Pour le philosophe Henri Lefebvre, la consommation est un des instruments que la classe dominante s’est appropriée pour exercer la pression sur la masse et la contrôler : elle parvient à bercer le peuple d’illusions, à l’aliéner, notamment par le biais de la publicité.

Pensez-vous que l’individu est si prévisible, malléable et facilement déchiffrable ?

Pour Lefebvre, une des manières d’échapper à cette consommation aliénante est d’utiliser cette dernière en lui donnant un sens, à travers par exemple des actions citoyennes. La consommation ne doit plus dicter les règles mais servir de support pour des actions plus responsables. En devenant acteur, le consommateur cesse d’être complice du système et se libère en fin de compte de cette dépendance matérielle qui caractérise notre société.

Cette question soulevée par Lefebvre est très actuelle : aujourd’hui, une grande partie des consommateurs veut donner du sens et une signification à sa consommation. Ces consom’acteurs souhaitent utiliser leur pouvoir d’achat de manière plus responsable et citoyenne. Une telle évolution pousse les responsables marketing à se remettre en question et modifier leur façon d’agir et de faire. Ainsi, la RSE occupe une place de plus en plus importante dans la stratégie d’entreprise et nombreuses sont les marques à se montrer plus soucieuses de l’humain et de l’environnement, entre autres. Le chiffre d’affaires n’est plus le Graal, la consommation a pris un nouveau virage.

Michel de Certeau, anthropologue et historien français, n’est pas aussi pessimiste. En effet, il pense que la consommation n’est pas une « arme » servant uniquement l’élite. En effet, tout individu, à travers sa consommation quotidienne, est acteur et résiste silencieusement au système. Comment ? Grâce à la création anonyme. Vous ne saisissez pas ? Eh bien, est-ce que dans chaque situation vous adoptez toujours le même comportement ? Agissez-vous comme un robot ? Suivez-vous scrupuleusement les règles, les modes d’emploi et les indications ? Non. Alors vous êtes un créateur anonyme, un résistant au système puisque vous détournez sciemment ou inconsciemment les règles et normes. Dans la rue, ne vous arrive-t-il pas de traverser lorsque le feu est rouge ? Traversez-vous toujours au niveau du passage piéton ? Non. C’est dans ces gestes et actes, qui à première vue, peuvent sembler dérisoires et anodins, que vous vous appropriez l’espace, les objets, les expériences…

Les travaux de Certeau, appliqués au marketing, constituent un bon rappel pour les professionnels. En effet, par leurs créations anonymes, les consommateurs sont en grande partie à l’origine des tendances : ils créent de nouvelles catégories et détournent services et produits. Ces observations devraient inciter les entreprises à repenser la relation qu’elles entretiennent avec les consommateurs. La marque devrait collaborer avec ces derniers, les deux parties y gagneraient : le consommateur inspire la marque, qui à son tour, répond à des besoins ciblés. Ainsi, les co-productions sont un bon moyen pour favoriser l’échange. Par ailleurs, les compétences des consommateurs sont valorisées et l’entreprise fidélise mieux ses clients.

Finalement, les recherches de Lefebvre et de Certeau sur le quotidien et la consommation n’ont pas pris une ride et constituent une excellente base pour amener les responsables marketing à réfléchir. La consommation rythme notre société et notre vie, et avant d’être responsables marketings, nous sommes des consommateurs et des citoyens. Soyons responsables, adoptons une démarche éthique, posons-nous les bonnes questions, car en fin de compte rien n’est moins prévisible qu’un consommateur.

Néanmoins, le détournement des produits/services pose un problème de taille: le consommateur est tel un enfant, plus il y a de normes, plus il les contourne, ce qui met parfois sa sécurité en jeu. C’est à nous, futurs responsables marketing, qu’il revient de gérer ces difficultés. De nouvelles questions émergent : Quelle attitude adopter face aux « transgresseurs »? Quel dispositif mettre en place ? Comment réussir à trouver le parfait équilibre entre création, liberté et sécurité ?

Article rédigé par Anastasia Garros, Master 1 Marketing Plurimédia et Consommation, après lecture de « Regards croisés sur la consommation » d’Eric Rémy et Philippe Robert-Demontrond.