Vous le savez tous : la France manque de flexibilité. Les commentateurs des rapports Ernst & Young sur l’attractivité de notre
beau pays nous le disent tous les ans, ce qui leur permet de prédire la
dégradation probable de notre situation pourtant flatteuse. Laurence Parisot idem, avec une formule inoubliable : “La vie, la santé, l’amour sont précaires. Pourquoi le travail échapperait-il à cette loi?”
En réfléchissant un peu, l’argument semble imparable, un manque de flexibilité étant synonyme de réduction des choix : si jamais
vous avez fait un mauvais choix, vous ne pourrez que plus difficilement vous en défaire ; l’agrégation de ces dysfonctionnements conduit à des performances plus faibles. Redonnons donc de la
flexibilité, de la liberté, et tout ira bien mieux.
Sauf que ce type de raisonnement souffre d’un biais important : il suppose que les acteurs ne prennent pas en compte, avant de
décider d’un comportement, de ces différences de flexibilité. Or, on peut supposer qu’il n’en est rien : les acteurs agissant dans un environnement plus rigide intègrent ce fait à leurs
calculs, adoptent des comportements différents, ce qui peut influer sur leurs performances futures. L’évaluation ex post d’un dispositif législatif plus rigide ne suffit donc pas, il
convient également d’en évaluer les conséquences ex ante.
C’est précisément l’analyse que déroulent trois économistes dans un document de travail du NBER qui vient juste de paraître. Il s’intitule « Labor laws and innovation ». Voici le résumé, suivi de
ma traduction :
Abstract
Stringent labor laws can provide firms a commitment device to not punish short-run failures and thereby spur their employees to pursue
value-enhancing innovative activities. Using patents and citations as proxies for innovation, we identify this effect by exploiting the time-series variation generated by staggered country-level
changes in dismissal laws. We find that within a country, innovation and economic growth are fostered by stringent laws governing dismissal of employees, especially in the more
innovation-intensive sectors. Firm-level tests within the United States that exploit a discontinuity generated by the passage of the federal Worker Adjustment and Retraining Notification Act
confirm the cross-country evidence.
Ma traduction
Un droit du travail restrictif peut inciter les firmes à ne pas sanctionner les défaillances de court terme et donc les conduire à
encourager leurs employés à poursuivre des activités innovantes créatrices de valeur. En utilisant des données sur les brevets et sur les citations d’articles pour rendre compte de l’activité
d’innovation, nous analysons cet effet en exploitant des données temporelles qui nous renseignent sur les changements observés dans certains pays relatifs aux lois sur les licenciements. Nous
montrons qu’au sein d’un pays, l’activité d’innovation et la croissance économique sont renforcées par des lois plus restrictives sur le licenciement, spécialement pour les secteurs les plus
intensifs en innovation. Des tests réalisés au niveau des entreprises américaines, qui exploitent une discontinuité liée au passage au Worker Adjustment and Retraining Notification Act,
confirment ce résultat.
Ce qui est étonnant ici, c’est à quel point cela va à rebours de l’idée générale et empiriquement validée, me semblait-il, qui est celle de l’importance du processus de destruction créatrice pour
augmenter la productivité globale des facteurs et donc la croissance. Est-ce à dire que les freins aux licenciements n’empêchent pas la destruction créatrice -mais quid des réallocations
d’emplois nécessaires ?- ou est-ce une remise en cause de son importance pour la croissance ?
Un peu reducteur, non ? Les conséquences sur le marché de l’emploi et qualité des rapports au sein de l’entreprise me paraissent être des crières plus qu’importants pour aborder le sujet de la
flexibilité. Les TPE ont besoin d’un peu plus de flexibilité, alors que les grandes entreprises savent très bien jouer avec les dispositifs legaux en vigueur pour s’en doter. D’autant que leur
services juridiques et leur puissance financière leur permettent de ne pas craindre une decision prudhommale defavorable.
Mais oui, je pense aussi que l’emploi se gère dans la durée, autant que possible et je me demande toujours ce que mme Parisot fait a ce poste, pourtant important.