Du blé stocké en plein air en train de pourrir et en voie de servir de tapis à un gazon d’automne, voilà qui est un spectacle peu ordinaire en Poitou. C’est pourtant celui auquel on peut assister actuellement.
Il n’est pas sans rapport avec les modifications que la politique agricole commune (PAC) de l’Union européenne a connues depuis deux décennies. Celle-ci avait été envisagée dès le traité de Rome de 1957 instituant la Communauté économique européenne et mise concrètement en œuvre à partir de 1962. Elle poursuivait un double objectif : assurer l’autosuffisance des pays de la zone, tout en permettant aux agriculteurs de bénéficier d’un revenu suffisant. Malgré ses énormes défauts (prix élevés par rapport aux prix mondiaux, place exorbitante dans le budget de la Communauté, et par voie de conséquence apparition de surplus), on peut dire que le but a été globalement atteint.
Mais à raison de ces défauts et sous l’effet de la mondialisation libéralisée, la PAC a été peu à peu remise en cause. A partir de 1992, il s’est agi de se rapprocher des prix mondiaux. A l’origine, des prix d’orientation, déterminant après concertation entre les différents acteurs le prix idéal auquel devaient être vendus certains produits agricoles compte tenu du double objectif, du volume de la production et des besoins de la consommation, étaient établis chaque année Par la suite, on s’en est remis de plus en plus au prix du marché fixé selon les règles de l’offre et de la demande.
Dès lors, on perd de vue et la sûreté de l’approvisionnement, et le revenu des agriculteurs. Mais à cela s’ajoute le fait que la fixation des prix ne s’effectue pas dans un marché sans entrave contrairement à la doctrine libérale. Des intermédiaires interviennent entre le producteur et l’utilisateur. En soi, cela n’a rien d’anormal puisqu’il est nécessaire que le produit passe de l’un à l’autre. Le bât blesse parce que certains de ces intermédiaires n’ont aucune utilité économique, mais profitent de ce marché pour spéculer sur le prix futur des céréales. Ainsi, bien qu’il y ait des stocks en Europe, et parce qu’ils spéculent sur une augmentation des prix en Amérique du Nord du fait de la sécheresse qui a sévi dans cette région cet été, ils achètent à un prix plus élevé que celui qui serait justifié par l’état du marché européen en espérant revendre encore plus cher l’année prochaine. Si l’on ajoute à ces prix élevés les difficultés de transport, on a l’explication pour laquelle les céréales ne trouvent pas preneur. Comme en beaucoup d’autres domaines, le marché financier a pris la main sur les acteurs économiques. Cette dérive de la PAC contribue avec d’autres au dévoiement de l’Union européenne.
C’est ainsi que l’on perçoit bien les stocks de blé, mais moins bien l’intérêt des la nouvelle orientation politique agricole qui a mené à cette situation.