L’Union européenne, prix Nobel de la paix; bizarre!?

Au premier mouvement, quoi de plus normal que d’attribuer le prix Nobel de la paix à l’Union européenne. N’a-t-elle pas été constituée, sous la forme des Communautés européennes dans les années cinquante pour favoriser la paix ? C’était l’objectif des pères fondateurs que de rendre la guerre ‘‘non seulement impensable, mais matériellement impossible’’ (discours de Robert Schuman, le 9 mai 1950) et il a été atteint, au moins en ce sens que les anciens ennemis ne se sont plus combattus, mais ont en outre appris à travailler et à vivre ensemble.

Colombe de la paix, Bruxelles – crédits photo : THEfunkyman via photopin cc

Pourtant les critiques se sont fait jour aussitôt la distinction accordée. Et les procureurs ne manquent pas d’arguments. Ils font valoir par exemple qu’il est singulier de mettre en avant une organisation qui, au moins selon eux, participe de l’appauvrissement des peuples et ainsi entretient une sorte de guerre sociale et de guerre économique entre les peuples européens. Si l’on suit ce raisonnement, le moment du choix est à tout le moins inopportun.

Même sans aller jusqu’à une assimilation hasardeuse et un brin excessive entre guerre sociale ou économique et guerre armée, on peut malgré tout remarquer que l’œuvre de paix de l’Union est fort modeste. Europe, que de guerres n’ont pu être évitées en ton nom ! Que ce soit sur le continent lui-même, par exemple lors du démantèlement de l’ex-Yougoslavie, ou dans des territoires ultramarins, comme au Rwanda. Elle est peut-être parvenue à pacifier les relations entre ses membres, mais s’est montrée impuissante à empêcher les autres de se battre.

Le procès est sévère, mais exact. Faut-il alors conclure à l’inopportunité et même l’illégitimité de l’honneur ? A mon avis, non, mais tout est affaire de perspective. Cela dépend notamment de la période que l’on considère. Il est exact que pour le moment présent, ce sont davantage les difficultés qui sautent aux yeux que les lits de rose ; et elles sont graves. Malgré tout, à ce jour, elles ne sont pas cause de guerre entre les peuples, comme on peut l’entendre ici ou là, mais de tension. Ce n’est pas rien, mais ce n’est pas la même chose.

Sur le long terme en revanche, l’attribution se défend plus aisément. Les oppositions, parfois sérieuses, entre les membres de l’Union n’ont jamais débouché sur un conflit armé entre eux depuis que l’effort de construction européenne a commencé. Qui peut assurer qu’il en aurait été ainsi si l’Union n’existait pas et si les Etats et les peuples qui la forment n’avaient pas la volonté de régler pacifiquement leurs différends ?

De surcroît, l’Union, à l’origine indifférente à la défense des droits fondamentaux, a pris une part de plus en plus vigoureuse à leur affirmation et à leur respect en son sein d’abord, en accueillant au fil des ans et des élargissements des Etats qui n’étaient pas persuadés de leur nécessité ensuite, au point de faire de leur respect une condition d’adhésion, et en faisant introduire des clauses de leur respect minimum dans les accords signés avec des Etats tiers.

Même si beaucoup reste à faire, il n’est pas anormal que pour l’ensemble de son œuvre au cours de ce dernier demi-siècle, l’Union européenne soit ainsi distinguée par le prix Nobel de la paix. Mais, au-delà de sa satisfaction du moment, sera-t-elle consciente que noblesse oblige et saura-t-elle en tirer les conséquences ?

François Hervouët

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