Par Olivier Pouvreau.
L’arbre qui cache la forêt
À l’image du panda, de l’orang-outan ou du rhinocéros, l’opinion populaire considère l’abeille comme une des espèces emblématiques victimes de la dégradation de la biodiversité. Or, si cette réputation est justifiée, elle réduit dans le même temps le nom générique « abeille » à une unique espèce : l’abeille mellifère (Apis mellifera), notre célèbre « abeille domestique » (celle qui produit la cire, la propolis, la gelée royale et le miel que nous consommons). En réalité, les abeilles forment une diversité foisonnante d’espèces dont seule l’abeille mellifère est domestiquée. Toutes les autres sont sauvages. Rien qu’en France, on en dénombre environ 970 espèces et on en découvre régulièrement de nouvelles. Les 6 familles vivant sur notre territoire sont les Apidés (c’est la famille de l’abeille mellifère et des bourdons, qui sont des abeilles à part entière !), les Megachilidés (mégachiles, osmies etc.), les Colletidés (collètes et hylaeus), les Andrenidés (andrènes, panurgus etc.), les Halictidés (halictes, lasioglosses etc.) et les Melittidés (dasypoda, macropis et melitta).
Cycle de vie
Contrairement à l’abeille domestique et aux bourdons qui vivent en communauté (espèces dites « eusociales »), la plupart des abeilles sauvages sont solitaires et ne produisent pas de miel stricto-sensu. Les femelles de ces espèces nichent dans différents types de galeries (dans la terre, dans des tiges creuses, dans le bois etc.). Là, elles confectionnent des cellules pour y déposer dans chacune un mélange de pollen et de nectar (appelé « pain de pollen ») sur lequel elles pondent un œuf. Ce pain est destiné à nourrir la larve durant tout son cycle de vie. Comme pour la plupart des insectes, c’est l’état larvaire (le moins visible pour nous) qui est le plus long. Par exemple, une femelle d’osmie cornue (Osmia cornuta), abeille très commune au début du printemps, niche entre fin mars et mi-avril dans nos régions : la larve se développera, se chrysalidera et émergera au printemps suivant, les adultes ne vivant que quelques semaines.
Des pollinisatrices hors-pair
Les abeilles sont sans nul doute les insectes pollinisateurs les plus performants. Pourquoi ?
- Parce que contrairement aux autres insectes qui pollinisent, elles ne cherchent pas seulement à consommer du nectar mais recherchent aussi du pollen pour confectionner leurs « pains de pollen » et nourrir leur couvain. Il leur faut donc visiter beaucoup plus de fleurs.
- Parce que leur pilosité est à la fois plus abondante que chez d’autres insectes butineurs et se compose de poils ramifiés qui accrochent mieux le pollen que les soies simples des autres insectes.
On peut illustrer cette efficacité de pollinisation par quelques chiffres éloquents :
- On estime que 75 à 80% de la flore sauvage européenne et près de 70% des espèces de plantes cultivées dans le monde (pommes, melons, courges, café, tournesols, etc.) dépendent en grande partie de la pollinisation par les abeilles. D’un point de vue quantitatif, cela ne représente qu’un tiers des aliments que nous consommons au quotidien car notre alimentation repose sur les céréales, lesquelles sont pollinisées par le vent. En revanche, ce tiers est composé de nombreux fruits et légumes qui contribuent à la diversification de notre alimentation, donc à notre santé.
- En 2005, la valeur économique annuelle mondiale des produits de la pollinisation par les abeilles s’élevait à environ 150 milliards d’euros.
On le sait désormais, de nombreuses menaces pèsent sur les populations d’abeilles et donc sur notre santé : pesticides, dégradation et fragmentation des habitats, banalisation florale, parasites etc. À l’échelle individuelle, il est possible de contribuer à favoriser le maintien de certaines espèces en respectant une règle d’or : offrir le gîte (nichoir, hôtel à insecte…) et le couvert (prairie fleurie, fleurs mellifères, zones non fauchées…).
Enfin, pour satisfaire votre curiosité vis-à-vis de ces insectes trop peu étudiés, nous vous proposons une bibliographie et une webographie sélectives.
Bibliographie et webographie sélectives
Bibliographie (tous ces ouvrages sont présents à la bibliothèque universitaire de sciences) :
Découvrir et protéger nos abeilles sauvages. Nicolas Vereecken, Glénat, 2017. Un excellent ouvrage de découverte des abeilles sauvages européennes, rédigé par un de nos plus grands spécialistes des abeilles (sauvages et domestique). Outre son ton pédagogique, ce livre est servi par des illustrations de grande qualité.
Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis. Heiko Bellmann, Delachaux et Niestlé, 1999. Il s’agit du premier guide « moderne » de vulgarisation sur les abeilles sauvages traduit en français (allemand à l’origine). Il permet une première approche globale des familles d’abeilles sauvages.
Abeilles d’Europe. Denis Michez, Pierre Rasmont, Michaël Terzo, Nicolas J. Vereecken. NAP éditions, 2019. Ouvrage réalisé par quelques-uns de nos meilleurs connaisseurs des abeilles sauvages d’Europe. Il s’agit d’un livre complet sur l’écologie des abeilles, leur description (il est proposé pour la première fois une clé d’identification illustrée des 77 genres d’abeilles sauvages d’Europe), des illustrations d’espèces représentatives de leur genre ainsi qu’un inventaire exhaustif des espèces (ouvrage bientôt disponible à la BU de sciences)
Field Guide to the Bees of Great Britain and Ireland. Steven Falk, Bloomsbury Publishing, 2015. Ouvrage de référence concernant les abeilles sauvages de Grande-Bretagne et d’Irlande écrit par Steven Falk, apidologue reconnu. Si le texte est bien entendu en anglais, les clés d’identification illustrées des espèces, les splendides planches dessinées par Richard Lewington ainsi que la richesse des photographies font de ce guide un ouvrage de référence.
Pollinisation, le génie de la nature. Vincent Albouy, Quae, 2018. Agréable ouvrage sur la pollinisation, richement illustré et clairement exposé
[ebook] Nos abeilles en péril. Vincent Albouy, Yves le Conte, Quae https://www-dawsonera-com.ressources.univ-poitiers.fr/abstract/9782759221783 (une authentification en tant qu’inscrit.e à la Bibliothèque universitaire de Poitiers peut s’avérer nécessaire pour accéder à ce titre). Ouvrage qui démêle les discours concernant la pluralité des menaces (plus ou moins effectives) pesant sur les populations d’abeilles.
Webographie :
Galerie de photos d’abeilles de Grande-Bretagne et d’Irlande réalisées par Steven Falk, classées par genre et espèce. Des éléments d’identification des espèces sont aussi proposées. https://www.flickr.com/photos/63075200@N07/collections/72157631518508520/?fbclid=IwAR1V1wlsMa6oY4oZsHiOixYE2wvKSlLBNCPj_4_qpMsOIKjEVkMdkPELpoE
IDmyBee : projet collaboratif proposant notamment une clé matricielle d’identification des abeilles sauvages : http://www.xper3.fr/xper3GeneratedFiles/publish/identification/-5184640523972032246/mkey.html?fbclid=IwAR0ejxaxJKwqWHaZjVldd3-gaKNIaHVUTIOVhAQsmtA4q3f9gbrK9Cr7pkY
Forum le Monde des insectes, section « Apocrites » : forum d’identification des hyménoptères apocrites (dont les abeilles) sur la base de photographies. https://www.insecte.org/forum/viewforum.php?f=3
Atlas hymenoptera. Site (belge) d’un collectif international de chercheurs et de naturalistes proposant des illustrations et des cartographies de répartition des abeilles sauvages d’Europe. http://www.atlashymenoptera.net/default.asp
L’Observatoire des abeilles. Association française ayant pour objet l’étude, l’information et la protection des abeilles sauvages françaises (et des régions voisines) et de leur habitat. Elle édite la revue « Osmia » depuis 2007. https://oabeilles.net/
FlorAbeilles : à la découverte des fleurs butinées par les abeilles… Nous citons le site : « FlorAbeilles est un projet du laboratoire Pollinisation et Ecologie des Abeilles de l’Unité Abeilles et Environnement de l’INRA d’Avignon. Ce projet a pour mission de constituer une base de données bibliographiques et photographiques sur les interactions plantes – abeilles (sauvages et domestiques) afin de mieux comprendre ces relations et de diffuser ce savoir. » http://www.florabeilles.org/
The Bees, Wasps and Ants Recording Society (BWARS). Association britannique créée en 1978 spécialisée dans l’écologie des abeilles sauvages. https://www.bwars.com/
Liste taxonomique des abeilles sauvages d’Europe et des régions voisines : http://westpalbees.myspecies.info/
« Pollinisation et pollinisateurs », conférence de Benoît Geslin sur les abeilles sauvages, leur écologie et les menaces qui pèsent sur elles, IMBE TV, 2018. https://www.youtube.com/watch?v=lku3ZKPxNHo