Traduction approximative d’un billet de Chris Dillow. Toute remarque bienvenue.
Imaginez deux personnes ayant exactement les mêmes caractéristiques à la naissance. Appelons-les Pierre et Paul. Le
père de chacun d’eux travaille dur. Cependant, un jour, le plus grand établissement de la ville ferme : le père de Paul est licencié, il peine ensuite à en trouver un autre. Paul en infère
que travailler dur ne paie pas. Il désinvestit les études, et, à l’âge adulte, il alterne larcins, petits boulots et chômage.
A l’inverse, Le père de Pierre, qui travaille tout aussi dur que le père de Paul, progresse dans son entreprise en
obtenant régulièrement de nouvelles promotions. Pierre en déduit que travailler dur paye, il s’investit dans ses études et réussit brillamment professionnellement.
Regardons maintenant les inégalités de revenu entre Pierre et Paul. Nous pouvons considérer qu’elles sont
méritées : après tout, Pierre a travaillé et travaille dur, à l’inverse de Paul.
Mais ces différences de comportement résultent d’un « accident » lors de leur enfance. Dès lors, les
inégalités de revenu sont-elles méritées ?
On se trouve face à une question du type « qui de la poule et de l’œuf ? ». Est-ce que ce sont les
différences de caractère qui conduisent à des différences de circonstance ? Ou bien est-ce que ce sont les différences de circonstance (pendant l’enfance) qui conduisent à des différences de
caractère ?
C’est à ce niveau qu’on trouve une différence essentielle entre la droite et la gauche. La droite considère que la
causalité vient du caractère, la gauche des circonstances. Je penche plutôt pour la dernière explication ; l’homme est un animal social.
Mais comment savoir qui, au final, a raison ? Quel expérience pourrait-on mener, quelle preuve
avancer ?
En complément : j’ai toujours été agacé par les interviews de personnes ayant réussi, quelque soit le domaine. A un
moment où à un autre, ils avancent l’idée qu’ils ont travaillé dur pour réussir. D’où la causalité suivante : j’ai réussi parce que j’ai travaillé dur. On devrait arrêter d’analyser les
success stories, qui aboutissent inévitablement à ce type de proposition. Je pressens qu’une analyse des failure stories aboutirait à la même proposition, mais à une causalité
inverse : j’ai travaillé dur, mais j’ai échoué…
Pierre l’aura mérité. Personne n’en doute (sauf possiblement certains envieux qui voudrais avoir la même chose sans faire les mêmes effort et que le gouvernement prenne à Pierre pour leur
donner).
Il aurait pu en voyant son père se dire: je préfère ne pas faire d’effort même devant l’exemple de son père (c’est très fréquent d’ailleurs chez pleins de famille!). Le cas de Paul est
différent.
Il a été l’object de malchance. Il n’a pas mérité son sort. De la même manière qu’une personne avec une maladie ou un accident. Dans son cas, c’est un accident qu’on pourrait dire
“sociologique”.
Nos sociétés viennent en aide à ses personnes ne serait-ce que par l’assurance-maladie, des revenus d’invalidité, et l’école pour tous Heureusement dans nos sociétés modernes, avec
l’internet et la
TV et l’école obligatoire, il n’y a pas 1 personne sur 1 millions qui ne voit pas que travailler/étudier/réfléchir rapporte, sauf cas de malchance, beaucoup plus que ne rien faire/ne rien
lire/et
ne par réfléchir. Il n’y a ici aucun mystère, ni aucun paradoxe. A vous d’en profiter.
Je pense que vous avez tout dit à la suite de ce texte simple mais fort intéressant.
A celà j’ajouterai seulement trois choses d’ordres différents :
– le fait que certains estiment que travailler dur conduit (forcément) à la réussite les amènent à penser “naturellement” qu’il n’est pas nécessaire de trop prévoir d’assurances collectives. Au
contraire, les autres envisageront ce type de solidarité pour réparer les aléas ou tout au moins les adoucir. Les premiers préfèreront par exemple les assurance-vie alors que certains opteront
plus volontiers pour des mutuelles…
– Travailler dur…qu’est-ce ? faut-il travailler dur ? doit-on blâmer ceux qui n’en branlent pas une mais qui sont parfois moins nuisibles que ceux qui ont réussi en écrasant bien souvent les
mains de leurs concurrents lors de l’ascension réussie de leur échelle sociale ? C’est un peu provoc mais cette question me semble elle aussi importante d’autant plus que notre président nous a
démontré que travailler dur ou travailler plus n’est pas gagner plus !
– qu’est-ce que la réussite au juste ? Comment se mesure-t-elle ? La trajectoire professionnelle et les revenus sont-ils les seuls ou meilleurs critères ? La réussite pour soi, pour ses enfants,
pour son prochain ou son contemporain ? Qu’est-ce que réussir sa (?) vie ? Est-ce garnir son patrimoine ou celui de la société. Est-ce être pdg d’une entreprise à bas coûts ou est-ce être
bénévole dans une association qui aide à lire, compter et écrire ?
Sinon, pratiquement, pour répondre à la question posée à la fin de ce texte, il faudrait je pense un petit échantillon sympathique, traiter les données et faire une bonne régression logistique
pour voir ce que ça donne !
Pour moi, je considère la succes story comme élément/symptome/conséquence/ce que vous voulez de la vaudou-économie à la Reagan, et bien souvent d’une certaine neuneuterie libérale en général.
Autres symptômes, dans le désordre : les sous cultures managériales, l’importance accordée à l’optimisme, à l’espoir, à l’exemple (pas que ces derniers soient négligeables, je parle de
l’exploitation du thème).
La Droite et la Gauche
ont raison ensemble et elles on tort séparément. Ce n’est pas du centrisme. L’unification ferait perdre à la Droite et à la Gauche leurs dynamiques propres. Les responsabilités
individuelle et collective doivent être exercées conjointement. Le curseur entre les deux se déplace au gré des circonstances, conjonctures, alternances. Une société dynamique aura toujours
besoin d’osciller entre le pôles de la responsabilité individuelle et celui de la responsabilité collective. C’est d’ailleurs traditionnellement l’un des principaux marqueurs
politiques en France du moins dans le discours. La réalité est un peu différente comme nous le savons.
Qui donc de l’œuf et de la poule ? Je sais que les 2 sont nécessaires pour perpétuer l’espèce. Je peux juste
spéculer sur l’idée qu’aucun n’est issu de l’autre mais que les deux le sont d’une même autre matrice.
Très bonne réflexion qui s’inscrit en creux de l’affirmation inverse et pourtant toujours vérifiable : on ne parle que des trains qui arrivent en retard.
Effectivement dans un monde voué au productivisme et au profit, le storytelling ne parle que de ceux qui réussissent, sous-entendant toujours que les autres sont fautifs. Pourtant, d’un point de
vue assez mathématique (effet pyramidale de la hiérarchie qui fait que plus on se rapproche du sommet, moins il y a de place par pallier) il est évident que tous ceux qui bossent dur ne sont pas
récompensés.
Le préalable pour gagner au loto, c’est de jouer au moins une fois. Mais les probas sont tenaces : le gain est l’exception.
Dans le cas qui nous intéresse (travailler dur pour réussir), en plus des probas interviennent de fâcheux contre-exemples au quotidien : la promotion va plus souvent à celui qui a le sens
politique qu’à celui qui bosse bien. Un de mes chef m’avait encouragée à plus communiquer sur mon travail qu’à attendre qu’il fasse la démonstration de mes qualités par lui-même. Ce qui était
fort juste : mieux vaut maîtriser le faire savoir que le savoir faire!
Et au final, à la grande course à l’échalote, en dehors du fait, donc, qu’il ne peut y avoir que des gagnants, on remarque aussi couramment qu’être bien né épargne souvent bien du labeur et
permet d’être élégamment parachuté au sommet dès le début de la compétition!
Texte intéressant. A mon sens, il manque cependant deux termes au cas d’école :
1) Paul s’accroche, pour d’autres raisons, et s’en sort, aussi bien, sinon mieux que Pierre. Finalement, au zénith, on l’interviewe sur sa réussite.
2) Pierre, nanti, passe du bon temps, et ne décroche au final qu’un diplôme très moyen. Devant la réprobation de son père, il s’enfonce dans la médiocrité.
Et une fois exposé les quatre cas, qu’en tire-t-on ?
Bien dit Monolecte.
Dans un pays comme la France, au système social si important, et où la dépense publique est supérieure à 56% du PIB, la conclusion de cette petite histoire serait que ce système social est
inefficace, puisqu’il n’a pas atteint son objectif d’égalité des chances.
Il en découle plusiaurs opinions possibles. On peut considérer qu’un système social aussi puissant est un frein à la croissance économique, qui permet à chacun de trouver du travail, et qui
encourage à ne pas travailler.
On peut considérer que le système social est inefficace car il est public, et qu’il faut donc le privatiser (privatiser les acteurs: écoles, universités…, mais toujours financeés par la
puissance publique).
On peut essayer de réformer le système de l’intérieur, en l’organisant de manière à ce qu’il soit plus efficace, en s’interrogeant sur chaque dépense publique, sur l’efficacité de la dépense
publique, et la nécessité ou non de la redéployer.
Parole sage d’un de mes coachs sportifs : “la réussite, c’est TTC : Travail, Talent, Chance”.
Bon, c’est pas toujours vrai, y a des glands qui “réussissent”, vive les héritages. Le travail paraît cependant nécessaire, mais pas suffisant, de façon générale.
Anecdote : visite d’entreprise avec mes Terms cette année, dans un Leclerc. Laïus du gérant sur la réussite par le travail, l’exhaltation de l’effort et du sacrifice, la prise de risque de
l’entrepreneur… A vous en tirer des larmes. Puis question d’un élève : “Et vous donc c’est quoi votre parcours ?” Réponse décomplexée : “Ah moi c’est pas pareil, c’est mon père qui a monté le
supermarché et qui me l’a légué”.
@ VilCoyote :: anecdote savoureuse !
La base de la sociologie, c’est d’analyser les success strories et les failures stories, et de trouver une explication commune.
Entièrement d’accord. Et il y a pire il en a qui ne font aucun effort et qui réussissent (par exemple quelqu’un qui hérite et qui ne fait qu’assurer la gestion de son patrimoine en le confiant à
un bureau ad hoc). Et celui qui a travaillé dur et qui perds tout suite à un accident, une maladie ou un retour de conjoncture.
La méritocratie est un leurre d’autant que le mérite c’est quoi, qui le défini? L’effort c’est quoi, qui le défini? Non le mérite c’est la définition que donnent à leur réussite ceux qui en
jouissent et légitimisent ainsi leur privillège. C’est aussi une manière pour eux de se rassurer en ce disant qu’eux ne risquent pas d’échouer car ils savent consentir à l’effort
adéquat. Mais ça aussi c’est un leurre. Rien d’autre. Est-ce mérité, moralement, de jouir d’une “réussite” économique alors que la pauvreté augmente? Honnêtement moi je pense que ce ne l’est
pas au contraire c’est plutôt un échec (et je ne me plains pas de ma situation et n’envie pas celles des autres).
Question un peu binaire… Les trajectoires de vie sont un savant mélange de mérite, de cul (comme au Scrabble) et d’inégalités (il faut être économiste pour penser que l’égalité existe). En tout
cas, bienvenue dans le web 2.0 ;o)
on peut pousser un raisonnement à l’extrème.
Sylvie travaille dur et réussit.
Sophie n’en fout pas une et se plante.
Est-ce juste pour Sophie qui n’a pas eu la chance d’avoir des qualités de tenacité à la naissance ?
Amusons-nous un peu : Jean S. glande joyeusement à la fac et se fait brillamment élire conseiller général. Mouloud trime comme un malade et accumule les galères.
Que faut-il en conclure?
il existe une vidéo très savoureuse de Steve Jobs devant des étudiants dont le propos pourrait être : vous ne saurez votre destinée qu’une fois qu’elle aura commencé à prendre forme. Pour le
reste, bossez et accumulez des savoirs et savoirs-faire.
Son exemple personnel montre que lui l’étudiant glandeur a suivi des cours de typographie en auditeur libre plutôt que d’électronique, parce qu’il préférait ça, puis au jour de lancer le
Macintosh a souhaité qu’il soit équipé d’un système typographique élégant, puis Windows a copié, et voilà tous les ordinateurs dotés de nombreuses et élégantes polices de caractères… Un exemple
parmi d’autres.
professeurs comme lui que j’ai compris l’intérêt d’étudier l’économie pour comprendre des phénomènes qui dépassent très largement cette discipline……..Je prévois de publier un article sur les
délocalisations bientôt…