Introduction : L’Europe dans la course spatiale
Après les succès de Galileo (navigation) et Copernicus (observation de la Terre), l’Europe franchit une nouvelle étape avec IRIS² (Infrastructure de résilience, d’interconnectivité et de sécurité par satellite). Cette constellation de satellites de télécommunications, qui sera déployée en 2030, représente bien plus qu’un simple projet technologique : elle incarne la volonté européenne d’autonomie stratégique face à la domination actuelle des acteurs extra-européens.
Qu’est-ce qu’IRIS² ?
IRIS² est la réponse européenne aux méga-constellations de satellites qui révolutionnent actuellement le marché des télécommunications spatiales. Le projet se compose de :
- 264 satellites en orbite basse (LEO – 1 200 km d’altitude)
- 18 satellites en orbite moyenne (MEO – 8 000 km d’altitude)
- Un budget de 10,6 milliards d’euros (60% de fonds publics, 40% privés)
- Un consortium SpaceRISE formé par Eutelsat, SES et Hispasat
Contrairement à Starlink qui compte déjà 7 000 satellites et vise les 42 000, IRIS² n’est pas une méga-constellation pure mais privilégie une approche équilibrée entre besoins gouvernementaux et services commerciaux.
Les défis technologiques d’IRIS² : la révolution 5G NTN
La 5G NTN (Non-Terrestrial Networks) représente l’intégration des réseaux satellitaires dans l’écosystème 5G standard. Concrètement, cela signifie que votre smartphone pourra se connecter directement aux satellites comme il le fait actuellement avec les antennes terrestres, sans modification ni équipement spécial.
Cette technologie, déjà expliquée dans ce blog, permet :
- Une couverture universelle : Internet haut débit même dans les zones les plus isolées
- Une continuité de service : Basculement automatique entre réseaux terrestres et satellitaires
- Des communications d’urgence : Connectivité maintenue lors de catastrophes naturelles
- Support IoT global : Objets connectés fonctionnant partout sur la planète
Les innovations techniques d’IRIS²
IRIS² intègre plusieurs technologies de pointe :
Communication inter-satellite par laser : Les données transitent entre satellites via des liens optiques à très haut débit, réduisant la dépendance aux infrastructures terrestres.
Miniaturisation électronique avancée : Utilisation de puces gravées en 7 nm, une première en Europe, permettant des satellites entièrement reprogrammables.
Compatibilité 5G native : Transition fluide vers la 6G prévue grâce à la reprogrammabilité des satellites.
Sécurisation renforcée : Seulement 5 points de présence au sol, tous en territoire européen, pour un contrôle total des communications.
Le paysage concurrentiel : qui sont les autres acteurs ?
Les géants américains
SpaceX Starlink : Le leader incontesté avec plus de 7 000 satellites opérationnels et 5 millions d’utilisateurs dans 125 pays. Starlink vise 42 000 satellites et développe des services Direct-to-Cell avec T-Mobile, permettant aux smartphones de communiquer directement avec les satellites.
Amazon Project Kuiper : 3 236 satellites planifiés, premiers lancements opérationnels en avril 2025. Amazon mise sur l’intégration avec AWS et ses partenariats avec Verizon et Vodafone. Service commercial prévu vers 2026.
OneWeb (Eutelsat) : 648 satellites actifs en orbite polaire, focus sur les marchés B2B, gouvernementaux et maritimes. Racheté par Eutelsat en 2023, OneWeb privilégie la qualité de service sur des marchés de niche.
Les constellations chinoises : la montée en puissance
La Chine développe trois projets majeurs qui pourraient bouleverser le marché :
Qianfan (G60) : 12 000 satellites planifiés par Shanghai Spacecom Satellite Technology, avec un financement de 943 millions de dollars. Premier lancement de 18 satellites en août 2024, objectif de 600 satellites d’ici fin 2025 et service global d’ici 2030.
Guowang : Le projet gouvernemental le plus ambitieux avec 13 000 satellites prévus, directement contrôlé par l’État chinois via China Satellite Network Group.
Honghu-3 : 10 000 satellites développés par Landspace, une entreprise privée chinoise qui développe aussi des fusées réutilisables comparables au Falcon 9 de SpaceX.
Autres acteurs significatifs
Telesat Lightspeed (Canada) : 300 satellites en orbite polaire haute (1 325 km), focus sur les entreprises et gouvernements avec des garanties de performance contractuelles.
Viasat : Spécialiste des satellites géostationnaires haute capacité, 600 000 abonnés actuels.
SES O3b mPOWER : Constellation en orbite moyenne (8 000 km) intégrée à IRIS².
Les enjeux géopolitiques et stratégiques
Autonomie européenne
IRIS² répond à un impératif de souveraineté numérique. La guerre en Ukraine a démontré l’importance stratégique des communications satellitaires, Starlink étant devenu un outil géopolitique majeur. L’Europe ne peut dépendre d’acteurs extra-européens pour ses besoins critiques.
La bataille des fréquences
L’Europe possède un avantage considérable : IRIS² hériteront des droits fréquentiels d’OneWeb (prioritaire sur Starlink en orbite basse) et d’O3b mPOWER. La bande Ka militaire européenne bénéficie également d’excellents droits de priorité.
Concurrence et coopération paradoxale
Paradoxalement, les concurrents collaborent parfois : OneWeb a utilisé les fusées SpaceX après l’arrêt des lancements russes Soyuz suite aux sanctions. Cette interdépendance révèle la complexité du marché spatial actuel.
L’écosystème technologique de la 5G NTN
Les standards 3GPP
La 5G NTN s’appuie sur les standards 3GPP (3rd Generation Partnership Project) :
- Release 17-18 : Architecture « transparente » où les satellites agissent comme répéteurs
- Release 19 : Introduction des charges utiles « régénératives » avec stations de base complètes embarquées
- Release 20-21 : Optimisations et nouvelles capacités avancées
Types d’orbites et applications
LEO (Low Earth Orbit – 300-2000 km) :
- Latence faible (20-40 ms)
- Couverture mobile nécessitant de nombreux satellites
- Idéal pour Internet haut débit et communications temps réel
MEO (Medium Earth Orbit – 8000-20000 km) :
- Compromis latence/couverture
- Moins de satellites nécessaires
- Applications spécialisées
GEO (Geostationary Orbit – 35 786 km) :
- Couverture fixe continue
- Latence élevée (600+ ms)
- Broadcasting et services IoT
Défis et perspectives d’avenir
Débris spatiaux et durabilité
Avec potentiellement plus de 100 000 satellites en orbite d’ici 2030, la gestion des débris spatiaux devient critique. IRIS² mise sur la durabilité avec seulement 282 satellites sur 10 ans, contrastant avec les méga-constellations concurrentes.
Impact astronomique
Les constellations affectent l’observation astronomique. IRIS² développe des satellites « non-émissifs » pour préserver l’astronomie, un engagement que tous les concurrents ne prennent pas.
Intégration terrestrial-spatial
L’avenir appartient aux réseaux hybrides combinant infrastructures terrestres et spatiales. La 5G NTN permettra un basculement transparent entre les deux, ouvrant la voie aux applications 6G futures.
Chronologie et déploiement
2024-2025 : Phase de développement, premiers tests 2026-2027 : Début des lancements IRIS² 2028-2030 : Déploiement opérationnel complet 2030+ : Services commerciaux pleinement opérationnels
Parallèlement, la concurrence s’intensifie :
- Kuiper : Service commercial dès 2026
- Qianfan : 600 satellites d’ici fin 2025
- Starlink : Expansion continue vers 42 000 satellites
Conclusion : vers un internet spatial multipolaire
IRIS² représente plus qu’une constellation satellitaire : c’est un pari sur l’avenir d’un internet spatial européen souverain. Face à la domination américaine de Starlink et à l’émergence des constellations chinoises, l’Europe trace sa propre voie, privilégiant la durabilité et la sécurité.
La révolution 5G NTN transformera fondamentalement nos communications, rendant l’internet spatial accessible à tous via nos équipements actuels. Dans ce nouveau monde connecté, la maîtrise des technologies spatiales devient un enjeu de souveraineté nationale.