est une entreprise de la nouvelle économie. On sait où cela nous a conduit. Autre exemple : une bonne entreprise est une entreprise qui se recentre sur son cœur de métier. Avec là aussi, des dérives qu’André Lévy-Lang a dénoncé le 11 octobre 2004 dans une tribune particulièrement intéressante publiée par le Figaro Entreprises (perche tendue à un autre contributeur de Débat 2007 !).
Ceci ne signifie cependant pas, a contrario, que les bonnes entreprises sont les entreprises familiales. Il semble plutôt qu’il n’existe pas de modèle optimal de gouvernance, mais une diversité de modèles plus ou moins pertinents selon les pays, les secteurs et les périodes. Chaque modèle a ses avantages, chacun a ses limites : la gouvernance managériale pose le problème de l’opportunisme des dirigeants (cf. les débats sur la rémunération des dirigeants, les scandales Enron, Parmalat, WorldCom, etc…), la gouvernance actionnariale pose la question du mimétisme des comportements sur les marchés, la gouvernance familiale conduit à une certaine inertie des comportements (cf. mon dernier ouvrage pour des développements et une hiérarchisation des problèmes).
Or, curieusement, chacun fait comme si la gouvernance actionnariale s’était déjà imposée partout. Tout le monde a en tête une espèce de chronologie selon laquelle nous serions passés d’une gouvernance familiale, au 19ème siècle, à une gouvernance managériale, au tournant du 20ème siècle aux Etats-Unis, un peu plus tard en Europe occidentale, pour, enfin, tous converger vers une gouvernance actionnariale. Certains le déplorent, d’autres s’en félicitent, mais en fait, tous ont tort ! Preuve, parmi (beaucoup) d’autres : en 2000, les entreprises non financières détiennent, en France, 20,8% de l’ensemble des actions des entreprises cotées, 40,1% en Allemagne et 3,5% au Royaume-Uni, signe de l’importance, dans les deux premiers pays, des participations croisées (et donc, derrière, du poids de la gouvernance managériale et/ou familiale). Symétriquement, la part des investisseurs institutionnels (indicateur du poids de la gouvernance actionnariale) est de 19,6% en France, 9,6% en Allemagne et 50,8% au Royaume-Uni (source : Banque de France).
C’est sans doute en prenant acte de cette diversité des modes de gouvernance (et plus généralement du capitalisme) et en tentant de la préserver que l’on renforcera la capacité d’adaptation de la population d’acteurs aux contraintes économiques futures. De l’évolutionnisme bien pensé, en quelque sorte, qui fait de la diversité des populations la clé de l’adaptation.
Pompompom, un petit commentaire nocturne. (Quoiqu’ le soleil commence à pointer le bout de son nez…)Cet article me rappelle, étrangement, des morceaux de cours. :o)Rien à redire (Pas de connaissances assez solides, et mon instruction dans les bases de l’économie industrielle se retrouvant là-dedans…) sur le fond. Ou d’ailleurs la forme.Par contre, il serait peut-être intéressant, pour vos lecteurs, de définir ce que sont les trois types de gouvernance dont vous parlez ici, non ? (Familial, managérial, actionnarial.)Pour beaucoup de monde, ça reste très flou. Et encore plus pour ceux qui ne s’intéressent que moyennement à l’actualité économique tant française qu’anglo-saxonne.Je me posais une question : Google, avec sa stratégie visant à garder le pouvoir au niveau des fondateurs (Si je ne me plante pas : une de leurs actions équivaut à 10 votes… mais il y a des chances que je me trompe.), se classe dans le type de gouvernance managériale, non ?AJC
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